La Chambre des représentants a adopté, mardi 20 mai, à une large majorité, le projet de loi n°03.23 portant réforme du Code de procédure pénale. Défendu bec et ongles par Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, ce texte entend aligner la justice pénale marocaine sur les exigences de l'Etat de droit et les standards internationaux, comme le soutient-il. Voté par 130 députés, contre 40 voix défavorables et aucune abstention, le projet de loi a été finalement adopté au bout de huit heures de débat. Un vote qui traduit le poids politique et juridique de ce projet de loi majeur que Ouahbi qualifie de « réforme qualitative et inédite ». Garanties renforcées pour les justiciables Ce nouveau Code, qui vient compléter et modifier la loi n°22.01, introduit plusieurs mécanismes destinés à renforcer les droits des justiciables, comme le soutient Ouahbi en défendant le nouveau texte. Parmi les avancées notables : une meilleure protection du principe de la présomption d'innocence, la place de la défense, les conditions d'un procès équitable, l'interdiction de considérer le silence d'un accusé comme un aveu et un encadrement plus strict de l'enquête préliminaire. Le texte prévoit également une réduction ciblée du recours à la détention provisoire, souvent critiquée, ainsi qu'un accès élargi à la réhabilitation judiciaire, notamment par la simplification des procédures. Une justice adaptée aux réalités actuelles Outre les garanties procédurales, la réforme intègre des mesures adaptées aux nouvelles formes de criminalité, qu'elles soient organisées ou émergentes. L'usage des outils numériques dans le processus judiciaire est désormais consacré, et la protection des victimes, notamment celles de la traite humaine, est renforcée. Cette refonte a été largement nourrie par les travaux de la Commission de la justice et de la législation, qui a examiné plus de 1.300 amendements. Un bon nombre de propositions ont été intégrées tandis que d'autres ont été écartées pour des raisons techniques, logistiques ou budgétaires, note le ministre de la justice devant les parlementaires. Le ministre a insisté par ailleurs sur la portée stratégique de cette réforme, qui complète d'autres chantiers en cours, comme ceux des peines alternatives et de la gestion des établissements pénitentiaires. Un processus qui a pour objectif principal de construire un système judiciaire à la hauteur des mutations constitutionnelles, sociales et technologiques que connaît le Royaume. Critiques des avocats Malgré les avancées annoncées par cette réforme : enregistrement des interrogatoires, médiation pénale, réduction de la détention préventive, les avocats, notamment ceux de l'Association des Barreaux du Maroc (ABAM), dénoncent plusieurs dispositions qu'ils jugent attentatoires aux droits de la défense. Voici leurs principaux griefs : * Garde à vue : Garanties jugées insuffisantes Malgré l'introduction de l'avocat dès la première heure, sa présence reste conditionnée à l'accord du Parquet, et peut être différée. La durée de l'entretien est limitée à 30 minutes. Aussi, l'avocat ne peut-il pas assister aux interrogatoires qu'en cas de mineur ou de personnes en situation de handicap. * Enregistrement partiel Le projet prévoit d'enregistrer uniquement la lecture et la signature du procès-verbal pour les infractions passibles de plus de 5 ans de prison. Un dispositif jugé insuffisant par les Robes noires, qui réclament un enregistrement complet de la garde à vue. Le CNDH appuie cette demande et plaide pour que les avocats aient accès aux enregistrements. * Accès au dossier Pendant l'enquête préliminaire, l'avocat n'a pas accès aux pièces du dossier, ni même aux procès-verbaux avant signature. Même après l'ouverture de l'instruction judiciaire, le juge n'est pas tenu de transmettre les éléments dans les 15 premiers jours. Une faille, selon les avocats, qui empêche la défense d'agir à armes égales et de préparer une défense adaptée. * PV de police, preuve majeure Les avocats dénoncent la « toute-puissance du procès-verbal de police », souvent considéré comme « référence absolue » par les juges. Le texte accentue cette logique selon les Robes noires en particulier l'article 290 qui transforme le PV en constat impératif. Une situation inquiétante selon la profession, qui réclame de placer le PV au même niveau que les autres preuves. * Instruction facultative La réforme rend le recours au juge d'instruction optionnel dans les affaires criminelles. En vertu de l'article 83, il sera désormais possible de passer directement de la garde à vue au procès. Une disposition que les avocats voient comme un affaiblissement du rôle du juge d'instruction et un renforcement du pouvoir du Parquet. Autre source d'inquiétude : les vice-caïds (ou « khalifas ») qui auront désormais le statut de police judiciaire. Leurs constats auront donc la même valeur juridique que les PV de police. Un glissement que beaucoup d'avocats jugent dangereux. * Une réforme sans juge de la liberté Enfin, les avocats réclament la création d'un juge de la liberté et de la détention, pour mieux encadrer les mesures de détention provisoire. Une revendication jugée légitime, mais écartée pour l'instant faute de magistrats. Le ministère reconnaît le problème : le Royaume ne compte que 4.190 magistrats, dont 1.087 procureurs.