Un rapport OCDE révèle que le Maroc, 5e pays d'origine des flux migratoires vers l'OCDE, voit ses ressortissants confrontés à une insertion professionnelle fragile, marquée par des écarts salariaux structurels et une mobilité ascendante limitée. Zoom sur les données disponibles pour en tirer des enseignements concrets pour l'ensemble des acteurs économiques marocains et internationaux. Avec plus de 200.000 départs annuels vers l'OCDE, le Maroc fait face à un enjeu migratoire structurel où volume rime trop souvent avec précarité professionnelle, comme le démontre l'analyse du récent rapport «Perspectives des migrations internationales 2025» de l'OCDE. Le document offre un éclairage précieux, quoique fragmentaire, sur la place du Maroc dans les dynamiques migratoires mondiales et le destin de ses ressortissants dans les pays développés. Le rapport confirme la place centrale du Maroc comme pays d'origine des flux vers l'OCDE. En 2023, plus de 200.000 ressortissants marocains ont émigré vers un pays de l'OCDE, soit une légère augmentation (+1%) par rapport à 2022. Cette masse place le Maroc parmi les cinq premiers pays d'origine des nouveaux arrivants dans la zone OCDE, derrière l'Inde, la Chine, la Roumanie et à égalité avec la Colombie, et largement devant des nations comme le Mexique ou les Philippines. Ce volume constant souligne l'importance structurelle de l'émigration marocaine pour les économies d'accueil et pour le Maroc lui-même, en termes de transferts de fonds, de dynamiques familiales et de pression sur le marché du travail national. Insertion sur le marché du travail : des schémas préoccupants en filigrane Si le rapport ne détaille pas spécifiquement les secteurs d'activité ou les niveaux de rémunération des immigrés marocains, il fournit des indices forts sur les schémas probables d'insertion, en phase avec les tendances générales documentées. L'on note ainsi, une concentration dans des secteurs/entreprises moins rémunérateurs, et une progression salariale lente et liée à la mobilité. L'OCDE révèle que, en général, près des deux tiers (63%) de l'écart de rémunération initial de 34% entre immigrés et natifs s'expliquent par le fait que les immigrés travaillent «de manière disproportionnée dans des entreprises, des secteurs et des professions moins bien rémunérés». L'effet employeur (travailler pour des entreprises payant moins au sein d'un même secteur) représente à lui seul 27% de l'écart. Le cas spécifique des travailleurs marocains détachés d'Espagne vers l'agriculture française (mentionné dans le rapport) illustre cette concentration dans des niches souvent précaires et faiblement rémunérées. «Les immigrés ne travaillent pas seulement dans des secteurs moins bien rémunérés, mais aussi pour des employeurs qui rémunèrent moins bien, au sein de ces secteurs», souligne le rapport. Ce schéma, s'il se confirme pour une large partie de la diaspora marocaine, limite fortement les gains individuels et le potentiel de transferts de compétences ou de capitaux significatifs. Pour ce qui est de la progression salariale lente, liée à la mobilité, l'écart de rémunération se réduit d'un tiers (passant de 34% à 21%) durant les cinq premières années, mais «la majorité de la progression salariale se fait au sein des entreprises». Une mobilité vers de meilleurs secteurs ou employeurs reste donc cruciale mais potentiellement entravée par des obstacles (reconnaissance des diplômes, réseaux, discrimination, logement, transport). Les politiques d'intégration des pays d'accueil, de plus en plus axées sur les «besoins du marché du travail» et parfois restrictives (comme noté aux Pays-Bas ou en Finlande), peuvent complexifier cette mobilité ascendante pour les Marocains. Naturalisations : un taux élevé mais en légère baisse, reflet d'intégration ? Le Maroc se classe comme le 4e pays d'origine des acquisitions de nationalité dans l'OCDE en 2023, avec plus de 100.000 naturalisations, derrière l'Inde, la Syrie et à égalité avec le Mexique et les Philippines. Cependant, ce chiffre marque une légère baisse par rapport à 2022. Le taux de naturalisation (pourcentage de la population étrangère naturalisée) dans les pays de l'OCDE reste faible dans des destinations majeures comme la France ou la Belgique (bien qu'au-dessus de la moyenne OCDE de 2,6%), suggérant soit des barrières persistantes, soit un attachement fort à la nationalité d'origine, soit des séjours perçus comme temporaires. Une naturalisation peut faciliter l'accès à l'emploi stable et mieux rémunéré, mais la baisse observée, même minime, mérite attention quant aux dynamiques d'intégration à long terme. La «fuite des cerveaux» marocains : un sujet absent et un silence significatif Le chapitre 5, consacré aux migrations des professionnels de santé, est particulièrement instructif par l'absence notable du Maroc. L'OCDE identifie clairement les pays source préoccupants : ceux figurant sur la liste OMS de sauvegarde des personnels de santé (environ 89.000 médecins et 257.000 infirmiers migrants en proviennent). Les principaux pays d'origine cités pour les médecins sont l'Inde, l'Allemagne, la Chine ; pour les infirmiers, les Philippines, l'Inde et la Pologne. Le Maroc n'apparaît pas dans ces listes critiques. Une absence qui suggère des interprétations, non exclusives. Entre autres, l'émigration marocaine hautement qualifiée (médecins, ingénieurs, etc.) pourrait être significative mais orientée vers des secteurs autres que la santé (technologies, ingénierie, finance) non couverts en détail dans le chapitre spécifique du rapport de l'OCDE. Elle pourrait aussi être moins massive proportionnellement que celle de pays comme l'Inde ou les Philippines dans le secteur de la santé. Un silence du rapport sur une «fuite des cerveaux» marocains en santé qui est un élément crucial. Il n'indique pas une absence d'émigration qualifiée, mais suggère qu'elle ne constitue pas, actuellement, une menace systémique majeure pour le secteur de la santé marocain au même titre que pour les pays listés par l'OMS. Un écosystème complexe Pour le Maroc et les entreprises marocaines, le volume élevé et constant de l'émigration, souvent vers des emplois peu qualifiés et moins bien rémunérés, souligne la persistance de déséquilibres structurels sur le marché du travail marocain (chômage des jeunes, inadéquation formation-emploi, salaires). Cela renforce la nécessité de politiques de développement créatrices d'emplois décents et de valorisation des compétences sur place pour retenir les talents. La mention des détachements vers l'agriculture française rappelle l'importance des accords bilatéraux de main-d'œuvre et des filières de migration régulière, mais aussi les risques de précarité. L'absence du Maroc de la liste des pays à fort risque de fuite des cerveaux en santé est une bonne nouvelle, mais nécessite une vigilance constante et des investissements soutenus dans le secteur pour le maintenir. «Le rôle des employeurs dans les pays d'accueil est clé pour l'intégration économique des immigrés. Les décideurs politiques doivent engager un dialogue constructif avec eux», rappelle Stefano Scarpetta, directeur de la Direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales à l'OCDE. Un constat qui vaut aussi pour le dialogue Maroc-pays d'accueil sur les conditions d'emploi des travailleurs marocains. Pour les pays d'accueil et leurs entreprises, la main-d'œuvre marocaine reste une composante importante, notamment dans des secteurs en tension (agriculture, BTP, services). Le rapport souligne que «les employeurs jouent un rôle clé dans l'intégration» et que surmonter l'effet employeur négatif (27% de l'écart salarial) est crucial. Les entreprises employant beaucoup de Marocains ont un intérêt économique et social à améliorer leur intégration (formation, mobilité interne, lutte contre les discriminations) pour réduire les écarts de rémunération et fidéliser les talents. L'évolution des politiques migratoires (plus restrictives sur l'asile, plus sélectives sur le travail) dans l'OCDE pourrait impacter certains flux marocains, rendant d'autant plus importante la gestion éthique et efficace des travailleurs déjà présents. Pour ce qui est des immigrés marocains et leurs familles, les données confirment les défis persistants d'une insertion professionnelle souvent en bas de l'échelle salariale initiale et la lenteur des progressions. La légère baisse des naturalisations pourrait refléter des difficultés administratives ou un choix stratégique. L'accent mis par l'OCDE sur la nécessité de lever les obstacles à la mobilité professionnelle (information, réseaux, formation, logement, transport) est un appel à l'action pour les associations et les services publics d'intégration dans les pays d'accueil. Une prise de conscience et un appel à l'action Ce que révèle le rapport de l'OCDE, c'est la persistance d'un flux migratoire marocain massif et structurel vers les pays membres de l'organisation. Ce qui change, c'est la mise en lumière plus fine des mécanismes d'insertion économique inégale (secteurs/employeurs moins rémunérateurs) et le rôle crucial désormais reconnu aux employeurs dans l'intégration. Pour les Marocains, la relative discrétion sur la «fuite des cerveaux» en santé est un point positif à consolider. «Si les migrations ne peuvent résoudre les défis posés par le vieillissement des populations sur les marchés du travail de l'OCDE, elles peuvent contribuer à en atténuer les effets», rappelle Stefano Scarpetta. Les travailleurs marocains contribuent à cette atténuation, souvent dans des conditions sous-optimales. L'implication concrète pour tous les acteurs – gouvernements marocain et d'accueil, entreprises des deux bords, travailleurs eux-mêmes et organisations de la société civile – est de transformer cette contribution potentielle en une réalité plus bénéfique pour tous, par des politiques migratoires et d'intégration plus efficaces, éthiques et tournées vers une mobilité ascendante des compétences et des rémunérations. Le dialogue économique bilatéral et multilatéral, intégrant pleinement la dimension de l'intégration professionnelle, devient plus impératif que jamais. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO