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L'université marocaine ou la « science » de l'approximation: Un diagnostic sans concession
Publié dans L'opinion le 31 - 05 - 2022

Depuis quelques mois, voire quelques années, le débat est engagé sur l'université marocaine (son rôle, ses structures, les lois qui les régissent, les statuts des enseignants et des étudiants, les objectifs et contenus des enseignements et formations dispensés, etc.) et sur sa possible réforme. Des articles et des rapports réguliers d'obédiences diverses contribuent à ce débat. Rares sont les ouvrages qui s'y risquent afin de saisir tous les fils enchevêtrés de la trame qui constitue cette institution aux enjeux décisifs. Hypothèque sur l'université marocaine de Mustapha Bencheikh, dans une démarche critique et citoyenne, en dresse un diagnostic sans concession et propose une batterie de solutions, parfois radicales. Un diagnostic et des solutions que les décideurs devraient méditer.
« On ne met pas impunément une université au pas »
M. Bencheikh, Hypothèque sur l'université marocaine, p.30
Que peut l'université ?
L'université marocaine agonise. Tel est le constat dans Hypothèque sur l'université marocaine de Mustapha Bencheikh, ancien doyen et professeur de littérature à la retraite. Autant dire que ce livre, paru aux éditions Okad en 2021 (mais à peine distribué ce mois-ci), est la somme réflexive, voire autocritique, de plus de 35 ans d'enseignement et de responsabilité. Il fait suite à un autre ouvrage-diagnostic : L'université marocaine à l'épreuve[1] , paru il y a 17 ans.
Tous les aspects de la « vie universitaire » passent au crible fin de l'analyse : textes de lois, statuts et actions des intervenants principaux (professeurs, responsables et étudiants), réformes successives, projets et dictats intérieurs et extérieurs. Au bout des analyses une seule déduction : l'université se présente comme un immense théâtre où le simulacre fait office de pragmatisme et où l'approximation (répondant périodiquement à des nécessités internes ou externes) sert de « méthode ».
A l'entrée des vingt chapitres sur lesquels se déploie l'analyse-réflexion, l'auteur pose cette « grève froide » et insidieuse qui va hanter, imperceptiblement, toutes les matières du livre et tous les aspects de l'université et de son histoire. L'ouvrage est aussi une histoire des trois dernières décennies de l'université marocaine.
A la question qui ouvre l'ouvrage, « Où va notre université ? » la réponse est, à la fin du livre, on ne peut plus claire : elle va vers sa disparition, son enterrement et plus précisément la disparition-enterrement de son esprit fait de réflexion méthodique et libre, de création de valeurs. Parmi mes les causes de cette lente débandade, il en est quelques unes majeures : la marchandisation du savoir qui se met progressivement en place, le désengagement de l'Etat (mais aussi des principaux acteurs : les enseignants) et l'absence d'un vrai projet de société qui doit être à la base de tout projet d'université ; d'où les approximations à n'en plus finir !
Les aspects de cette longue agonie, les raisons et conséquences de ce désengagement multiple et de ces approximations successives sont nombreuses ; nous les livrons sans ordre pour mimer l'enchevêtrement des fils qui constituent la problématique-université :
- le dilemme non tranché entre un enseignement disciplinaire général et un enseignement spécialisé et professionnalisant visant à répondre aux exigences ponctuelles du marché ; « l'université et l'emploi » est une véritable problématique qui nécessite reconsidération étant donné les transformations nationales et planétaires à plusieurs niveaux ; l'étude (chapitre 18) des lois qui régissent l'université, le taux d'échec dans les universités marocaines, la faible insertion des diplômés dans le tissu socio-économique, la déqualification des diplômes nationaux pointent des failles rattrapables grâce à des solutions spécifiques ;
- La gouvernance des institutions publiques, dont l'université, selon des lois qui laissent de grands blancs dont profitent les doyens et les présidents d'université ;
- la démesure des pouvoirs dont jouissent les présidents d'universités de manière à réduire les établissements qui dépendent d'eux et leurs conseils à des « coquilles vides » ; ainsi s'installe une « gestion verticale et autoritaire » ;
- la procédure même d'élection de ces responsables est défaillante : à commencer par la commission chargée d'examiner les projets et à choisir les trois candidats à proposer ;
- la cévétite des hauts responsables puis des enseignants-chercheurs eux-mêmes (la « cévétite » est une maladie qui consiste à remplir de façon compulsive son CV avec tout et n'importe quoi) ;
- la servitude volontaire des enseignants carriéristes « copains ou coquins » ;
- le remplacement du savoir par le spectacle du savoir ;
- la braderie des diplômes : Licences, Master, Doctorats et même Habilitations
- le système d'évaluation du travail de l'enseignant-chercheur pour une éventuelle promotion a ses failles : la règle du quota, les critères d'évaluation qui n'ont parfois rien à voir avec le mérite ; il faut ajouter à cela le traitement au niveau central (et dans le cadre de négociations avec le syndicat) de certains dossiers qui faussent les critères et créent des animosités entre les multiples catégories et sous-catégories d'enseignants-chercheurs ;
- le problème d'orientation des étudiants depuis le cycle qualifiant: or « l'orientation est un métier à part entière »
- l'absentéisme des étudiants justifié par un mode d'inscription excluant leurs vœux et ne prenant pas en considération leurs compétences ; une démotivation, un sentiment d'impuissance devant parfois des cours manquant de clarté, de substance et des enseignants tout aussi démotivés et manquant de pédagogie et parfois d'éthique
- la place minime qu'occupe la recherche au sein de l'université et les subventions (de simulacre) qui lui sont allouées ;
- le dénigrement méthodique des lettres et des sciences humaines en les qualifiant d' « inutiles » ; dénigrement qui pousse les enseignants chercheurs, souvent de bonne foi, à prouver leur utilité en improvisant des formations professionnalisantes qui « obéissent plus à une politique d'affichage qu'à proprement parler une vision claire et rigoureuse des formations proposées » (p.75) ; d'ailleurs, l'auteur réserve tout le chapitre 15 à une « radioscopie des facultés des lettres » : après une énumération des dysfonctionnements, il fait une série de propositions concrètes pour revaloriser ces études vitales ; dans une perspective plus globale, l'avant dernier chapitre intitulé « Repenser l'université » est réservé à des propositions visant la qualité dans l'enseignement universitaire : qualité des enseignants, qualité des étudiants et qualité de la gouvernance ; l'idéal est de retrouver « une université qui pense » ;
- la question de la gratuité de l'enseignement articulée à celle de sa qualité : un dilemme insoluble ?
- une conception inquiétante de l'université : « l'esprit marchant qui remplace le savoir » (p.92) et qui met en place un nouveau discours promouvant une université –entreprise : les politiques, les hauts responsables (ministres et présidents d'universités) et certains enseignants –chercheurs se prenant au jeu agissent et parlent en managers (ou plutôt « manadgers » -sic-) qui ne raisonnent désormais qu'en termes d'argent et de visibilité nationale et internationale ; conséquence de cette conception : une surenchère d'évaluations de mi-parcours et de fin d'accréditation- mandat à coup de rapports et de questionnaires qu'on soumettra à des cabinets d'audit dont les prestations coutent très chers et occasionnent des budgets parfois plus importants que ceux alloués à la recherche !! C'est ainsi que s'est installé une « pédagogie bancaire » qui fait fi de la pensée : « L'argent est devenu la boussole de nos experts » (p.176) ; « la vocation culturelle » de l'université doit se passer d'un tel spectacle de l'efficacité « manadgeariale » (sic) et de la marchandisation du savoir ;
- la dictature du classement international des universités selon des critères purement quantitatifs sous-tendus d'un critère idéologique néolibéral inavoué ; critères qui ont des répercussions sur les modalités d'accréditations des filières et sur les grilles d'évaluation des enseignants ;
- le « didactisme » qui a envahi les universités marocaines depuis que l'on parle de la pédagogie universitaire (années 90) et qui intègre l'évaluation des enseignants et des enseignements ; un didactisme creux se réduisant à un « jargonnage » sans incidence sur l'acte d'enseigner lui-même et donc sur celui-là même qui produit ce discours ;
- le dictat du tout-évaluer (qui a favorisé l'apparition de la mode de l'expertise et d'experts improbables) et dont l'esprit approfondit le malaise de l'université marocaine en renforçant la médiocrité et la complaisance ;
- les masters, censés être le liant fort entre les études généralistes de la Licences et la recherche doctorale, contiennent les ingrédients de leur échec depuis leur conception jusqu'à leur mise en application : sélection des étudiants, enseignements souvent mal conçus, enseignants piégés par la multiplication des cours de Licence et par le « gestionarisme » ; enfin, parfois, courtisanerie et népotisme en faveur de certains « étudiants » d'un autre rang ;
- la douloureuse question de la langue d'enseignement au Maroc reste d'actualité : l'histoire des multiples réformes menées pour la régler montre l'échec des solutions apportées à chaque fois ; dans tous les cas la question doit être réglée dès l'école primaire et avec des enseignements appropriés et des enseignants qui ont les compétences adéquates ;
- l'entrée de l'université privée dans le champ (comme aboutissement logique d'un processus qui a commencé avec l'école primaire, le collège puis le lycée privés) est le signe notable de l'échec et de la dégradation de l'enseignement public au Maroc : qu'y cherche-t-on ? L'excellence et le sérieux ; mais les trouve-t-on ? Tout le chapitre 17 établit un diagnostic sévère sur cette marchandisation.
Que peut la littérature ?

« Les noces de la littérature et de la politique ont toujours été batailleuses et notre société n'est pas prête de déroger à la règle. L'université est au centre d'une bataille que se livrent au-dessus de sa tête des groupes de pression inféodés au capital. Longtemps espace de liberté, d'audace et de recherche de la vérité, elle succombe aux assauts répétés et véhéments d'une orthodoxie économique qui a érigé la rentabilité en dogme absolu »
M. Bencheikh, Hypothèque sur l'université marocaine, p. 186

« La beauté sauvera le monde », Dostoïevski
Le dernier chapitre de l'ouvrage mérite arrêt et relecture. Je m'y arrête parce qu'il est une défense en bonne et due forme de la littérature dans un monde-planète où l'utile, le rentable et le monnayable imposent leur dictature.

Que peut l'enseignement de la littérature à l'heure de la mondialisation, de l'université de l'engineering et de l'emploi, c'est-à-dire l'université des sciences et des techniques ?
« Faut-il professionnaliser l'enseignement de la littérature ? »
Il est vrai que la littérature est, depuis le début de ce millénaire, associée à « une longue et inutile rêverie » car « le technicien a supplanté le philosophe » : nulle place désormais au doute, à la méditation, à l'aptitude à comprendre et analyser ; nulle place à la critique et à l'autocritique.
Il est vrai aussi que cet état d'esprit a réussi à donner mauvaise conscience aux professeurs de langue et de littérature, lesquels professeurs ont eux-mêmes contribué à la défaite de la littérature ou du moins à mettre en péril son statut particulier.
Malgré son discrédit, pour l'auteur, la littérature reste un « contre pouvoir non seulement utile mais nécessaire à notre dérive néolibérale ». Cela est vrai, même si la littérature peut ne pas « donner à manger », elle peut, par son inutilité même, aider à conserver une conscience vive. Un cœur conscient.



[1]Paru aux éditions OKAD, Rabat, 2004. L'auteur, après une année la mise en place de la réforme LMD, passe au crible les points forts de ladite réforme mais esquisse, en filigrane, les traits d'un nouvel échec inévitable.


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