Le Maroc vit un Black Friday sans bousculades ni files interminables. Dans les rues comme dans les boîtes mail, l'effervescence se fait discrète, à rebours des scènes frénétiques observées à l'étranger. L'activité, elle, s'est déplacée ailleurs, sur les plateformes en ligne, où l'on constate un trafic intense et un panier moyen en hausse. Vendredi, dans les rues du Maârif, les passants déambulaient comme un jour ordinaire. Pas de cohue, pas de foules compactes devant les vitrines, pas de files qui serpentent comme à Londres, Paris ou New York. Le Black Friday marocain se vit sans tension et sans course effrénée aux soldes. Les boutiques affichent quelques remises mais aucune avalanche promotionnelle. L'animation, elle, se joue loin des trottoirs, sur les écrans, dans les paniers digitaux, sur les plateformes où clics et ventes ont remplacé la ruée physique. Dans les boîtes mail, la même sobriété. Quelques newsletters, pas d'inondation agressive. Et pourtant, le Black Friday existe, mais d'une manière silencieuse, presque disciplinée, centrée sur le e-commerce plus que sur la rue. Au Maroc, la grande ruée est virtuelle. Mohamed El Fane, président de la Fédération marocaine de la franchise, observe ce Black Friday avec recul. Pour lui, l'événement s'installe davantage comme une opération parmi d'autres plutôt que comme un rendez-vous commercial majeur. Il parle d'un «moment de la vie» particulièrement profitable aux enseignes mass market, celles qui fonctionnent à grande rotation et jouent sur le volume. Dans ce segment, l'activation est perçue comme «positive et bénéfique», capable de «fidéliser, refidéliser et recruter». Mais l'équation change dès que l'on monte en gamme. Les enseignes milieu de gamme, dit-il, y voient surtout un moyen de «sortir un peu les invendus», mais l'équilibre financier reste fragile. «Ce n'est pas 100% rentable», insiste-t-il, l'objectif étant bien plus relationnel que financier. Ce décalage explique la retenue visible dans les rues. Facteur culturel Il faut prendre en compte un facteur culturel : le Maroc structure déjà ses soldes hivernales, bien ancrées et préparées, ce qui limite la place d'un Black Friday importé des Etats-Unis. Mohamed El Fane le dit sans détour : «les franchises misent surtout sur les soldes d'hiver en janvier», car elles sont réfléchies, organisées, cadrées par un calendrier établi. Le Black Friday n'est donc pas un pilier stratégique, mais une fenêtre opportuniste, un levier de visibilité plus qu'un moteur de chiffre d'affaires. Reste un glissement majeur, celui de la vente vers les plateformes. Certaines marques activent le Black Friday en ligne, mais très peu en boutique. Adidas en est l'exemple le plus parlant. Rabais attractifs sur Jumia ou Marjane Mall, mais rien en point de vente. Pour notre expert, cela illustre un basculement, lorsqu'une marque est compétente sur le digital. «Le modèle économique peut devenir intéressant», souligne Mohamed El Fane, mais toutes les marques n'ont pas encore la capacité opérationnelle pour suivre. Un constat s'impose : le Black Friday brille sur les plateformes mais reste timide en vitrine, et chaque enseigne l'aborde selon sa force logistique et sa stratégie commerciale. Un Black Friday qui se joue hors des vitrines Le calme des boutiques n'empêche pas pour autant l'événement d'exister, il se déplace simplement. L'effervescence ne se mesure plus à l'entrée des magasins mais au niveau de sollicitation des serveurs. Jumia, plateforme pionnière du e-commerce en Afrique fondée en 2012 et solidement installée sur le marché marocain, affirme que «l'activité s'accélère dès le lancement du Black Friday» et que «les volumes sont nettement plus élevés par rapport à une période normale». Dans les rues, pas de files d'attente, pas de cohue, pas de paniers qui débordent. Pourtant, l'intensité est bien là. Invisible mais massive. Les files quittent l'espace public pour migrer vers les onglets ouverts, les paniers virtuels et les livraisons qui s'enchaînent. Le Black Friday marocain n'explose pas en façade, mais bel et bien en coulisse. Dans ce commerce dématérialisé, les catégories gagnantes se redessinent. Jumia observe que «la mode attire beaucoup cette année», portée par l'intérêt pour Adidas, Trendyol et plus largement le fashion turc, devenu l'un des signaux forts du moment. La beauté suit la même trajectoire, dopée par l'attrait des cosmétiques coréens. Plus surprenant encore, la montée de l'électroménager, avec «l'accélération sur l'aspirateur» qui s'impose comme achat domestique rationnel plus que tendance. La maison n'est plus un parent discret, elle devient un marché complet. Le Black Friday marocain ne remplit pas les boutiques, il équipe les salons, les chambres, les salles de bain. Il habille, il aspire, il organise. Un consommateur plus calculateur qu'impulsif Au-delà des volumes, c'est la façon de consommer qui change. Jumia relève «une légère augmentation du panier moyen» et précise que «les clients achètent de plus en plus des paniers mixtes, combinant plusieurs catégories». La réduction n'est plus un prétexte, elle devient un déclencheur pensé, comparé, optimisé. Pour répondre à cette maturité, la plateforme ajuste sa mécanique interne. La plateforme souligne l'importance de l'expérience utilisateur, affirmant que «l'optimisation logistique a joué un rôle clé», appuyée par «la sécurisation des stocks» ainsi que «l'ouverture et l'amélioration des points relais partout au Maroc pour offrir plus de choix et réduire les frais de livraison». Le parcours ne s'arrête plus au clic. Ce qui compte, c'est la rapidité, la disponibilité du produit, la simplicité de retrait. Le prix n'est qu'une partie de la promesse. Et si le cœur du Black Friday n'est plus en vitrine, il tient désormais dans une main. Les achats migrent massivement vers le téléphone, où les notifications remplacent les affiches publicitaires, où une offre se saisit en quelques secondes. Jumia note des clients «plus attentifs, qui comparent davantage et cherchent des deals réellement avantageux», preuve d'une évolution du réflexe d'achat. Le Black Friday marocain n'est pas un sprint collectif sur un trottoir, il devient une sélection méthodique, personnelle, presque stratégique. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO