L'actualité du mois d'octobre 2025 offre une radiographie saisissante de la gouvernance opérationnelle de l'eau au Maroc, révélant à la fois une ambition stratégique affirmée et des défis de terrain persistants. Zoom sur les coulisses de cette politique et ses implications concrètes pour les acteurs économiques. À l'heure où les barrages affichent un taux de remplissage alarmant de 31,8%, selon le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, le contexte se prête à une analyse de la gouvernance de l'eau au Maroc, en pleine mutation – entre urgence hydrique et ambitions stratégiques – et de braquer nos projecteurs sur les coulisses d'une politique hydrique en pleine refonte. Disons que la politique marocaine de l'eau se révèle être un chantier permanent, oscillant entre des réalisations structurantes et une situation hydrique alarmante. Le taux de remplissage des barrages rappelle crûment l'intensité de la crise, qualifiée par le ministre Nizar Baraka, de «septième année consécutive de sécheresse» et de situation «exceptionnelle en termes d'intensité et d'impact». Pourtant, dans le même temps, cette crise coexiste avec une reconnaissance mondiale. Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau, salue la politique marocaine comme «un exemple pour le monde», soulignant les «solutions appropriées pour sécuriser la ressource» via le dessalement, le recyclage des eaux usées et les transferts hydrauliques. Une apparente contradiction qui est au cœur même de la gouvernance opérationnelle de l'eau au Maroc : une course contre la montre, où les initiatives ambitieuses tentent de rattraper un déficit structurel aggravé par le changement climatique. Entre projets structurants, innovations technologiques et défis persistants, le Royaume déploie une gouvernance sur plusieurs dimensions pour sécuriser sa ressource la plus critique. Plongeons dans les mécanismes opérationnels et leurs implications pour les acteurs économiques. Une vision territoriale et stratégique affirmée La gouvernance marocaine de l'eau repose sur une vision stratégique territorialisée, portée par des acteurs institutionnels clés comme le ministre de l'Agriculture, Ahmed El Bouari. Ce dernier insiste sur la nécessité de «formuler des lignes stratégiques claires assorties de programmes concrets, de projets évaluables et d'un dispositif de suivi efficace centré sur le citoyen», visant une répartition équitable des richesses. Une approche qui se concrétise par des projets structurants, tels que l'aménagement hydro-agricole de Maktaa Sfa dans la province d'Errachidia. D'un investissement de 85,23 millions de dirhams, ce projet transfère les eaux des crues de l'Oued Gheris vers le lac Merzouga, irriguant 1.194 hectares, tout en renforçant la résilience des oasis face au changement climatique. Parallèlement, l'Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l'arganier (ANDZOA) incarne cette ambition à plus large échelle. Avec 153 milliards de dirhams (MMDH) mobilisés depuis 2012, ses interventions ont réduit la pauvreté multidimensionnelle de 14,4% à 7,4% et dynamisé l'économie locale via 976 projets générateurs de revenus. Cependant, cette volonté politique se heurte à une réalité climatique implacable. Les barrages marocains affichent un taux de remplissage alarmant de 31,8%, révélant une «situation hydrique préoccupante» selon le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka. Le pays subit sa «septième année consécutive de sécheresse», qualifiée «d'exceptionnelle en termes d'intensité et d'impact». Une tension entre la stratégie territoriale proactive et la raréfaction physique de la ressource qui constitue le socle paradoxal de la gouvernance actuelle. Elle exige une adaptation accélérée des modèles économiques, notamment agricoles, tout en testant la viabilité des investissements massifs dans des régions vulnérables. La convergence des programmes publics, comme le «PAGER» (21 milliards de dirhams investis) ou le dessalement d'eau de mer (priorité d'OCP et des SRM), doit désormais composer avec une pression hydrique structurelle qui redéfinit les marges de manœuvre opérationnelles. Diversification des sources, contrôle renforcé et émergence des territoires La réponse opérationnelle marocaine à la crise hydrique s'articule autour de trois axes indissociables, façonnant un nouveau paysage institutionnel et technique. La diversification accélérée des ressources constitue le premier pilier stratégique, avec le dessalement comme colonne vertébrale. Le groupe OCP symbolise cette transition en visant une couverture à 100% des besoins en eau par des sources non conventionnelles dès 2025 et développant 560 millions de m3 de capacité de dessalement d'ici 2027. Une dynamique relayée sur les territoires par les Sociétés régionales multiservices (SRM), comme à Casablanca-Settat où 28 stations monoblocs déployées atteindront 8 millions de m3/an, tandis que les transferts hydrauliques (Oued Gheris vers Merzouga) et la réutilisation des eaux usées (priorité à Fès et Figuig) complètent ce dispositif pour sécuriser l'offre. Parallèlement, un contrôle et une répression renforcés encadrent strictement les usages, face aux pollutions industrielles et à la surexploitation. L'arsenal juridique (loi 36-15) est activé par les Agences de Bassin, comme dans le Loukkos où Narjiss Lamarti, directrice de l'ABH de la Moulouya, martèle que «l'adoption d'une approche proactive est devenue une nécessité impérieuse». La lutte contre les margines – 176.442 m3/an à Taounate – illustre cette rigueur : amendes (10.000 à 500.000 DH), suspensions d'activité et stations de traitement coercitives sanctionnent les dérives. L'irrigation est également ciblée, avec la généralisation imposée du goutte-à-goutte pour réduire les disparités territoriales et améliorer l'efficacité des réseaux». Une gouvernance qui s'appuie enfin sur l'émergence décisive des acteurs territoriaux Les SRM, véritables chevilles ouvrières de la décentralisation, incarnent cette mutation. Abdellah Ilhami, directeur général de la SRM Marrakech-Safi, résume leur mandat : «généraliser l'accès, assurer l'approvisionnement, améliorer la qualité des services tout en réduisant les disparités territoriales». Leur action intègre désormais l'innovation sociale (Eco-Village de Marrakech) et environnementale, tandis que l'ANDZOA déploie une approche ciblée sur les zones vulnérables (oasis, arganeraies), combinant préservation écologique et développement économique inclusif. Une territorialisation opérationnelle, couplée à la diversification des ressources et au cadre répressif, qui dessine une gouvernance en réseau où l'efficacité repose sur l'adaptabilité aux spécificités locales. Reconnaissance internationale Le leadership marocain, désormais considéré comme une référence mondiale, est salué par Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau en gouvernance hydrique. Celui-ci souligne que le Royaume constitue «un exemple pour le monde» grâce aux projets colossaux mis en place et aux nouvelles technologies introduites. Une reconnaissance qui s'appuie sur des initiatives structurantes comme le futur Centre mondial des eaux non conventionnelles et des énergies renouvelables, symbolisant l'expertise marocaine en solutions durables. La recherche et l'innovation sont activement mobilisées pour anticiper les défis climatiques, comme en témoigne le 5e forum de l'agriculture durable à Fès-Meknès. Ce dernier explore des «mesures intelligentes pour un environnement vert» et promeut des technologies comme la réutilisation des eaux usées agricoles. Le projet TECGREMED, financé par l'UE via Erasmus+, illustre cette dynamique en développant des compétences en ingénierie verte pour adapter l'agriculture au «stress hydrique». Autant d'efforts qui positionnent le Maroc comme un laboratoire africain où, selon Mohammed Belkasmi, doyen de la faculté des sciences de Fès, on transforme «les défis en opportunités et les jeunes en leaders d'une économie plus verte». Un nouveau paradigme pour les industriels, agriculteurs, startups et centres de recherche La gouvernance hydrique redessine radicalement l'environnement économique, imposant à chaque acteur des adaptations stratégiques coûteuses mais incontournables. Pour les industriels, la transition vers l'économie circulaire de l'eau est désormais une obligation légale et opérationnelle. Le groupe OCP montre la voie avec 53 milliards de dirhams d'investissements en 2025 et l'objectif d'une eau «100% non conventionnelle», tandis que les huileries de Taounate (176.442 m3 de margine/an) doivent financer des stations de traitement coûtant jusqu'à 97 MDH sous peine d'amendes (10.000–500.000 DH) ou de fermeture. Pour leur part, les agriculteurs subissent une mutation forcée : généralisation du goutte-à-goutte, contrôle accru des prélèvements et adaptation des cultures au stress hydrique. Si des projets comme Maktaa Sfa (1.194 ha irrigués) améliorent la résilience, la pression sur la rentabilité s'intensifie. Les collectivités et SRM voient, quant à elles, leurs responsabilités élargies. C'est dans ce contexte que la SRM Casablanca-Settat doit gérer des défis techniques et financiers complexes, tout en sensibilisant les usagers. Enfin, ce contexte génère des opportunités stratégiques pour les startups et centres de recherche, qui répondent à la demande croissante en technologies water-tech (dessalement solaire, monitoring intelligent). Le forum de Fès et l'Eco-Village de Marrakech deviennent ainsi des incubateurs pour des solutions innovantes, où la rareté de l'eau se mue en levier d'une économie verte compétitive. Une gouvernance de la résilience administrée Les faits marquant du mois d'octobre 2025 révèlent une transformation profonde de la gouvernance marocaine de l'eau, passant d'une logique de mobilisation maximale à une gestion en tension permanente, où se conjuguent trois piliers indissociables : les grands ouvrages structurants (barrages, transferts interbassins), les solutions décentralisées innovantes (stations monoblocs, réutilisation des eaux usées) et un cadre réglementaire/répressif sans cesse durci (Loi 36-15, amendes dissuasives). Comme le souligne Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau, «l'eau occupe une place essentielle et indispensable au cœur du développement durable et de la croissance économique». Si ce «laboratoire marocain» – cité en modèle international – témoigne d'une ambition stratégique cohérente, son efficacité opérationnelle reste suspendue à un arbitrage délicat entre quatre impératifs contradictoires : la sécurité hydrique, la viabilité économique des acteurs (PME agroalimentaires confrontées à des investissements coercitifs), la préservation écologique (protection des nappes et lacs), et la justice spatiale (réduction des disparités territoriales). Responsabilité opérationnelle de L'adaptation La conséquence pour tous les acteurs est désormais claire : l'eau n'est plus un bien abondant mais un facteur de production critique, coûteux et soumis à des contraintes sévères. Une rareté qui impose une adaptation permanente et une innovation forcée, comme en témoignent les investissements massifs d'OCP ou la modernisation agressive de l'irrigation. Le modèle émergent est celui d'une résilience administrée : l'Etat fixe un cadre stratégique et réglementaire strict (planification territoriale, sanctions), mais délègue aux territoires (SRM, ANDZOA) et aux acteurs économiques la responsabilité opérationnelle de s'adapter. La survie économique dépend désormais de leur capacité à internaliser la rareté dans leurs choix – qu'il s'agisse d'industriels optant pour l'économie circulaire, d'agriculteurs adoptant le goutte-à-goutte ou de startups développant des solutions water-tech. Cette gouvernance, bien que saluée globalement, reste un équilibre instable où la pression climatique (sept ans de sécheresse) pourrait à tout moment remettre en cause les avancées. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO