Dans un essai de 192 pages publié mercredi 7 mai et intitulé France–Algérie, le double aveuglement (Editions de l'Observatoire, 260 dirhams, 20 euros), l'ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, livre une analyse sévère et méthodique d'une relation bilatérale que l'auteur qualifie de «toxique», gangrenée par les malentendus, la complaisance et une asymétrie durable au profit d'Alger. Un lien faussé dès les origines Ayant exercé ses fonctions diplomatiques en Algérie entre 2008 et 2012 puis de 2017 à 2020, l'auteur déplore une relation fondée sur un déséquilibre consenti par Paris depuis les accords d'Evian. «On ne comprend rien à la période qui commence alors si l'on ne retient pas que, dès 1962, le partenaire algérien de la France n'est pas celui que la France a choisi à Evian : c'est le FLN à sa tête, rejeton d'une armée et d'un système de confrontation», écrit-il. De De Gaulle à Emmanuel Macron, l'ancien ambassadeur observe une continuité dans «une bienveillance spontanée» vis-à-vis du régime algérien, qu'il qualifie d'aveuglement : «Cette 'bienveillance spontanée', qui chez certains hommes politiques français s'apparente à de la complaisance, consiste dès 1962 à 'fermer les yeux' sur ce qui se passe à Alger», poursuit-il. Un avantage unilatéral pour Alger La dénonciation centrale du diplomate réside dans ce qu'il nomme «l'absence de réciprocité». En matière de circulation, les accords franco-algériens de 1968 octroient des droits étendus aux ressortissants algériens, dont les visas sont accordés en plus grand nombre que pour d'autres nationalités, sans contrepartie équivalente. L'auteur rappelle que «la base des relations diplomatiques étant la réciprocité, le fait qu'Alger se dispense de remplir ses obligations juridiques et administratives nous libère des nôtres.» Les consulats algériens, selon lui, refusent régulièrement de coopérer avec les autorités françaises en matière d'expulsion, rendant inopérants les dispositifs juridiques. Ce déséquilibre s'accompagne, affirme-t-il, d'une exploitation systématique des facilités offertes par la France en matière d'immigration, d'éducation ou de financement cultuel. Le «quatrième cercle» de l'influence algérienne à Paris Dans un chapitre particulièrement incisif, Xavier Driencourt décrit un réseau d'influence composite au service des intérêts algériens à Paris : associations de la diaspora, figures religieuses proches du pouvoir – notamment Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris –, et influenceurs véhiculant, selon lui, une propagande hostile à la France. «Nous ne sommes pas dans un combat équitable ou égal : les Algériens nous connaissent bien mieux que nous ne les connaissons», résume-t-il. Un appel à la lucidité diplomatique À travers une prose sobre et nourrie de témoignages, l'auteur formule une invitation à la lucidité stratégique : cesser de céder à ce qu'il appelle «une culpabilité hors d'âge», et faire preuve d'exigence envers Alger dans tous les domaines où les déséquilibres sont patentes. «L'Algérie ne comprend que le rapport de force, mais il faut vouloir l'utiliser», affirme-t-il dans une conclusion qui tranche avec les usages du langage diplomatique. Le livre paraît à un moment de nette crispation entre les deux pays, marqué par une réduction drastique du personnel diplomatique des deux côtés et une coopération consulaire au point mort. Nul doute que cette publication suscitera de vives réactions tant à Alger qu'à Paris.