La loi 43-13 relative à l'exercice des professions infirmières est dans le collimateur. En rogne, les infirmiers réclament la révision de son texte et de ses décrets d'application. Proclamant leur indépendance, ils appellent à la création immédiate de l'Ordre des infirmiers pour organiser la profession. Par Hayat Kamal Idrissi
Les infirmiers reviennent à la charge. L'objet de leur colère cette fois, la loi 43-13 relative à l'exercice des professions infirmières d'urgence et soins intensifs, d'infirmier en maladies chroniques ou d'infirmier en pédiatrie, en médecine néonatale et des prématurés et ses décrets d'application proposés à l'homologation ce jeudi 01 avril 2021 par le Conseil du gouvernement. Loi décalée
« Le vrai problème n'est pas lié aux décrets d'application mais il réside plutôt dans la loi elle-même. Certains de ses articles doivent être changés car inadaptés à la réalité de la pratique de la profession », nous lance d'emblée Mustapha Jaa, Cadre au ministère de la santé et chercheur en droit de la santé. Décortiquant le texte controversé de la loi 43-13, le spécialiste désigne deux articles particulièrement contestés. « L'article 12 par exemple. Il interdit à l'infirmier tout refus de pratiquer un geste en dehors de sa spécialité ( six spécialités en l'occurrence). C'est à dire que lorsqu'on ordonne par exemple à un infirmier polyvalent de pratiquer une anesthésie, il n'a pas le droit de refuser », nous explique Jaa. « Et c'est absolument absurde ! Car chaque spécialité est une formation à part avec des compétences et des connaissances particulières. Avec cet article là, on favorise tout simplement la faute médicale », argumente le chercheur. « Des textes de loi décalés de la réalité qui sont élaborés d'une manière improvisée sans concertation avec les professionnels et les spécialistes du domaine qui, eux, ont une véritable connaissance du secteur », analyse le spécialiste en droit de santé. Même constat de la part de Abdelilah Asaissi, président de l'Association marocaine des infirmiers anesthésistes qui déplore une « rupture » entre le législateur et la réalité sur le terrain. « Après de longues années d'attente, les infirmiers sont aujourd'hui déçus par le contenu des décrets d'application de la loi 43-13 qui restent bien loin de la réalité dans les hôpitaux. Un décalage flagrant causé notamment par la prise de décision centralisée et l'absence de toute coordination et coopération dans l'élaboration des textes de loi et de décrets d'application, avec les parties concernées », fustige Asaissi.
A quand l'Ordre des infirmiers ?
Par parties concernées le président de l'AMIAR désigne en effet l'Ordre des infirmiers. « Qui n'arrive toujours pas à voir le jour malgré toutes les tentatives des associations professionnelles et des syndicats représentants des infirmiers », s'insurge de son côté Hamza Ibrahimi, responsable communication du Syndicat marocain de la santé publique. Projet bloqué depuis de longues années, l'Ordre des infirmiers serait la clé de toute cette problématique comme l'affirme le président de l'AMIAR. « L'article 20 de la loi 43-13 est l'objet principal de cette grogne. Les infirmiers réclament l'indépendance de leur profession et refuse la tutelle des médecins lorsqu'il s'agit d'accorder l'autorisation pour pratiquer le métier en libéral », nous explique de son côté Jaa. En effet, les infirmiers refusent en particulier l'article 6 du décret 2-19-83 stipulant que l'autorisation de pratiquer le métier est accordée par la tutelle en concertation avec l'Ordre des médecins. En rogne, l'Association marocaine des sciences infirmières et techniques sanitaires représentée par son président Habib Kerroum est passée à la vitesse supérieure ce jeudi, en rendant public un communiqué d'indignation au ton grave. « Cette loi est franchement et profondément dévalorisante pour l'infirmier. Pourquoi placer les infirmiers sous la tutelle de l'Ordre des médecins alors qu'ils doivent disposer eux aussi de leur propre ordre, en toute indépendance de toute autre institution », réclame-t-on dans ce communiqué. Même réaction et même incompréhension auprès du Syndicat national de la santé publique. « Pourquoi donc concerter les médecins dans une affaire qui concernent les infirmiers. La loi dit « en concertation avec l'ordre des médecins ou avec l'ordre des infirmiers si toutefois il y en a ! ». Pourquoi cet ordre peine à venir malgré toutes les tentatives et les propositions faites par les associations et les syndicats représentants des infirmiers toutes spécialités confondues », s'interroge de son côté Mustapha Jaa. Volonté politique
Pour Hamza Ibrahimi, le porte parole du syndicat national, ce blocage est tout simplement question de volonté politique. « Nous réclamons la création de cet ordre depuis 2006 en vain. En Avril 2021, toujours pas de prémices alors que rien n'empêche sa création. C'est juste une question de volonté politique. La preuve : Les décrets d'application qui ont du attendre depuis 2015 pour n'arriver qu'en 20121. C'est assez éloquent », soutient Ibrahimi. Selon ce dernier ce sont 34.000 infirmiers à exercer dans les secteurs public et privé confondus. 80 % des actes médicaux sont prodigués par les infirmiers. 80 % du corps du texte légal réglemente la pratique de la profession dans le secteur libéral alors que 90 % des infirmiers exercent dans le public. Des spécialités et des statuts qui diffèrent mais qui s'accordent tous sur la nécessité et l'urgence de la création d'un ordre en charge de la profession. « Il y a trois voies pour créer l'ordre : Par décret royal, par décret du premier ministre ou suite aux projets et autres propositions des associations professionnelles et des syndicats. Ces derniers se constituant en un ordre, ils doivent être homologués par le ministère de la santé », nous explique Ibrahimi. Ce dernier rappelle d'ailleurs qu'un accord a été établit, du temps de Yassmina Badou, entre le gouvernement et les centrales syndicales pour le lancer mais le projet est resté lettre morte.
Quel impact de l'absence d'un Ordre des infirmiers
« Cet impact est plus sensible dans la pratique de la profession dans le secteur privé et libéral. Dans le secteur public, la profession est déjà gérée par le code de la fonction publique même si contenant beaucoup de lacunes », rajoute Ibrahimi. Mais pour l'activiste syndicaliste la principale lacune reste l'absence d'un référentiel des emplois compétences (REC) des infirmiers. « Le REC devrait définir les responsabilités de chacun avec la définition d'un profil emploi et un cahier de charges clair et précis », détaille-t-il. Pour Mustapha Jaa, beaucoup d'affaires ont entrainé des infirmiers devant les tribunaux car ils étaient obligés de pratiquer des gestes médicaux qui leur sont interdits par la loi. « Et c'est justement là le rôle principal de cet ordre tant attendu : Organiser la profession, définir qui a le droit de pratiquer, le profil d'emploi et les compétences et les diplômes et qualifications requis pour pouvoir pratiquer en toute légalité. Ceci tout en supervisant et contrôlant le bon respect des dispositions légales et de la conformité de la pratique avec les réglementations en vigueur », détaille le syndicaliste. Etre en règle, respecter la réglementation et la loi en vigueur sous la supervision d'une institution dédiée... « Tout ça est finalement pour le bien du citoyen et pour lui offrir des services de santé et des prestations de qualité et en toute sécurité pour l'infirmier et pour le patient », conclut Abdelilah Asaissi. Leur appel sera-t-il enfin entendu ? L'ordre des infirmiers verra t-il le jour finalement ? Affaire à suivre !