Le Haut commissariat au Plan vient de mettre en place un indice de confiance des ménages (ICM). On en avait bien besoin pour rationaliser des discours intuitifs et trop personnels. Un ami médecin, dont les affaires vont au plus mal, me parle depuis des années de «la profonde crise que vit le Maroc». Il ne lit dans l'actualité que les difficultés qui confortent et expliquent sa situation et il a de l'avenir une vision très pessimiste. Ce qui le pousse, en homme averti, à ne pas «dilapider» son énergie pour améliorer sa situation. Aujourd'hui, il me suffit de jeter un coup d'œil à l'indice du HCP pour me rendre compte, et de manière scientifique, que mon ami n'est pas le seul à avoir le moral au plus bas. Dans quelle mesure la lecture de l'indicateur ICM ne contribuera-t-elle pas à fabriquer un peu notre moral ? Vieille question qui revient sur le devant de la scène avec la crise grecque. Question de notation L'Europe, qui faisait trembler les économies émergentes en imposant des normes à respecter et des seuils à ne pas dépasser, frissonne à son tour à l'idée que des agences de notation donnent de ses performances économiques une image peu reluisante. Cela a au moins le mérite de venger un peu notre orgueil, nous que les classements internationaux mettent souvent avec les derniers de la classe. Plus que la fragilité de l'économie grecque, dont l'entrée dans la zone euro avait en son temps suscité plusieurs commentaires, les projecteurs se sont braqués sur les agences de notation. Leur pouvoir a été mis en avant au point qu'on a voulu même trouver dans leurs notations l'explication de la crise actuelle. Les notations font désormais partie du paysage politico-économique. Aujourd'hui, personne ne doute de l'importance de l'économie de l'intelligence, non seulement dans le sens de savoir mais aussi dans celui de renseignement. Il faut être constamment à l'affût parce que tout change rapidement. Les politiques ne peuvent plus se passer des sondages pour gouverner. Ils ont besoin d'information pour agir et corriger le tir. L'importance du rôle que jouent désormais les instituts de sondage en Europe a amené plusieurs observateurs à se demander si les sondages n'orientent pas en fin de compte les sondés dans un monde submergé d'informations ? La puissance des agences de notation L'économie, évoluant désormais dans un monde complexe et changeant, a elle aussi besoin d'outils pour s'orienter. Ces outils de navigation doivent être fiables et crédibles. Nos responsables ont souvent reproché aux notations internationales la carence méthodologique et le manque de fiabilité. Pour la Grèce, l'Espagne et le Portugal, la question est tout autre. Elle n'est ni une remise en cause des méthodes, ni une suspicion sur la neutralité des agences. On reproche à ces dernières de ne pas être un peu «politiques». Autrement dit, on trouve qu'elles ont fait preuve de trop de rationalité, trop de distance, de ne prendre en considération que des chiffres et des faits sans se soucier de l'impact de leur notation sur l'économie. Ainsi, le patron du FMI n'a pas hésité à affirmer qu'il ne faut «pas trop croire les agences». Agit-il en homme politique qui pense qu'un mal peut être soigné s'il est soigneusement caché, ou est-ce l'économiste chevronné qui parle et qui sait que les prévisions ne sont forcément que des spéculations drapées dans une couverture scientifique ? On a aussi reproché à ces agences de s'être manifestées un peu tard pour la Grèce. Elles n'auraient donc pas joué le rôle d'indicateur qui aurait permis de corriger des erreurs. C'est pour pallier ce travers que les mêmes agences ont anticipé la dégradation de l'Espagne. En faisant cela, elles ont entraîné dans leur mouvement les Bourses européennes, qui ont frémi un moment avant de se ressaisir. Dans les deux cas, les agences ont fait les frais d'une critique qui semble incriminer le messager qui apporte la mauvaise nouvelle comme s'il en était l'instigateur. Contrôler la communication En réalité, c'est le fait que ces notations soient publiées qui pose problème. Elles déterminent les risques courus par les investisseurs et influencent les taux du crédit. C'est un peu la même chose quand nos dirigeants s'offusquent d'un classement défavorable. Ils sont beaucoup plus contrariés par sa publication que par la réalité qu'ils connaissent forcément. On a beaucoup parlé ces derniers jours du rapport de la Cour des comptes. L'information, là aussi résidait plus dans la publication de ce rapport que dans «les indiscrétions» qui ne constituaient pas de véritables révélations. C'est donc bien de la puissance de l'information et de la communication dont il est question. On se targue parfois d'être dans l'ère de la communication comme si cela signifiait forcément la victoire de la transparence. Aujourd'hui, la communication à outrance impose une gestion de l'information qui pourrait d'ailleurs n'être qu'un euphémisme pour signifier «contrôler» et «manipuler». La différence entre les régimes dictatoriaux et les régimes démocratiques réside dans la réponse que chacun apporte à la question de l'information. Les deux savent que celle-ci peut être dévastatrice. Mais alors que les premiers s'acharnent à contrôler sa circulation, les seconds la laissent circuler en la contrôlant. Malgré tout, la communication des indices reste indispensable. Si en étant négatifs, ils compromettent les projets, une bonne notation est un avantage indéniable. Si on voit les choses de ce côté, il est certain que notre ICM pour le prochain trimestre enregistrera une bonne performance. La juste note Les notations scolaires américaines ont le goût exotique des choses qui nous fascinent par leur éloignement. Alors que les Français s'attachent aux chiffres pour évaluer avec une précision qui se veut chirurgicale, les Anglo-saxons se montrent plus modestes en usant de lettres dont la valeur couvre un large spectre. C'est probablement parce qu'elles sont anglo-saxonnes que les agences de notation financière, Moody's, Standard & Poor's et Fitch Ratings, ont opté pour un système de notation en lettres. Il se peut aussi que ce choix se justifie par le refus de donner à une note une interprétation si ridiculement étriquée. Il y a des professeurs qui pensent qu'il ne faut pas transiger avec les notes. Ils les distillent avec parcimonie et pensent qu'ainsi, ils couperont court aux illusions du savoir que nourrissent les élèves quand ils ont de bonnes notes. D'autres cherchent au contraire à se montrer généreux pour pousser les élèves à fournir plus d'effort. Dans tous les cas, il n'y a pas pire moment pour un professeur que d'apposer sur la feuille un chiffre censé représenter la valeur réelle du travail fourni. À ce moment fatidique, certains essayent de se représenter la portée réelle de leur geste. Le professeur aura alors tendance à majorer sa note en fonction de la connaissance qu'il a de l'élève. Il tiendra compte de son histoire, des efforts fournis, voire de ses conditions personnelles. Et s'il feint parfois d'être indifférent, c'est seulement pour cacher le débordement humain qui ne sied pas à la rigueur d'un juge. Ce sont ces qualités que certains gouvernements voudraient trouver dans les agences de notation financière. Le problème est que les investisseurs et les prêteurs, qui payent les agences, voudraient eux qu'elles soient encore plus sévères.