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La face cachée d'un Emirat
Publié dans L'observateur du Maroc le 01 - 06 - 2010

Depuis qu'il a renversé son père, tout en perpétuant son régime, l'émir du Qatar pratique un double langage qui ne devrait plus tromper personne. Dans les sommets arabes, il plaide l'unité et pleure la Palestine. En réalité, il a mis son pays en plein cœur de la guerre injuste menée en Irak et a établi des relations très étroites avec Israël. Sur ce sujet en particulier, nous reviendrons dans un prochain numéro, avec des documents à l'appui, pour expliciter l'étendue de ces relations.
En même temps, il a créé la chaîne Al Jazeera, une sorte de porte-drapeau. Bush avait mis du temps pour comprendre l'utilité qu'il pouvait en tirer. Au départ, il trouvait inacceptable que son meilleur allié dans la région finance une chaîne qui relaye les thèses d'Al Qaïda et du Hamas. Ce double langage permet au Qatar une présence diplomatique très forte par rapport à son poids réel. Ce petit émirat, totalement dépendant de ses ressources gazières, est le plus dépensier de la région. Outre «Al Jazeera» qui est très coûteuse, il finance des événements sportifs que même des Etats comme la France ne peuvent se payer.
l'ego de l'émir est tel qu'il utilise l'essentiel des ressources de son pays pour sa propre image. Il n'a pas peur du ridicule. Ainsi, il s'est mis du côté de l'Iran, de la Syrie et du Hamas lors de la guerre de Gaza. Il s'est même mis en tête de devenir le leader de la coalition. Encore plus visible, l'épouse de l'émir, cheikha Mouza, «gère» un centre pour la liberté de la presse et la démocratie dans le monde arabe. Pourtant, le Qatar n'admet ni partis, ni syndicats, ni liberté d'expression. Qu'à cela ne tienne, il veut bien faire la leçon au monde arabe. De la même manière que la chaîne qu'il finance ne parle jamais du Qatar ! (lire interview de Robert Ménard).
Les observateurs qui feignent de s'étonner oublient cette histoire. L'émir du Qatar entretient des liens quasi amoureux avec les USA et «Israël». Quant au discours officiel, il est tout simplement produit pour amuser la galerie.
Le Qatar sur tous les fronts
Mireille Duteil
La richesse fascine. Le Qatar est le troisième exportateur mondial de gaz dont il partage le plus grand gisement au monde avec l'Iran. On l'appelle Northfields du côté qatari et South Pars du côté iranien. Pourtant ce minuscule pays du Golfe arabo-persique n'est pas le seul à être assis sur un matelas de pétrole et de gaz. Certes, celui-ci permet aux 200.000 Qataris sur le 1,4 million d'habitants du pays (les autres sont des Philippins, Sri Lankais, Egyptiens, Palestiniens, Libanais, Européens…) de bénéficier du PIB par tête le plus élevé au monde après le Liechtenstein. Mais là n'est pas l'originalité de ce dragon des sables.
En dépit de sa richesse, le Qatar du cheikh Hamad al-Thani s'est longtemps senti fragile. D'un côté, son grand voisin saoudien cachait mal ses convoitises. Cette période s'est terminée avec l'arrivée au pouvoir à Riyad, du roi Abdallah. De l'autre, son puissant voisin iranien pouvait à chaque instant le mettre à mal. Aussi en matière de diplomatie, l'émir du Qatar s'est-il donné une règle : parler à tout le monde et devenir un pont entre les frères ennemis, voire le réconciliateur des causes apparemment perdues. Quitte à prendre parfois le contre-pied de la politique de son voisin saoudien et à provoquer son courroux.
Ainsi, le petit Etat pragmatique – que ses adversaires qualifient d'opportuniste – a-t-il été le premier pays de la région à ouvrir des pourparlers avec Israël pour normaliser ses relations. En 2006, il finance largement la reconstruction du sud Liban après la guerre israélienne de l'été et permet à l'armée libanaise de s'offrir de nouveaux matériels militaires; plus tard, c'est lui qui impose un accord entre les parties libanaises, mettant un terme aux affrontements entre sunnites et chiites et permettant l'élection du président de la république. Un succès diplomatique qui lui coûte 2,3 milliards de dollars plus un avion offert à la Syrie en échange de sa neutralité. En 2007, la France bénéficie à son tour de ses largesses lorsque l'émir verse la rançon exigée par la Libye pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien.
Parallèlement, inquiet de la puissance iranienne, le Qatar est le premier pays, en 2008, à inviter, avec l'aval de l'Arabie saoudite, le président Mahmoud Ahmadinejad à assister, à Doha, à la réunion du Conseil de coopération du Golfe (CGG). Une façon de contrebalancer la présence américaine dans le pays : le Qatar abrite le Centcom (commandement central des forces américaines au Moyen-Orient). Sagesse ? Duplicité ? Habileté politique, en fait. Sur la scène intérieure, le cheikh Hamad al-Thani joue aussi sur tous les registres. Il affiche son souci de moderniser le pays, permet à son épouse, la très politique et active cheikha Mouza de gérer la Fondation du Qatar dans laquelle six grandes universités américaines délivrent les mêmes diplômes qu'aux Etats-Unis, et ouvre des lieux de culte pour les chrétiens.  Mais l'émir prend soin de vivre en bonne intelligence avec ses fondamentalistes dans ce pays où se pratique un islam rigoriste, le wahhabisme. En 1998, il crée Al-Jazeera en direction des populations arabes. La chaîne devient le poil à gratter des Américains et des régimes conservateurs de la région. On l'accuse d'être aux mains des islamistes. Pour le Qatar pro-occidental, c'est la meilleure des assurances-vie.
 
L'amitié mutuellement profitable
Vincent Hervouet
Longtemps, les Français ont cru que le Qatar était seulement l'adresse d'Al-Jazeera, la boîte postale habituelle d'Oussama Ben Laden. Et puis un 14 juillet, ils ont découvert Cheikha Mouza en tailleur-pantalon vert-chou et lunettes noires à la tribune d'honneur des Champs-Elysées. Très chic et très voyante. Se tenant droite sur sa chaise dorée mais avec un rouge à lèvres rouge sang. Sage mais décomplexée. Elle a suscité une curiosité instantanée. Une star était née. Le programme à la main, elle surveillait le défilé militaire comme si elle était dans une loge de l'Opéra à admirer le ballet des petits rats. Eclipsant tous les ministres alentour et surtout son Emir de mari que Nicolas Sarkozy avait pourtant placé à ses côtés, en tant qu'invité d'honneur de la fête nationale.
Ceux qui suivent la vie de cour et les passions qu'elle suscite ont vite conclu que le couple princier allait tenir auprès du nouveau président le rôle qu'avait joué Rafic Hariri auprès de Jacques Chirac… Après tout, on sait N. Sarkozy soucieux de faire mieux que son prédécesseur ou à défaut de faire le contraire. Il a multiplié les témoignages d'amitié envers son hôte mais ces démonstrations ont paru affectées car on ne percevait pas ce qui pouvait unir les deux hommes.
On s'interrogeait déjà sur le couple Chirac-Hariri : qu'avaient-ils à se dire quand ils se retrouvaient en tête à tête ? Les méandres de la politique au Moyen-Orient étaient leur passion commune, pas forcément un sujet de conversation à l'heure de se détendre entre amis. Le Liban et la France ont bien une histoire et une langue communes mais de là à consacrer ses loisirs à l'entretien de ce patrimoine… On a trouvé au moins une réponse quand l'ancien président a déménagé de l'Elysée. Les deux hommes devaient évoquer ensemble le quai Voltaire et le grand souci d'avoir à se loger à Paris !
Avec le couple Nicolas Sarkozy-Hamad ben Khalifa al-Thani, le mystère s'est encore épaissi. Ils ne parlent même pas la même langue et leur recours à un interprète limite tout progrès dans l'intimité ! Alors, qu'est ce que les deux hommes ont donc en commun ? Un pragmatisme à tous crins, l'ambition de jouer un rôle central, un caractère qui les pousse à prendre des risques en tentant des coups politiques, sont autant de réponses. L'évidence : ils se rendent service en se faisant la courte échelle. Le Qatar tente de supplanter l'Arabie saoudite dans le rôle de médiateur régional ? La France lui passe le relais dans la recherche d'un accord entre Libanais pour enfin élire un Président. Paris veut frapper les esprits en obtenant la libération des infirmières bulgares détenues en Libye ? Le Qatar offre sa garantie à l'accord financier conclu avec Tripoli. Echange de bons procédés et à l'occasion, opération conjointe. C'est pour complaire au Qatar, et aussi sans doute pour embêter Jacques Chirac, que Nicolas Sarkozy a renoué le dialogue avec la Syrie…
Réponse plus laconique : ils ont des intérêts en commun ! Mais l'inventaire est vaste. Les grandes entreprises françaises engrangent les contrats dans l'émirat : Areva, Total, EDF, Gaz de France, Suez, Vinci, Veolia, etc. Sans oublier le marché militaire particulièrement juteux. L'Etat donne l'exemple en ouvrant une antenne de l'école militaire de Saint Cyr. En échange, les fonds d'investissement qataris font leurs emplettes en France. Dans l'immobilier, l'hôtellerie de luxe, le parrainage sportif et aussi au capital des grandes entreprises. Autant d'investissements à long terme. Ce qui n'empêche pas d'être malins : le parlement français a voté l'an dernier un texte sur mesure qui aménage une niche fiscale spéciale exonérant de l'impôt sur les plus-values immobilières tous les investisseurs réalisés par l'Etat du Qatar ou par la famille princière…
«Il n'y a pas de liberté de la presse au Qatar
Robert Ménard Ex directeur général du centre de Doha pour la liberté des médias.
Entretien réalisé par Mohamed Zainabi
Si Robert Ménard a quitté Reporters sans frontières, qu'il a lui-même fondée et fait grandir pendant 23 ans, pour aller s'occuper du Centre de Doha pour la liberté des médias, c'est que ce projet dont il dit avoir profondément cru était à ses yeux porteur d'espoir. D'autant plus que Cheikha Mouza (ndlr, deuxième épouse de Cheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, l'émir du Qatar) lui avait donné toutes les garanties pour le libre exercice de ses fonctions de défenseur de la liberté de la presse et des journalistes persécutés. Mais après un peu plus d'une année (du 1er avril 2008 au 19 juin 2009) passée à la tête de ce Centre, Ménard s'est rendu à l'évidence. Il n'avait plus rien à faire dans l'émirat. «Aujourd'hui, le Centre est asphyxié. Nous n'avons plus ni la liberté, ni les moyens de travailler. Cela ne peut plus durer. J'étais prêt à des compromis tant que l'essentiel – les aides distribuées, nos prises de position – était sauf. Ce n'est plus le cas», s'est-il écrié, avec rage, au moment de claquer la porte du Centre. Lequel ne sert plus à rien en ce moment. Avec le recul et sans rancœur ni rancune, comme il le précise lui-même, Robert Ménard revient à travers cet entretien sur sa mésaventure qatarie.
L'Observateur du Maroc Après l'expérience que vous avez menée au Qatar à travers le Centre de Doha pour la liberté des médias que vous avez dû finalement abandonner, quel regard portez-vous aujourd'hui sur la liberté de la presse et sur la démocratie dans cet émirat ?
Robert Ménard Tout simplement, il n'y a pas de liberté de la presse, dans le sens où on l'entend dans certains pays comme le Maroc ou ailleurs. Au Qatar, les journaux sont totalement dépendants du pouvoir. Idem pour la télévision nationale, qui est complètement affidée aux dirigeants du pays. Certes l'émirat se prévaut d'avoir Al Jazeera et se vante de la liberté de ton de cette chaîne, mais il faut savoir qu'Al Jazeera peut parler de tout et de tout le monde sauf du Qatar et de ce qui s'y passe. En vérité, vu de l'intérieur, le pouvoir au Qatar est traversé par des courants qui n'ont pas du tout intérêt à ce que les choses bougent dans ce pays. Il est vrai que Cheikha Mouza (ndlr, deuxième épouse de Cheikh Hamad bin Khalifa Al Thani, l'émir du Qatar) pousse d'une manière sincère au changement, mais elle n'a pas les coudées franches pour y arriver. En fait, le Cheikh et sa deuxième épouse ne décident pas de tout dans le pays. Leurs décisions importantes passent inévitablement par des compromis.  
Qui sont les meneurs, selon vous, de ces courants qui refusent le changement ?
De toute évidence, le Premier ministre et avec lui le président du conseil d'administration du Centre de Doha pour la liberté des médias, Cheikh Hamad Bin Thamer Al Thani, qui n'est autre que le président de la chaîne de télévision Al Jazeera. Ces hauts responsables font d'énormes affaires et ce n'est donc pas dans leur intérêt qu'il y ait un quelconque changement. Ils ne sont pas d'ailleurs les seuls. Il faut savoir que les hauts dirigeants de l'émirat ont, pour la plupart, une double casquette. Celle bien sûr de la responsabilité qu'ils assument, mais une autre d'associés dans des affaires qui leur rapportent gros. Je souligne que le Qatar a le revenu par tête d'habitant le plus important au monde.
Malgré toutes les difficultés que vous rencontriez, vous disiez que vous restiez optimiste. Qu'est-ce qui vous a fait par la suite «craquer» au point de laisser tomber le projet du Centre de Doha pour la liberté des médias pour lequel vous étiez si enthousiaste au début malgré toutes les critiques que vous aviez essuyées à l'annonce de son lancement ?
J'ai compris à un moment que le travail que nous voulions mener dans le Centre de Doha pouvait, par ricochet, attirer de grands ennuis à Cheikha Mouza. Tout était prétexte pour que l'on s'en prenne à cette dame qui voulait faire bouger les choses dans son pays. Je rappelle qu'en juillet 2009, il y a même eu une tentative de coup d'Etat contre son mari. Un événement dont les médias ont d'ailleurs très peu parlé. Donc la situation s'est véritablement dégradée. Nous étions devenus le sujet et l'objet. Notre tort était d'avoir défendu la liberté de la presse et d'avoir critiqué dans le premier rapport du Centre sur la liberté de la presse dans le monde arabe non seulement les «chers voisins» des Emirats arabes unis, mais même le Qatar lui-même. Ce qui a déclenché une véritable tempête. Du coup, le président d'Al Jazeera a voulu changer les règles du jeu. On nous a alors fait comprendre que nous ne pouvions plus faire et dire ce que nous voulions, comme nous en avions convenu au départ. Ce que je n'ai pas accepté, bien sûr. En plus, ce qui est insupportable pour moi, c'est ce climat d'hostilité permanente et de menaces à tout va. Juste un exemple : certains sont même allés jusqu'à demander que ma tête roule sur le sable.
Vous êtes co-auteur avec Thierry Steiner de «Mirage et cheikhs en blanc» à travers lequel vous n'y allez pas de main morte pour dévoiler la face cachée du Qatar. Quelles ont été les réactions à votre ouvrage dans ce pays ?
Je suis habitué aux attaques. C'est la règle du jeu. Quand on critique les autres, on ne pourrait pas s'attendre à ce qu'on nous jette des fleurs en retour. Bien sûr des fous furieux qataris ont réagi et on s'y attendait. Mais même ici en France, certaines voix se sont élevées contre nous en vantant la démocratie au Qatar. Pourtant, en toute logique, personne ne peut parler de démocratie dans ce pays. Parce qu'elle n'existe pas. Mais il se trouve qu'il y ait certains membres de la classe politique et de la diplomatie françaises qui tiennent des propos flatteurs à l'égard de ce pays dans un intérêt bien compris. Je rappelle que quand Airbus va mal, par exemple, c'est le Qatar qui, comme par hasard, signe un gros contrat d'achat d'avions français… C'est ce qui a fait dire, en son temps, à Jacques Chirac une bêtise du genre : «Le Qatar est naturellement démocratique». C'est ce qui fait dire encore aujourd'hui des propos aussi stupides à des politiques et à des diplomates français.
Si Al Jazeera n'existait pas...*
Le Qatar a lancé, en 1996, la première chaîne satellitaire d'informations en continu en langue arabe. Au cours des douze dernières années, Al Jazeera a profondément bouleversé le paysage médiatique au Moyen-Orient et fait couler beaucoup d'encre, sans pour autant avoir de véritables répercussions sur l'espace des libertés au Qatar. La presse nationale, forte de sept quotidiens arabophones et anglophones, reste très marquée par l'autocensure, comme c'est le cas dans les autres pays du Golfe. Circonstance aggravante : la plupart des collaborateurs des journaux qataris sont des étrangers dont le séjour est étroitement lié au respect des lignes rouges imposées par le pouvoir. Paradoxalement, ce même pouvoir a su défendre la liberté de ton d'Al Jazeera, au détriment parfois de ses relations diplomatiques avec certains régimes arabes, tels que l'Arabie saoudite ou la Tunisie. Cette contradiction s'exprime de manière flagrante dans l'écart entre la hardiesse de ton dont font preuve les journalistes d'Al Jazeera sur l'actualité internationale, et la retenue dont font preuve les journalistes de la chaîne et ceux des autres médias nationaux sur les questions qataries. A quelques mois de la célébration à Doha de la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai 2009, les journalistes de l'émirat ont exprimé des attentes fortes en matière de réforme juridique. Il est tout aussi primordial que le Qatar, qui siège actuellement au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, ratifie et signe le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, clé de voûte de l'engagement pour les droits de l'homme.
Un exercice périlleux
Dans ce contexte, la pratique journalistique relève de l'équilibrisme, une situation qui favorise l'autocensure et rend périlleuse toute analyse critique des décisions des autorités de Doha. Traiter des conditions de vie ou du licenciement de la main-d'œuvre étrangère est tout aussi problématique. Les journalistes de la presse écrite doivent manœuvrer avec précaution pour éviter non seulement le renvoi, mais possiblement l'expulsion du territoire. Ils sont dépendants de leur sponsor, la rédaction, qui conserve leur passeport pendant leur séjour dans le pays. Face à ces difficultés, les journalistes sont d'autant plus démunis qu'il n'existe pas au Qatar d'association susceptible de les défendre auprès de leurs employeurs ou des autorités, la formation d'une organisation syndicale étant strictement interdite.
De même, les journalistes chargés des questions économiques font souvent face à des obstacles insurmontables pour couvrir l'actualité. Il leur est généralement impossible de vérifier les chiffres publiés par les entreprises locales. Selon l'un d'eux, «les journalistes ont tendance à se protéger pour ne pas être accusés de porter atteinte à l'image du Qatar, qui cherche à être plus attractif pour les investissements étrangers», se cantonnant ainsi à des «copier-coller» des communiqués publics.
Une loi rétrograde
Le contexte juridique qatari n'est pas non plus favorable à une presse libre. Le code des publications n'a pas été réformé depuis 1979, malgré la transformation du paysage médiatique local, doté à présent d'une chaîne de télévision satellitaire et de sites d'informations sur Internet. La loi en vigueur multiplie les interdits dans des termes permettant de larges interprétations, et donne aux pouvoirs publics des prérogatives importantes.
A tout moment, le bureau du Premier ministre peut élargir la liste des interdits par simple notification aux médias. Toute entrave aux règles peut conduire à l'interdiction de l'organe de presse, sans possibilité de recours judiciaire.
L'absence d'une chambre de tribunal spécialisée dans les affaires de presse et dirigée par des juges au fait des modalités de travail des médias fragilise également les journalistes, passibles de peines de prison pour des infractions de presse dont la définition manque souvent de précision. Enfin, l'absence d'un syndicat de presse rend difficile l'accès à une information complète sur le nombre de journalistes poursuivis en justice.
*C'est sous ce titre qu'a été publiée dans le rapport du Centre de Doha pour la liberté des médias la partie concernant le Qatar.


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