Organisée le jeudi 22 mai 2025 par le Policy Center for the New South (PCNS), la 2ème édition de la conférence-débat sur l'Afrique atlantique, s'est structurée autour de quatre panels et d'une conversation, qui ont permis d'aborder le nouveau rôle de la place de l'Afrique atlantique qui prend de plus en plus de place dans les transformations internationales en cours. L'Afrique atlantique, de la côte ouest africaine jusqu'aux îles du Cabo-Verde, est au cœur des mutations mondiales actuelles et joue un rôle croissant en raison de sa position géographique stratégique. Les pays de cet espace bénéficient de la montée en puissance de nouvelles économies émergentes, mais aussi de l'essor de la coopération Sud-Sud, qui remet en question l'ancienne logique des relations Nord-Sud. Dans son discours d'allocution, Jamal Machrouh, Senior Fellow au Policy Center for the New South a affirmé qu'« entre le potentiel dont disposent les pays africains atlantiques et les moyens il y a un gap et c'est pourquoi une mutualisation des moyens peut être salutaire pour répondre aux défis. » Panel 1 : « Processus des Etats d'Afrique Atlantique, comment bâtir une identité fédératrice ? » Après un rappel historique et géopolitique, Amadou Tall, Expert senior en gouvernance et économie bleue, a mis en avant aux cadres continentaux existants, dont l'Agenda 2063 et la Stratégie maritime intégrée de l'Union africaine, pour transformer cet espace en hub de prospérité partagée, notamment pour les pays enclavés. Et a ajouté : « Le Maroc, à travers son initiative, a démontré la portée concrète de son engagement. Le processus est clair, aligné avec l'Agenda 2063, ce qui a conduit l'Union africaine à encourager sa poursuite. » De son côté, Zein El Abidine Med Salem, Directeur des statistiques et de l'analyse économique de la Banque Centrale de Mauritanie, a souligné les retards logistiques freinant cette intégration, notamment le manque d'infrastructures portuaires et routières. Bien que les ports du Sénégal et de la Mauritanie jouent déjà un rôle vital pour les pays enclavés du Sahel, leur capacité logistique demeure insuffisante. Abdelhak Bassou, Senior Fellow au Policy Center for the New South, a rappelé que l'initiative atlantique marocaine, la création du port de Dakhla et la mise en œuvre de projets concrets tel que le gazoduc Nigéria-Maroc s'inscrivent dans cet objectif de renforcement des capacités. Il a aussi alerté sur les risques sécuritaires croissants, en particulier la propagation de l'extrémisme violent. Pour ce qui est de la construction d'une identité régionale, tous les intervenants se sont accordés sur un point essentiel : la réussite du processus atlantique repose sur l'appropriation populaire. Elle se construit à partir des besoins, des représentations et des trajectoires des populations riveraines. C'est à cette condition que l'Afrique atlantique pourra incarner un projet politique fédérateur. Lire aussi : Le Policy Center for the New South relance le débat sur l'intégration de l'Afrique Atlantique Panel 2 « Gouvernance maritime et connaissance du milieu marin » Les intervenants ont tout d'abord évoqué l'importance de la connaissance scientifique du milieu marin comme socle fondamental de toute stratégie maritime. La Marine royale marocaine a affirmé à travers son représentant, le Capitaine de Vaisseau Mostapha Tafrhy, que la connaissance du milieu marin est une priorité nationale, et qu'elle adopte une approche proactive pour améliorer sa connaissance dans ce domaine. Les panélistes ont également rappelé que l'Afrique atlantique dépend fortement de ses ressources halieutiques pour son économie, sa sécurité alimentaire et ses emplois. Dienaba Beye, Juriste internationale, a attesté que « la zone ouest-africaine présente les meilleures conditions naturelles pour la reproduction des espèces maritimes. Cela en fait une région très convoitée, mais également surexploitée. » Elle a détaillé les pressions qui pèsent sur le secteur de la pêche : la surcapacité et la pêche illégale, la pollution, le réchauffement climatique, et la désorganisation institutionnelle régionale. Driss Tazi, Conseiller au secrétariat exécutif du COMHAFAT (Conférence Ministérielle sur la Coopération Halieutique entre les Etats Africains Riverains de l'Atlantique), a insisté sur l'existence de réseaux d'échange entre spécialistes du domaine. De même, la COMHAFAT est la preuve d'une dynamique politique en cours du renforcement de la complémentarité entre les Etats membres. Les intervenants n'ont pas manqué de souligner le déséquilibre que le manque d'accès à la mer crée entre Etats littoraux et enclavés. Benjamin Sa Traoré, Professeur à la FGSES de l'université Mohammed VI Polytechnique, a déclaré que l'initiative royale place cette question au cœur de la coopération régionale atlantique. Selon lui, cet accès représente un enjeu vital conférant autonomie stratégique et survie économique et sécuritaire aux Etats du Sahel central. Le droit d'accès à la mer est reconnu par le droit international et par les accords régionaux, notamment au sein de la CEDEAO, mais que sa mise en œuvre nécessite une diplomatie active et un cadre de gouvernance clair. Conversation avec Emelia Arthur, Ministre de la Pêche et de l'aquaculture, République du Ghana Lors de sa discussion avec Mohammed Loulichki, Senior Fellow au Policy Center for the New South, S.E. Mme Emelia Arthur a posé le ton : « Nous avons tout au sein de l'Union Africaine mais nous ne tenons pas nos promesses. » Derrière cette phrase, un constat lourd : l'Afrique regorge de ressources maritimes mais peine à les gérer de façon souveraine et durable. Face à la pêche illégale pratiquée par des navires étrangers et au déclin des stocks halieutiques, la ministre plaide pour un retour à une gouvernance fondée sur un équilibre subtil entre savoirs traditionnels et modernité, incluant les jours de repos dans la pêche, la formation, les technologies de surveillance et les équipements de patrouille. Panel 3 « Economie Bleue et infrastructures : leviers de convergence en Afrique atlantique » L'économie bleue constitue un levier stratégique pour la croissance, le développement social et la durabilité environnementale. Siham Fellahi, Inspectrice des finances co-coordinatrice UGP, a appelé à une gouvernance plus coordonnée, intégrée et participative, ancrée dans les territoires à travers une coordination verticale (Etat-régions) et horizontale (intersectorielle). Abdelkerim Souleyman Terio, Directeur général du fonds d'entretien routier, et ancien ministre des Transports, a évoqué les freins : l'enclavement structurel du Sahel, la faiblesse des corridors logistiques et les déséquilibres d'accès à la mer. Pour y remédier, il plaide pour la mise en place de corridors multimodaux sécurisés et l'harmonisation des cadres réglementaires connectant le Sahel aux ports atlantiques. Abdelmalek Faraj, Consultant maritime, a mis en avant le rôle transversal de la recherche scientifique pour une gestion fine des ressources halieutiques, ainsi que le renforcement de la coopération régionale et de la structuration des chaînes de valeur au-delà de l'exportation brute. Enfin, Bolanle Olotu, Analyste maritime indépendante et ancienne Responsable du port de Calabar et du port de Lagos Apapa, a rappelé que l'économie bleue ne se résume pas aux ports et au transport maritime : elle doit devenir un moteur de transformation économique, sociale et culturelle, guidée par des solutions africaines, portée par la stabilité institutionnelle et l'implication de la jeunesse. Selon elle, l'océan ne doit plus être perçu comme une frontière, mais comme un lien entre les nations atlantiques. Panel 4 « Connectivité énergétique et logistique en Afrique atlantique » Le projet de gazoduc Nigeria-Maroc, présenté par Mohammed Benzaria, Directeur général de la filiale OMCo à l'ONHYM, vise à relier 13 pays sur 6 900 km, incluant les Etats enclavés du Sahel. Développé par des équipes africaines, ce projet vise à garantir la sécurité énergétique, à stimuler l'intégration régionale et à préparer un corridor futur pour l'hydrogène. Bouchra El Hayani, Directrice de la coopération internationale de MASEN, a rappelé le rôle structurant de l'institution pour dépasser 52 % de mix renouvelable d'ici 2030, avec des projets concrets à l'échelle du continent : du solaire pour les hôpitaux et universités au Tchad, des chambres froides autour du lac Tchad, ou encore la conversion du diesel au solaire au Burkina Faso. En parallèle, le Maroc se positionne comme hub de l'hydrogène vert, via une stratégie de coopération Sud-Sud et la signature de plus de 14 protocoles d'accord avec des pays africains. Pour Oluwabamise Olanrewaju, Directrice du pôle de l'infrastructure énergétique au Nigeria Energy Forum, l'accès à une énergie fiable, abordable et abondante est fondamental pour l'industrialisation, la digitalisation et l'inclusion. Elle appelle à renforcer les interconnexions régionales, à soutenir les projets communautaires et à harmoniser les cadres réglementaires. La connectivité énergétique doit s'appuyer sur des hubs locaux, des partenariats publics-privés et des stratégies coordonnées. Tous les intervenants ont conclu sur la nécessité d'une volonté politique forte et d'une mobilisation collective pour réussir l'intégration énergétique du continent.