Tawakol Karman Activiste yéménite, membre du parti d'opposition Islah et leader de l'association «Journalistes sans chaînes». L'Observateur du Maroc Vous êtes de toutes les manifestations en ce moment, comment évaluez-vous la participation féminine à la révolution yéménite ? Tawakol Karman. La participation féminine aux manifestations de protestation est exceptionnelle dans tous les sens. Avec une volonté de fer, la femme yéménite mène et guide la révolution dans toutes les régions du pays. Profondément engagées, elles sont des milliers à investir quotidiennement les rues, à faire des sit-in et à passer la nuit dans les places publiques pour dire non à l'injustice. Ceci malgré tous les dangers et les violences commises à leur encontre par les forces de l'ordre. Les blessés et les victimes qui tombent par dizaines chaque jour n'affectent en rien le courage et la persévérance des femmes yéménites qui sont décidées, plus que jamais, à changer la donne politique, sociale et économique de leur pays. Comment une femme a-t-elle pu devenir un symbole de la révolution dans une société profondément patriarcale ? C'est la preuve éloquente que notre pays est prêt à soutenir la femme quand elle a un véritable potentiel, pour participer activement au changement et à l'évolution de la nation en général. Contrairement à ce que l'on peut penser à propos de la société yéménite, qui est d'ailleurs très conservatrice, cette dernière peut s'avérer une grande supportrice des éléments féminins précurseurs de la pratique politique. Il suffit qu'une femme s'arme de beaucoup de courage pour s'émanciper du fardeau de l'héritage culturel. Si elle arrive toutefois à dépasser le grand obstacle de son cloisonnement domestique, elle pourra trouver sa place sur la scène politique. Le soutien de la société ne tardera pas d'ailleurs. Dans mon cas, j'ai pu gagner la sympathie et l'appui de mes compatriotes, hommes et femmes, après quelques mois de militantisme et d'action. Une position que beaucoup d'acteurs politiques, ayant des dizaines d'années d'expérience, «m'envient». Je suis agréablement surprise par la forte mobilisation de la société civile qui accompagne avec assiduité tous mes pas vers la liberté. Comment décrivez-vous la situation sociale, juridique et économique de la femme yéménite ? Au niveau juridique, il n'y a pas vraiment de problème. Les lois sont équitables et la femme et l'homme ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. C'est un importan acquis qu'il ne faut pas négliger. Le problème se pose surtout au niveau de l'application. C'est à ce moment là que l'on découvre l'ampleur de l'injustice commise à l'encontre des femmes. Que ce soit au niveau social, économique ou politique, les hommes raflent tous les droits. Les femmes sont lamentablement privées des opportunités d'emploi en faveur de leurs compatriotes. Un grand potentiel en friche que l'on néglige malheureusement. Cela crée inévitablement un fort déséquilibre qui n'est pas sans répercussions sur le développement du pays. Ce dernier en prend un sacré coup à cause de cette mal-exploitation ou plutôt sous-exploitation de ses ressources humaines. Aujourd'hui, on en est encore à des «textes» qui existent, certes, mais qui n'offrent réellement aux femmes aucun acquis social, économique ou politique. La «réhabilitation» féminine est négativement touchée par cette situation qui n'a que trop duré. Croyez-vous que la femme yéménite est capable aujourd'hui de réclamer tous ses droits à la société et au système politique? C'est effectivement ce que nous sommes en train de faire actuellement. Nous militons, nous manifestons dans la rue sans relâche, nous réclamons nos droits, mais pas seulement! Nous réclamons également ceux de nos frères les hommes. Ce combat est pour la justice et la parité. Le peuple entier est concerné. Il faut rappeler qu'à travers les actions de la société civile, dont la plupart des leaders sont des femmes, nous avons toujours défendu les droits et les libertés au Yémen. Ceci surtout quand il y avait une quelconque atteinte commise par le régime de Ali Abdellah Saleh. D'ailleurs les instances internationales des droits de l'Homme ont salué à plusieurs reprises les efforts déployés par les activistes yéménites. C'est dire la qualité et l'impact de leurs actions dans ce domaine. Quels sont vos moyens pour acquérir vos droits ? Personnellement, je milite pour une société mature, libre, émancipée et jouissant d'une grande liberté d'expression, de ton et de pensée. Une société qui évolue en toute paix sous l'égide d'un gouvernement civil et démocratique, élu par le peuple, luttant contre toutes les formes de corruption et surtout respectant les droits de l'homme. Ce genre de gouvernement, porteur de la volonté du peuple, est seul garant de la justice sociale et des droits de toutes les composantes de la société yéménite. Ce combat est une première étape dans ce long chemin que nous avons à parcourir. La révolution pourra-t-elle assouvir les ambitions des femmes yéménites ? Ou bien le changement doit-il se faire plutôt au niveau des mentalités ? Le changement des mentalités vient logiquement avec la réforme politique qui libère la pensée et le ton. C'est à travers la réhabilitation du système éducatif, des médias et de la culture que tout changement sera possible. Aider le peuple à se cultiver, à y voir plus clair, le guider et l'orienter, militer pacifiquement mais sans relâche et en faisant beaucoup de sacrifices sont autant de moyens à déployer par la femme yéminite pour changer la situation et pour épauler son concitoyen, l'homme, dans ces moments cruciaux de l'histoire de notre pays. Un nouveau Yémen libre et démocratique est en train de naître. Nous avons la chance de l'assister dans cette épreuve.