Le lancement de la 5G au Maroc ouvre une nouvelle ère pour l'économie numérique, mais cette transition technologique n'a de sens que si son modèle économique parvient à produire de la valeur, de la rentabilité et un écosystème capable de transformer les usages. La 5G exige une réflexion profonde sur la rentabilisation des réseaux, les partenariats industriels, la régulation, les capacités de production locales, la formation, l'accessibilité tarifaire et la souveraineté numérique. Pour Hind Khouy, directrice marketing d'inwi, la question de la rentabilité était centrale dès le début. La 5G oblige les opérateurs à réinventer la manière dont ils génèrent de la valeur. «Pour la BtoC, c'est la rentabilisation à travers l'expérience», explique-t-elle. Les opérateurs peuvent désormais offrir des services impossibles à déployer en 4G, notamment dans le gaming ou les usages nécessitant une latence extrêmement faible. «C'est des packs de gaming avec une latence garantie qu'on ne pouvait pas offrir auparavant avec la 4G», illustre-t-elle. Mais si la BtoC représente une première brique, ce n'est pas là que se trouve le véritable potentiel économique. Pour la BtoB, c'est aussi d'élargir la couverture. «On parle de la FWA qui va permettre justement de connecter plus de foyers en complémentarité à toutes les autres technologies». La 5G fixe est l'un des piliers de rentabilité des opérateurs, puisqu'elle permet d'étendre le haut débit sans déployer immédiatement de nouvelles fibres. Mais surtout, le cœur du business model BtoB réside dans les capacités offertes aux entreprises. «C'est le business model à travers tout ce qui est capabilities qu'on va offrir à l'entreprise. Comment les accompagner dans leur digitalisation? Comment les accompagner dans leur utilisation et leur exploitation de tout ce que la 5G peut offrir?», souligne la directrice du marketing d'inwi. Ces capacités comprennent l'accès aux APIs réseau, aux fonctions de slicing, de sécurité renforcée et d'orchestration automatisée. «Nous, on va donner l'infrastructure. On va aussi donner quelques briques d'intelligence et des API pour accéder à l'infrastructure. C'est ce qui permettra aux entreprises de construire des applications industrielles, logistiques, agricoles ou urbaines», ajoute la directrice marketing d'inwi. Pour elle, c'est ainsi que les opérateurs peuvent justement rentabiliser leur infrastructure et leur investissement. Car la 5G n'est pas un investissement ponctuel. «C'est un investissement qui va se faire de façon continue pour maintenir, pour élargir et pour garantir un service qui marche, des données qui sont sécurisées et qui répondent à une exigence de souveraineté nationale», note la responsable. Le business model repose donc sur trois piliers: enrichir l'expérience des particuliers, développer les capacités verticales pour les entreprises et créer un écosystème complet autour des usages 5G, des startups aux industriels. Le bon moment Mais ces choix sont aussi conditionnés par un environnement mondial complexe. Ahmed Khaouja, expert auprès de l'UIT, rappelle que l'écosystème international de la 5G a été fortement perturbé. «À un certain moment, il y avait une crise de puces. Les grandes marques du marché (Huawei, ZTE, Ericsson, Nokia) ont subi ces tensions, ce qui a ralenti la disponibilité du matériel. Cette fragilité mondiale a eu des conséquences directes sur le timing marocain. «La 5G, heureusement qu'elle n'a pas été attribuée avant. Elle est attribuée au bon moment», affirme-t-il. Pour illustrer cette prudence, il cite l'exemple d'un pays africain ayant attribué sa licence trop tôt. «Ils avaient attribué la licence en 2020. Mais ça n'a pas marché. Aujourd'hui, les opérateurs demandent de ne pas payer les fréquences, parce qu'ils n'ont pas de rentabilité financière», explique-t-il. Selon lui, le Maroc a évité ce piège grâce à une coordination précise entre opérateurs, régulateur, ministère et fournisseurs. Khaouja insiste aussi sur la nécessité d'encourager le partage d'infrastructures pour réduire les coûts, essentiel dans un pays où la rentabilité ne peut être atteinte que par des économies d'échelle. Mais la 5G ne peut réussir que si elle reste accessible. Et c'est ici que se joue un autre pan du business model : la politique tarifaire. Pour les consommateurs, le passage à la 5G s'est traduit par une augmentation significative des volumes de data sans hausse de prix. L'exemple des recharges est révélateur: pour une offre de 4G, le 50 dirhams 4G donnait 5Go. Aujourd'hui, le 50 dirhams de recharge 5G donne 11Go. Hind Khouy explique cette générosité: «On essaie justement de pousser, ce n'est pas uniquement avec la 5G. Il y a un usage qui est en explosion. On ne peut pas rester sans offrir une expérience optimale à la hauteur des usages des consommateurs», explique-t-elle (voir encadré). Elle insiste sur un point clé. La 5G est activée sans surcoût. La politique tarifaire marocaine se distingue d'ailleurs au niveau international. Mazouzi confirme. L'internet au Maroc reste moins cher par rapport aux autres pays. Cette compétitivité s'explique en partie par la concurrence entre opérateurs. Si le Maroc veut tirer pleinement profit de la 5G, il doit également investir dans les infrastructures privées, notamment dans l'enseignement supérieur, l'industrie et les services. Mazouzi souligne que toutes les universités changent tout leur réseau switching. Ils se prêtent à la 5G. Cette dynamique prouve que le pays se prépare sérieusement à la révolution des usages. La 5G ouvre également la porte à une réflexion sur la souveraineté numérique. Hind Khouy le reconnaît: les opérateurs doivent garantir «des données sécurisées et des données qui répondent à une exigence de souveraineté nationale». Ce volet est crucial pour attirer les entreprises internationales, développer les smart cities, sécuriser les infrastructures critiques et transformer les chaînes de valeur nationales. Et ce sera là, le vrai gain. Hind Khouy souligne qu'inwi a d'ailleurs anticipé ces besoins en investissant dans des data centers souverains et en multipliant les initiatives structurantes en cybersécurité, posant les fondations d'un écosystème numérique robuste et de confiance. inwi: accessibilité, innovation et construction d'écosystème La stratégie 5G d'inwi ne repose pas seulement sur l'innovation technologique ou la performance réseau. Elle s'inscrit dans une philosophie beaucoup plus profonde, centrée sur l'accessibilité, l'écoute du consommateur, la démocratisation du numérique et la construction d'un écosystème national mûr et structuré. Pour Hind Khouy, cette approche fait partie de l'identité même de l'opérateur. Elle rappelle que la mission de l'opérateur reste d'ouvrir la technologie au plus grand nombre. inwi joue en cela un rôle moteur dans la dynamique concurrentielle du pays. Avec la 5G, cette philosophie se déploie à une nouvelle échelle. L'opérateur a décidé d'activer gratuitement la 5G pour tout client équipé d'un terminal compatible et se trouvant en zone couverte. Ce choix reflète la volonté de l'opérateur de ne pas créer de barrière d'entrée et de permettre une adoption rapide. Mais la stratégie 5G d'inwi va bien au-delà de l'accessibilité. Elle repose sur la création d'un véritable écosystème d'innovation. Hind Khouy insiste sur le fait que la 5G n'est qu'une base technique, mais un réseau qui va permettre d'offrir un certain nombre de possibilités. La transformation viendra de la capacité de tous les acteurs à s'en emparer. «C'est l'écosystème qui va induire cette célérité», résume-t-elle. Pour inwi, cet écosystème comprend les startups, les industriels, les universités, les laboratoires, l'Etat et les opérateurs eux-mêmes. La réussite repose sur la coordination : «il faut bien évidemment qu'on travaille ensemble, main dans la main, pour justement accélérer cette adoption de tout ce que permet la 5G». L'opérateur soutient ainsi la recherche, les projets pilotes, l'innovation locale et l'émergence de nouveaux services et applications. Cette stratégie s'articule aussi autour de la souveraineté numérique. Comme l'explique Hind Khouy, l'investissement continu dans l'infrastructure vise également à garantir un traitement sécurisé et national des données. Cette dimension redéfinit les rôles traditionnels des opérateurs, qui ne se limitent plus à transporter de la data, mais à garantir sa sécurité, sa disponibilité et sa localisation. Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ECO