Hier s'est tenue la réunion du Conseil du gouvernement. Une réunion qui s'annonçait houleuse à cause des nouveaux cahiers des charges relatifs aux médias publics. Mais au-delà de la polémique politicienne, ce sont deux conceptions de la société qui se font face. Pour Mustapha El Khalfi, les déclarations du patron de 2M « démontrent la volonté de résistance à réformer la deuxième chaîne ». Un peu plus de deux semaines se sont écoulées depuis que les cahiers des charges de la SNRT et de la SOREAD-2M ont été approuvés ; et pourtant, la polémique ne cesse d'enfler. La quasi-totalité des titres de presse parus hier en ont fait leur « une », tandis que la réunion du Conseil du gouvernement devait être promise à des accrochages entre le ministre de la Communication Mustapha El Khalfi et d'autres ministres ayant publiquement montré leur désapprobation vis-à-vis de la décision du jeune PJDiste. Nombreux sont les médias qui se sont avancés sur une éventuelle scission au sein du gouvernement, prenant comme preuve la double désapprobation des ministres du MP et du PPS à l'encontre de l'initiative entreprise par leur collègue du PJD. Car au sein de la même majorité dirigée par les islamistes, des dissensions sont apparues. Si le ministre de la Jeunesse et des sports a critiqué l'interdiction de la publicité pour les jeux de hasard, prétextant un manque à gagner qui nuirait à la construction d'infrastructure dédiée à la pratique du sport pour les jeunes ; le ministre PPS Nabil Benabdellah, par ailleurs ancien ministre de la Communication, s'est à son tour insurgé contre l'approbation des cahiers des charges, en ne manquant pas de rappeler que ladite approbation se serait faite en dehors de toute discussion au sein du Conseil du gouvernement. Quand Salim Cheikh sort de sa tanière L'opposition, par la voix d'Ahmed Reda Chami, un des leaders de l'USFP, s'est à son tour fondue dans une tribune publiée dans un hebdomadaire de la place, déclarant ses craintes de voir le Maroc renoncer à sa tradition d'ouverture et de tolérance « J'appelle donc le gouvernement à repenser ces cahiers des charges qui remettent en question l'accumulation d'acquis sociétaux qui font du Maroc un havre de paix, d'ouverture et de tolérance », avait-il d'ailleurs lancé. Même son de cloche du côté de Salaheddine Mezouar, leader du RNI. Ce dernier a jugé « scandaleuse la manière dont a été piloté le dossier, surtout qu'il touche les libertés des citoyens et la diversité de la société », dans une déclaration à nos confrères de L'Economiste. Mais il n'y a pas eu que les politiques qui se sont immiscés dans cette polémique, les médias et leurs acteurs sont aussi montés au créneau. Le plus remarqué d'entre eux a été Salim Cheikh, le directeur général de 2M. L'homme, connu pour sa discrétion, s'est cette fois-ci ouvertement déclaré contre l'initiative d'El Khalfi, son ministre de tutelle. Acceptant d'assister à une émission sur Aswat, Cheikh est allé jusqu'à dire que l'initiative d'El Khalfi « menaçait l'indépendance et le caractère moderne et ouvert de la deuxième chaîne ». Salim Cheikh ne semble pas être esseulé dans sa croisade, puisque bien des titres de presse semblent le suivre dans sa condamnation. « Le dialogue que beaucoup fuient » Les libéraux de L'Economiste et de La Nouvelle Tribune, les socialistes de Libération, qui ont relevé dans leur numéro de jeudi « Le Silence des Sages » de la HACA, ou encore Al Ahdath Al Maghribiya. Tous ces journaux ont montré leur désapprobation à l'égard du chamboulement promis par El Khalfi. Dos au mur médiatiquement, Mustapha Khalfi a imputé la campagne lancée à son encontre au désir de résister au changement démocratique. Pour lui, les déclarations du patron de 2M « démontrent la volonté de résistance à réformer la deuxième chaîne », a-t-il déclaré au portail d'information Hespress. D'autre part, le porte-parole du gouvernement n'est soutenu que par quelques titres de presse, parmi eux Attajdid, tandis que les organes de presse de l'Istiqlal, principal allié du PJD au gouvernement, évitent soigneusement d'en parler. L'ampleur du tohu-bohu suscité par l'initiative du jeune ministre peut soulever bien des questionnements. Mauvaise foi Le cahier des charges proposé par El Khalfi peut être taxé de réactionnaire, ou même identitaire. Mais le ministre islamiste n'est-il pas dans son rôle ? Lui, qui est d'abord un homme politique, issu d'une formation conservatrice. Sans oublier que les prochaines élections, communales et régionales, ne sont plus qu'à quelques mois. Dans son éditorial dans Akhbar Al Yaoum, Taoufik Bouachrine n'a pas hésité à pointer du doigt ce qu'il apparente à une mauvaise foi de Salim Cheikh, lui demandant pourquoi n'était-il pas monté au créneau lorsque la deuxième chaîne évitait de parler des manifestations du 20 février, ou lorsqu'elle dressait une liste noire des personnalités politiques ou autres qui'il ne fallait absolument pas inviter sur les plateaux. « Le vrai dialogue que beaucoup fuient, a écrit l'éditorialiste, est le professionnalisme et l'indépendance des médias envers les pouvoirs de l'argent et de la politique, et des lobbys francophones et non-francophones ». Car si deux Maroc semblent s'affronter suite à la polémique des cahiers des charges, l'on oublie parfois cette fameuse phrase de Zhou Enlai, « Que deux éléphants se battent ou qu'ils fassent l'amour, c'est toujours l'herbe qui se trouve dessous qui est écrasée » !