En conclusion des pages qu'il me donna pour figurer dans l'anthologie Littératures méditerranéennes et horizons migratoires (La Croisée des chemins, 2011), François Meyronnis s'attachait à la figure pour lui consolatrice, lorsqu'il était écolier, d'un Souabe, « contemporain de Gengis Khan et de François d'Assise, régnant depuis sa cour de Palerme, entouré de poètes et d'astrologues, [...] La chronique de Salim JAY En conclusion des pages qu'il me donna pour figurer dans l'anthologie Littératures méditerranéennes et horizons migratoires (La Croisée des chemins, 2011), François Meyronnis s'attachait à la figure pour lui consolatrice, lorsqu'il était écolier, d'un Souabe, « contemporain de Gengis Khan et de François d'Assise, régnant depuis sa cour de Palerme, entouré de poètes et d'astrologues, sous la protection d'une garde arabe. Autant l'avouer : son nom revêtait pour moi un prestige obscur ». Cette fascination tentait à une phrase de ce Frédéric II : « En dépit des malheurs, nous ne courbons d'aucune manière notre esprit altier. » On peut sourire d'une si orgueilleuse référence tournaillant dans la carafe d'un enfant. Mais, pour sourire, il faudrait ne pas avoir lu Tout autre (Gallimard, L'infini, 2012) où sont retravaillées les pages qui me furent confiées et qui voisinaient donc, à la faveur de cette anthologie, avec des extraits d'œuvres d'Albert Cossery et de Taha Hussein, de Mohamed Khaïr-Eddine et de Leonardo Sciascia, d'Albert Camus et d'Abdelkader Djemaï, de Mahmoud Wardany comme de Marie N'Diaye, en tout une soixantaine d'écrivains originaires des deux Auteur de plusieurs essais et romans, François Meyronnis est également co-animateur de la revue Ligne de risque. rives de la Méditerranée. La présence de François Meyronnis (de son vrai nom Pierre-Francis Marietti) se justifiait par mon goût pour les écrivains réfractaires. Né à Paris en 1961, Meyronnis est le petit-fils d'un homme qui introduisit la gymnastique pour femmes en Italie. C'est la gymnastique de l'esprit qui occupe l'auteur de Tout autre, sans la moindre attirance pour les élucubrations avantageuses de ceux qui font semblant et sont récompensés de leurs prouesses factices. Aussi n'est-il pas étonnant que la lecteur de Tout autre (sous titré une confession) nous révèle de façon incontestable, un poète écrivant en prose en descente aux fins fonds de soi. Le beau nom de poète est l'un des plus difficiles à mériter. Mais comment appeler autrement quelqu'un qui écrit dès le premier paragraphe de son ouvrage : « On s'est toujours moqué de moi impunément » ? Plus loin, il avoue son crime : « ... Je ne me suis jamais soumis à la loi du travail ». Meyronnis est donc bien « tout autre », encore qu'il bénéfice fort heureusement de la sollicitude familiale. Mais appartient-il à une famille d'esprit déterminée ? En se révoltant contre « la manière dont on s'acquitte de penser », Meyronnis ouvrait un chantier démesuré dont il entend constituer les fondations avec plus d'autorité qu'un idiot cherchant village. Méditerranéen ? « En France, on se cramponne à un brelan d'idées sur la Corse, à un autre brelan sur la Toscane ; après cela, on s'imagine détenir une connaissance sur ce que ces mots recouvrent. C'est pour éviter qu'on épingle de tels poncifs que j'ai inventé la Sardaigne. Aussi parce que je suis corse et toscan, et qu'à ces deux noms, malgré les parentés, ne se joignent pas les mêmes invisibles. (...) chez moi, la Sardaigne. Aussi parce que je suis corse et toscan, et qu'à ces deux noms malgré les parentés, ne se joignent pas les mêmes invisibles. (...) Chez moi, la Sardaigne est une fiction ». Son refus de l'assignation à résidence est autant plus intense que notre auteur se partage entre les livres qu'il lit dans son petit appartement parisien et ce qu'il écrit à la table d'un café du boulevard Montparnasse où je le voyais déjà à l'œuvre longtemps avant la publication de son roman Ma Tête en liberté (Gallimard, l'Infini, 2000). Que nous dit-il dans Tout autre ? « Les gens de bien, je ne les aime pas : cette engeance ne m'a jamais plu, ni sa tartuferie horripilante. Un élan vers la dissidence, à la racine, dissuade toute mise en conformité ». La langue est la grande affaire de la vie de François Meyronnis qui ne fait pas mystère de sa dette : « ... un petit nombre d'écrivains, et des bouts de sacré venant de plusieurs traditions ». La protestation ardente contenue dans Tout autre -une confession surgit comme une réponse à la constatation d'une déperdition : « ...comment ne pas se faner d'ennui dans un pays qui ne connaît plus rien tellement il a perdu sa langue ? (...) Quant à ces bulles de savon, les romanciers, regardez comme ils se méprisent eux-mêmes avec des cris sinistres ! ». En nous donnant à méditer une « biographie de la parole» attestée, François Meyronnis serre la main du fantôme de la liberté. Tout autre vit et vibre. On ne s'en débarrassera pas d'un haussement d'épaule, car ce livre n'en finit pas de parler à qui en redécouvre, à chaque page, l'ardeur jamais désinvolte et la vraie force d'entraînement. * Tweet * *