La Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) s'est enfin décidée, sur instruction du parquet, à se saisir de la désormais affaire de la Mutuelle générale du personnel des administrations publiques (MGPAP). En effet et pendant des années, il aura fallu des milliers d'articles de journaux, une mobilisation intensive des milieux syndicaux et associatifs, des questions orales au Parlement, des lettres au Premier ministre, la visite d'une commission parlementaire au siège de la MGPAP... pour que la machine judiciaire se mette, le mardi 23 mars, en branle : vingt-deux personnes, dont des hommes d'affaires et des fonctionnaires, ont comparu devant le juge d'instruction près l'annexe de la cour d'appel à Salé dans le cadre de cette affaire. Sur les 22 personnes, 14 seront placées, le lendemain 24 mars, en détention à la prison de Salé et les huit autres sous contrôle judiciaire. Les motifs d'accusation sont graves : détournement de deniers publics, falsification, corruption, abus de confiance, abus de pouvoir et blanchiment d'argent.Au regard de ces actes, on comprend que l'affaire ait pris des dimensions qui dépassent de loin la petite corruption qui entache encore l'administration publique. Selon les témoignages de membres du conseil d'administration de la MGPAP, celle-ci aurait engagé durant les 9 années de mandats de Mohamed Elferraâ, l'ex-président de ce conseil, «des dépenses exorbitantes qui avoisinent les 100 milliards de centimes dans des projets non rentables, en violation flagrante de la loi». Toujours selon nos sources, il y aurait même eu des infractions graves et contraires à certains articles de loi qui régissent ce secteur, tels l'article 44 du code de l'assurance maladie obligatoire (AMO), le code des marchés publics, ou encore les différentes dispositions du dahir de 1963 sur la mutualité, portant notamment sur la partie concernant l'accord préalable des autorités de tutelle sur les opérations d'acquisition immobilière. Le mot de la loi Pourtant, Mohamed Elferraâ, parlementaire, s'est toujours défendu bec et ongles contre ses détracteurs et a toujours contesté les critiques adressées à sa gestion de la mutuelle. Cité par la presse, il avait déclaré alors qu'il était encore président, que «le conflit au sein de la mutuelle est un conflit d'intérêt de nature personnelle et non politique». Mieux, en 2008, il s'était déclaré prêt à comparaître devant la justice dans le cadre des enquêtes diligentées au sujet de la mutuelle. Aujourd'hui, c'est à la justice de dire son mot dans cette affaire, en attendant l'approbation du projet de loi portant «code de la mutualité», proposé en 189 articles par le ministère de tutelle. Qu'en est-il des adhérents ? La question qui reste posée est de savoir si les adhérents à la MGPAP seront fortement touchés par cette crise. Selon nos sources, «les assurés ne seront pas lourdement affectés». Explication : les remboursements sur les dossiers de maladie (panier de prestations de l'AMO) sont effectués par la CNOPS, à hauteur de 70% de la tarification nationale de références (TNR), fixée par décret ministériel. La CNOPS, étant liée aux mutuelles par des conventions de gestion déléguée, vire aux comptes de ces mutuelles les droits de remboursements des assurés. Les mutuelles reversent ces montants aux adhérents. Les mutuelles doivent garantir pour leur part, les prestations complémentaires. Toujours selon nos sources, «ces prestations complémentaires risquent de faire défaut. Les délais de remboursement, vu cette situation financière et le nombre de plus en plus élevé des dossiers de maladie à traiter, risquent aussi d'être longs». En effet, la moyenne du délai de remboursement à la MGPAP est d'environ 60 jours. La CNOPS exige le passage à un délai de 21 jours. «100 milliards engagés, en violation flagrante de la loi, dans des projets non rentables» Les Echos : La situation financière de la MGPAP est-elle aussi catastrophique que ce que vous aviez publié dans un rapport rendu public ? Abdeslam Belfhil : Au lendemain de l'application de l'article 26 du dahir de 1963 sur la mutualité qui a entraîné, comme tout le monde le sait, la dissolution des instances dirigeantes de la MGPAP, la situation financière de la mutuelle générale était catastrophique. L'ex-président du conseil d'administration de la Mutuelle a engagé, durant ses 9 années de mandat, des dépenses exorbitantes qui avoisinent les 100 milliards de centimes dans des projets non rentables, en violation flagrante de la loi. Il est à signaler que la MGPAP accuse aujourd'hui un manque de 70 millions de dirhams rien que pour les prestations offertes dans les cabinets dentaires (CDM), car ces cabinets ne sont pas autorisés. En fait, l'ex-président a acquis ces CDM sans l'autorisation des ministères de tutelle, à savoir les ministères de l'Emploi et des Finances, ce qui a induit un déséquilibre financier. Nous attendons les résultats d'un audit comptable pour évaluer cette situation. Quel regard portez-vous sur le projet de loi pour un code de la mutuelle, tel que proposé par le gouvernement ? Ce projet vient à point, surtout après l'ouverture d'une instruction judiciaire sur les irrégularités financières et administratives qu'a connues la MGPAP, sous la présidence d'Elferraâ. Nous avons toujours réclamé, à l'UMT, qu'il y ait une réforme profonde du dahir de 1963 sur la mutualité, surtout une séparation des pouvoirs entre les élus et l'administration. Ce dahir donne, malheureusement, de larges pouvoirs aux présidents des conseils d'administration des mutuelles. Ces derniers, en plus de leur qualité de président, cumulent aussi la fonction de chef hiérarchique des responsables de l'administration et ordonnateur de paiement. De ce fait, l'administration ne devient qu'un instrument aux mains de ces présidents. Sans oublier les abus de pouvoir et le non-respect des dispositions réglementaires. Je sais qu'il y aura une forte opposition de la part de ces présidents à ce projet, car il va mettre fin à cette hégémonie. Comment la MGPAP compte-t-elle s'en sortir ? Un an après cette dissolution, la situation financière est encore difficile. Pour qu'on puisse remonter la pente, il faudra adopter des procédures comptables, administratives et financières claires et transparentes, renforcer les outils de contrôle et d'audit, mettre un terme aux abus, respecter les dispositions réglementaires, mettre à niveau l'administration et mettre fin aux pratiques illégales qui ont eu, malheureusement, des conséquences catastrophiques sur cette mutuelle.