Le constat est alarmant. En dix ans, les chiffres du divorce ont bondi de manière spectaculaire. D'après les dernières données du Haut-Commissariat au Plan (HCP), le nombre d'affaires de divorce est passé de 44.000 en 2014 à plus de 67.000 en 2024, soit une progression de plus de 50 % en dix ans. Plus inquiétant encore, le divorce pour discorde (tatliq ach-chiqaq) représente aujourd'hui près de 98 % des dissolutions judiciaires de mariage. Le rapport annuel du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire confirme cette tendance : plus de 178.000 affaires de divorce et de dissolution du mariage ont été enregistrées soit près de 500 dossiers chaque jour devant les tribunaux marocains. Parmi elles, 134.683 concernent la dissolution du mariage et 43.607 le divorce, pour un total de 150.263 de jugements prononcés. Derrière ces chiffres alarmants, se cachent des réalités sociales complexes. « La pression économique, le manque de communication au sein du couple, la mutation des rôles des époux et l'absence de la culture du dialogue, sont autant de facteurs qui fragilisent les liens matrimoniaux et les mettent à rude épreuve dès la première crise affrontée par le couple», explique Mohammed Houbib, président de l'Association nationale de l'assistance sociale dans le secteur de la Justice et expert en médiation familiale. Passerelle entre la loi et l'humain Face à cette montée alarmante du divorce, une lueur d'espoir émerge toutefois : l'assistance sociale, comme le soutient Mohammed Houbib. «L'assistant social n'est pas un simple employé administratif. C'est un médiateur dans le conflit, un accompagnateur dans la détresse et, souvent, le dernier espoir avant que le différend ne se transforme en divorce définitif ». Formés en psychologie, sociologie, droit, techniques d'écoute, de médiation et gestion de conflits, les assistants sociaux jouent un rôle primordial dans la réconciliation. « Présents dans les tribunaux, ils sont sollicités par les juges de la famille pour intervenir auprès de couples en crise, notamment lorsque des enfants sont au cœur du conflit », explique Houbib. Leur rôle ? « Ils préparent un terrain d'entente commun pour les conjoints. Ils écoutent les deux parties avec neutralité, expliquent les répercussions psychologiques de la séparation, notamment sur les enfants et proposent des solutions humaines préservant la dignité des deux conjoints tout en les aidant à prendre une décision raisonnée, plutôt qu'un choix dicté par l'émotion », énumère le président des assistants sociaux. « Personnellement, j'ai traité plus de 300 dossiers de divorce en une année. Au bout de quatre séances de médiations, 23 couples ont finalement renoncé à la rupture et ont opté pour une deuxième chance», raconte l'assistant social. S'imposant aujourd'hui comme une nécessité, la médiation familiale offre un espace d'écoute et de dialogue permettant aux couples d'exprimer leurs griefs sans confrontation directe. Si aupravant les sages de la famille (parents, grands parents) ou de la "tribu" se chargeaient de l'arbitrage et de la réconciliation des couples en discorde, aujourd'hui avec l'évolution de la société marocaine ce rôle est de plus en plus réduit. « Le médiateur familial n'est pas un arbitre. Il n'impose pas de décision ; il rétablit la communication », précise Houbib. Contrairement à l'arbitrage, dont la sentence a une valeur juridique, la médiation familiale cherche avant tout la réconciliation et le dialogue, conformément aux articles 82, 94 et 97 du Code de la famille (Moudawana), comme l'explique le spécialiste. Pénurie Un rôle clé et une intervention opportune qui peut empêcher un divorce, sauver un couple et préserver la cohésion familiale. Pourtant les tribunaux nationaux souffrent d'une grande pénurie de ces acteurs clés. Leur nombre ne dépasse guère 347 assistants. Un chiffre qui reste bien en dessous des besoins réels et en décalage avec le nombre grandissant des affaires de divorce et de dissolution judiciaire. L'assistant doit trouver un terrain d'entente « Heureusement que nous avons actuellement des formations académiques et des masters en assistance sociale dans différentes universités et écoles supérieures qui commencent à nous fournir de nouveaux éléments pour venir en renfort. Il faut aussi noter que nous avons pour la première fois de nouvelles promotions d'assistants parlant l'amazigh (60 lauréats) et maîtrisant le langage des signes pour toucher de plus larges populations. C'est une véritable avancée », souligne Houbib. Recommandations Pour renforcer l'efficacité de la médiation familiale, l'association des assistants sociaux plaide pour une meilleure formation continue, la généralisation des bureaux de médiation familiale dans l'ensemble des tribunaux et de les relier à des programmes de soutien psychologique et social pour les familles et les enfants. « La hausse du taux de divorce n'est pas un simple chiffre dans les rapports, c'est une alerte nationale qui nécessite une mobilisation collective. Pour harmoniser et institutionnaliser les actions des différents acteurs, il est primordial d'instaurer une loi organique de la médiation familiale », conclut Mohammed Houbib. Une loi qui selon lui, servira à organiser ce domaine et définir le champ d'action des différents intervenants y compris la société civile. Œuvrant sur le terrain, le Réseau marocain de médiation familiale « Chaml » a l'avantage d'une action de proximité. Rassemblant une trentaine d'associations, ce réseau œuvre à renforcer les capacités des acteurs locaux, à institutionnaliser la médiation familiale et à en faire un outil durable de cohésion sociale. L'une des recommandations phares des associations féministes dans leurs propositions de réforme de la Moudawana, la médiation familiale de proximité. Une proposition qui vise à favoriser le règlement à l'amiable des conflits conjugaux, avant qu'ils ne dégénèrent en procédures longues et douloureuses. Une manière de protéger les droits des conjoints mais surtout des enfants.