Montré au FIFM 2025, le film nouveau de Kaouther Ben Hania «The Voice Of Hind Rajab» relate l'histoire réelle et glaçante des moments avant la mort de «Hanood», dernière des tués parmi les membres de sa famille à bord d'une voiture dans le nord de la bande de Gaza, le 29 janvier 2024. Parmi les acteurs d'un opus voulu de fiction mais qui documente au plus près le génocide dans la bande de Gaza, Clara Khoury se confie à Yabiladi sur ce qu'elle considère être son meilleur projet artistique, relatant ce qui advient de sa Palestine natale. Une voix d'enfant, puis un nom et le visage de Hind Rajab. Des appels incessants d'une petite fille de six ans entourée de morts, une boucle infinie pour obtenir le feu vert d'une urgence qui ne viendra jamais, et enfin un tank israélien qu'elle décrit avançant droit devant elle. Tels sont les derniers instants de vie de la dernière passagère d'une voiture, prise au piège dans une offensive dans le nord de la bande de Gaza, le 29 janvier 2024. Du silence assourdissant qui ne fait pas écho de la détresse, de l'impuissance d'empêcher qu'une énième victime du génocide tombe et de la vulgarité des images qui banalisent l'occupation en interrogeant plus que jamais la communauté internationale, Kaouther Ben Hania a fait «The Voice of Hind Rajab», montré lundi dernier au 22e Festival international du film de Marrakech (du 28 novembre au 6 décembre 2025). Avec Joaquin Phoenix, Brad Pitt, Rooney Mara, Alfonso Cuarón et Jonathan Glazer à la production exécutive, l'opus reconstitue l'histoire vraie de Hind Rajab, qui appelle le Croissant-Rouge palestinien après que le véhicule dans lequel elle se trouve a été visé par une offensive israélienne. Au sein de l'équipe du film, l'actrice palestino-américaine Clara Khoury incarne le rôle Nisreen Jeries Qawas, la véritable directrice du soutien psychosocial et de la santé mentale au Croissant-Rouge palestinien. Présente à Marrakech pour présenter le film, la comédienne palestino-américaine revient auprès de Yabiladi sur un personnage qu'elle a construit au plus près de Nisreen, avec le souci de porter haut et fort le récit de toute une nation encore déchirée par l'occupation. Sur le plan émotionnel, votre personnage demande beaucoup de travail. Comment avez-vous procédé pour construire cette figure qui incarne la force tranquille de son équipe ? J'interprète Nisreen Jeries Qawas, psychothérapeute au Croissant-Rouge palestinien. Au sein du centre, elle est responsable de tous les bénévoles et employés. Elle veille à leur santé mentale et leur apporte un soutien émotionnel. Elle y travaille toujours. Pour construire mon rôle, j'ai beaucoup échangé avec elle au téléphone. Je voulais tout savoir d'elle et ne pas me limiter en commençant par la tragédie de Hind Rajab en elle-même, mais plutôt par tout ce qui et tous ceux qui l'entourent, son contexte et les histoires connexes. Je voulais tout savoir de Nisreen Jeries Qawas : où elle est née, où elle a étudié, sa vie personnelle, sa vie de famille, ses enfants, ses loisirs, ses passe-temps… J'avais besoin de tous ces détails pour pouvoir me rapprocher d'elle en incarnant le rôle. Parfois, on a envie de se comparer à son personnage et je me devais de recueillir ces informations, d'autant que depuis des décennies en tant qu'actrice, je n'avais jamais interprété un personnage réel auparavant. Avec ce film, c'est une première pour moi. Carole Khoury dans «The Voice of Hind Rajab» Il était donc essentiel de faire des recherches. J'avais les enregistrements des appels téléphoniques avec la voix de Nisreen. J'avais aussi la vidéo du film «The Night Won't End», disponible sur YouTube et vue par le monde entier, tournée au Croissant-Rouge palestinien avec Hind et Nisreene. J'ai ainsi appris à décrypter son langage corporel, même si je ne l'ai jamais rencontrée directement. A titre personnel, séparément du film, j'aime beaucoup la psychothérapie et j'en suis une depuis 25 ans. C'est une véritable nécessité pour moi et je pense que c'est important pour tout le monde. J'ai une thérapeute formidable, Christine, dont je me suis beaucoup inspirée pour ce rôle aussi. J'ai canalisé toute son énergie, son empathie, son calme, sa capacité d'écoute et sa sérénité. Pour moi, Nisreene est le contrepoids du reste de l'équipe. Elle apporte une énergie différente qui équilibre le chaos. Jaime aussi beaucoup la méditation. Dès que j'en avais l'occasion sur le plateau, je méditais. À chaque pause, je prenais un canapé, je m'allongeais et j'écoutais un enregistrement de méditation. Parfois, nous le faisons tous ensemble entre acteurs. L'ambiance sur le plateau était tellement intense, empreinte d'amour et de bienveillance. Kaouther Ben Hania a été extraordinaire avec nous. Elle nous a accordé une grande liberté, beaucoup d'attention. J'ai toujours admiré la réalisatrice qu'elle est et j'adore son travail. Pour moi, y être associée est un rêve devenu réalité. C'est un grand honneur et un privilège, car je pense qu'elle est la cinéaste la plus brillante de notre région. Certains artistes pensent que le temps du cinéma et celui du présent sont différents. Selon eux, il faudrait une distance temporelle pour transposer les faits réels en œuvre cinématographique. «The Voice of Hind Rajab» a pourtant prouvé que l'on pouvait faire converger les deux vers la fiction, ou le docu-fiction. Qu'est-ce que cela vous dit de la nécessité de diffuser largement le narratif palestinien ? Cette année, nous avons eu quatre ou cinq films sur la Palestine. Il y en a trois ou quatre qui adoptent le point de vue des femmes. Personnellement, en tant que mère et artiste, ces deux dernières années ont été un véritable supplice pour moi. Pendant deux ans, nous avons assisté au génocide en direct. On a fait défiler les images sur nos téléphones. Nous avons été témoins de ces horreurs. C'était extrêmement consternant pour moi. Hind Rajab / Ph. «The Voice of Hind Rajab» - Kaouther Ben Hania J'ai eu un besoin urgent de m'exprimer, car j'avais réellement l'impression qu'on me tirait dessus, qu'on me réduisait au silence. J'admire tous les artistes qui prennent l'initiative et font de leur pouvoir de conteurs un cinéma qui compte, un cinéma important, afin que le reste du monde puisse nous reconnaître, reconnaître nos histoires et nos souffrances. Je suis convaincue que le cinéma est le seul moyen d'y parvenir. Grâce au septième art, on crée de l'empathie, on apprend à connaître l'autre, à ressentir des émotions, à vivre une expérience de vie à travers les films et ainsi découvrir d'autres peuples, d'autres nations, d'autres histoires dont on ignore jusque-là l'existence. Vous êtes actrice depuis des décennies. Comment envisagez-vous vos rôles, notamment celui de Nisreen, étant née à Haïfa, ayant baigné dans la culture palestinienne et étant aujourd'hui de la diaspora ? Ce fut un long chemin, oui. Il y a des choses dont je suis très fière, que j'ai accomplies dans ma vie, dans ma carrière et d'autres que j'ai effacées de ma mémoire. Je pense que plus on évolue dans son parcours de vie, plus l'artiste en nous grandit. Parmi tous les personnages que j'ai incarnés, certains me sont chers, mais d'autres ne me correspondent pas. Aussi, j'ai fait une pause dans ma carrière pour fonder une famille, m'occuper de mes enfants et commencer une nouvelle vie en Californie du Nord (Etats-Unis). Ce temps de pause a été nécessaire pour moi, en tant qu'artiste, afin de prendre du recul et d'être plus sélective quant aux projets que je souhaite réaliser et aux histoires auxquelles je veux participer. Hind Rajab Pour moi, faire partie d'un récit cinématographique comme «The Voice of Hind Rajab», dans les temps qui courent, est tout à fait naturel. Je suis très fière de m'y être investie, de laisser mon empreinte dans l'Histoire de notre peuple palestinien. Je pense aussi qu'un jour, ma fille me demandera : «Où étais-tu pendant tout ce temps ?». Aujourd'hui, je sais que je lui répondrai : «J'ai participé à ce travail formidable, à ce travail nécessaire.»