Avec près de 1,9 million de détenteurs de bitcoins en 2025, soit 5,1 % de sa population, le Maroc se hisse au septième rang africain en matière d'adoption des cryptomonnaies. L'essor rapide de ce marché, malgré une interdiction officielle en vigueur depuis 2017, oblige les autorités à repenser leur stratégie. L'émergence du Maroc comme acteur majeur du bitcoin en Afrique illustre un paradoxe : celui d'un pays où les cryptomonnaies ont longtemps été bannies mais qui figure désormais parmi les dix premiers marchés du continent. Selon la plateforme The African Exponent, le royaume compte 1,9 million de détenteurs de bitcoins, un chiffre qui reflète autant l'appétit de sa population pour les innovations numériques que les lacunes d'un cadre réglementaire en gestation. En 2017, Rabat avait imposé une interdiction des transactions en cryptomonnaies, invoquant les risques de fraude, de blanchiment et de volatilité extrême. Or, la progression constante de l'usage du bitcoin et d'autres actifs numériques, souvent via des canaux informels, a réduit l'efficacité de cette mesure. Le Maroc est aujourd'hui devancé en Afrique par l'île Maurice (6,5 % de la population), l'Afrique du Sud (6 millions d'utilisateurs) et surtout le Nigeria (13,3 millions), mais il devance des pays comparables en termes de taille et de développement financier. Confrontées à cette dynamique, les autorités marocaines ont amorcé un virage. Fin 2024, Bank Al-Maghrib (BAM) a annoncé l'élaboration d'un projet de loi destiné à encadrer les cryptomonnaies. Ce texte, encore en préparation, vise à concilier innovation financière et supervision stricte. En parallèle, la banque centrale travaille, en partenariat avec le FMI et la Banque mondiale, à l'étude d'une monnaie numérique nationale dédiée aux paiements, une initiative qui s'inscrit dans le mouvement mondial vers les monnaies digitales de banque centrale (MNBC). L'essor des cryptomonnaies au Maroc repose également sur des atouts structurels. Le taux de pénétration d'Internet dépasse désormais 90 %, tandis que l'usage généralisé du téléphone mobile a favorisé l'émergence de plateformes de services financiers numériques. Ce socle technologique facilite une adoption massive, notamment parmi les jeunes générations et les diasporas connectées aux flux financiers transnationaux. Les perspectives économiques sont significatives. Selon les estimations, le marché marocain des cryptomonnaies pourrait atteindre 278,7 millions de dollars d'ici fin 2025, avec une croissance annuelle proche de 5 %. En cas d'adoption d'un cadre réglementaire clair, Rabat pourrait attirer davantage d'investissements étrangers et consolider son rôle de modèle régional en matière d'innovation financière. Plusieurs experts considèrent que l'intégration des cryptomonnaies dans un écosystème régulé pourrait également renforcer la place de Casablanca Finance City comme hub continental. La régulation à venir ne dissipera pas pour autant les inquiétudes. La volatilité des cours, la spéculation effrénée et les risques liés à la cybersécurité constituent autant de défis pour les autorités. Le Maroc devra ainsi arbitrer entre l'ouverture à l'innovation et la protection de la stabilité financière. Comme le souligne un économiste basé à Rabat, « le succès de cette transition dépendra de la capacité de l'Etat à instaurer une confiance durable tout en évitant de freiner l'élan entrepreneurial ».