L'économiste Philippe Chalmin, spécialiste des matières premières, a présenté jeudi dernier à Casablanca le 25e rapport CyclOpe. Une synthèse de l'évolution des marchés des matières premières et des commodités pour l'année 2011, pris dans le spectre du printemps des peuples. «Jamais le monde n'a été aussi instable. Une seule certitude : demain, le prix du blé, du Dollar ou encore du DAP (engrais à base de phosphate, ndlr) ne sera jamais le même», s'exclame Philippe Chalmin, au cours de sa brillante présentation à Casablanca, du 25e rapport CyclOpe. Le bilan de cette année est celui d'un choc et du «passage du stable à l'instable», estime-t-il. En avril 2011, lorsque le rapport s'apprêtait à être publié, les prix des marchés mondiaux n'avaient jamais été aussi haut et certaines matières premières culminaient à des prix alors supérieurs à ceux du pic de juin 2008. Les raisons de telles fluctuations ? D'un côté, une offre marquée par le manque d'investissements, les incidents climatiques et les évènements géopolitiques, de l'autre, la demande entraînée par une croissance économique mondiale de l'ordre de 5 % en 2010 et une production industrielle en hausse de 15 %. Une situation qui entraîne des déséquilibres entre offre et demande, auxquels s'ajoute un zeste de spéculation. Détaillant le bilan 2011, Philippe Chalmin revient tout d'abord sur le marché des énergies qu'il qualifie de «raisonnable». L'équilibre énergétique a été fortement modifié avec l'exploitation des gaz de schistes, qui a multiplié par trois les réserves de gaz aux Etats-Unis. «Une innovation technologique majeure», estime l'économiste. Mais depuis la publication du rapport en mars, l'accident de Fukushima a entraîné une modification des choix énergétiques, avec l'annonce par plusieurs pays de leur sortie du nucléaire. Un changement qui devrait se refléter dans le rapport CyclOpe 2012. Sur le plan des matières premières industrielles, les marchés sont montés au plus haut mais se réajustent peu à peu. Le prix du cuivre a passé la barre des 10 000 dollars la tonne début 2011 en raison d'une forte demande de pays émergents comme la Chine ou le Maroc, pour les installations électriques dans les constructions immobilières. La société d'étude CyclOpe rédige chaque année depuis 1986 un rapport annuel sur l'évolution des marchés des matières premières et des commodités. Réuni autour de Philippe Chalmin, professeur à l'Université Paris-Dauphine, une soixantaine d'experts internationaux travaille à la rédaction de cette synthèse. Soutenu par une trentaine d'entreprise, le rapport est publié en français, en anglais et, pour la deuxième fois cette année, en chinois. Même hausse sur le marché du caoutchouc, qui a eu la palme de la hausse la plus importante en 2010 avec 89 %, ou encore le coton dont le prix s'est envolé début 2011, avant que des mécanismes de substitution ne se mettent en place. Enfin, sujet-clé des enjeux géopolitiques actuels, les matières premières alimentaires ont quant à elles connu une nouvelle flambée. Les marchés qui s'enflamment ne sont pas les mêmes que ceux de 2008. Ainsi, le blé ne connaît pas la hausse de juin 2008, malgré une envolée en février 2011, due aux achats de précaution dans le contexte des révolutions arabes. En revanche, le maïs ou le soja connaissent des hausses plus élevées qu'en juin 2008, générant de fortes tensions sur les marchés. «Ce 25e rapport est paré du sous-titre « Le printemps des peuples et la malédiction des matières premières». Et pour cause, pour analyser ces résultats, Philippe Chalmin a établi un parallèle entre le printemps arabe et le printemps 1848 lorsqu'un vent de révolte a soufflé sur l'Europe. «Le printemps 48, que l'on a appelé le printemps des peuples, est un ensemble de déséquilibres, dont les dernières étincelles ont été les révoltes de la faim», s'exclame-t-il. Une situation qui n'est pas sans rappeler le déclenchement des révolutions arabes, où le prix du blé, du sucre et de l'huile ont mis le feu aux poudres sociales. Que nous apprend alors cette corrélation entre prix des matières premières et bouleversements politiques ? L'importance et l'urgence de remettre les questions alimentaires sur le dessus de la pile. «Le défi alimentaire est un défi majeur. Le problème des peuples est de manger. Encore en 2011, la faim peut renverser les régimes», analyse-t-il, illustrant ainsi ce qu'il nomme la «malédiction des matières premières». «Les matières premières sont une des clés de lecture des évolutions géopolitiques», conclue-t-il.