Nasser Bourita s'entretient par téléphone avec son homologue suisse Ignazio Cassis    L'ouverture de nouveaux hôtels de luxe au Maroc reflète le dynamisme du tourisme marocain    Trafic humain au Myanmar : les familles marocaines appellent à l'action    Fortes averses dans certaines provinces: les automobilistes appelés à faire preuve de vigilance    Caftan Week : La richesse du Caftan exposée au Musée Dar El Bacha    La justice condamne 5 responsables de sécurité    Mercato: Mbappé officialise son départ du PSG    Automobile : le Britannique Cazoo au bord de la faillite    Casablanca : les membres du CMC tennis sont en colère    Mohamed Fikrat : « La façade atlantique devient un haut lieu de communion humaine »    Nasser Bourita reçoit une délégation péruvienne du gouvernement régional de Piura    AG de l'ONU: Le Maroc se félicite de l'adoption de la résolution soutenant l'admission de l'Etat de Palestine comme membre à part entière des Nations Unies    African Lion 2024, du 20 au 31 mai à Benguérir, Agadir, Tan-Tan, Akka et Tifnit    Luis Filipe Tavares : « La diplomatie marocaine, c'est aussi un soft power réel et développé »    Coupe du Trône / quarts de finale (Acte I) : Aujourd'hui, HUSA - RCA et MAT- MAS    Botola D2 / J25 (Acte1): CODM, KACM,USMO et DHJ , début du sprint final !    Premier League/ J37: Manchester City lorgne la première place    Basketball : Nikola Jokić, l'Aigle qui plane sur la NBA    ONCF : Perturbations du trafic sur l'axe Casablanca-Kénitra du 12 au 26 mai    Revue de presse ce samedi 11 mai 2024    Météo: les prévisions du samedi 11 mai    Agadir : la 3ème édition du Salon International de l'arganier bat son plein    FENIP : Cap sur la durabilité de l'Industrie halieutique [INTEGRAL]    Caftan Week 2024 : Imane Bamouss remporte le « Prix Kaline » lors du concours des Jeunes Talents    Sahara: Le plan marocain d'autonomie est la "meilleure option'' pour l'avenir de la région (députés britanniques)    Zone euro : La BCE juge "plausible" une baisse des taux en juin    Eliminatoires Mondial féminin U17 : Le Maroc bat l'Algérie 4-0 au 3e tour aller    Sénégalais coincés dans le désert marocain: Le Consul du Sénégal à Dakhla dément formellement l'information    Investiture de trois nouveaux membres de l'Académie du Royaume du Maroc    Caftan Week 2024 : un voyage dans l'histoire et l'artisanat du caftan à Marrakech    Tchad. Idriss Déby Itno président    Gaza : Josep Borell dit STOP à la vente d'armes à Israël    Sénégal. Un plan national de prévention des inondations    L'Etat condamné à indemniser une victime du vaccin AstraZeneca    SIEL 2024: La FM6E participe avec des activités éducatives et interactives    SIEL-2024 : sept instances constitutionnelles participent avec un pavillon commun    Le Festival International du Film de Dakhla réaffirme son identité africaine    M. Bourita reçoit une délégation péruvienne du gouvernement régional de Piura    Maroc : Washington alloue 25 MDH au système de l'ONU contre la traite des personnes    Covid-19: vingt-six nouveaux cas    L'UM6P, catalyseur de Deep Tech en Afrique    Omar Hilale expose les vertus de l'Initiative Royale pour l'Atlantique dans l'espace atlantico-sahélien    Ghita Mezzour: L'accord avec Oracle conforte la place du Maroc comme hub des technologies numériques    Maroc : un record de 1,3 million d'arrivées touristiques en avril 2024    Migration irrégulière : 133 candidats interceptés au sud-ouest de Tan-Tan    Lancement d'une plateforme digitale pour les demandes de "carte de personne    Températures prévues pour le samedi 11 mai 2024    Cinéma d'animation: Coup d'envoi à Meknès du 22e FICAM    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le plagiat par anticipation : Lecture dans Plaidoyer pour les Arabes de Fouad Laro
Publié dans L'opinion le 27 - 07 - 2022

Plaidyer pour les Arabes est le dernier livre de Fouad Laroui. L'auteur, de par sa profonde connaissance de la culture arabe, essaie dans cet ouvrage encyclopédique de rendre hommage à une partie de l'Histoire que l'on a effacée. Beaucoup de questions se posent : Qui sont les Arabes ? Pourquoi cette détestation ? Est-elle volontaire ou par ignorance ?
Dans ce livre qui est aussi un hommage à la science, l'auteur procède par esprit scientifique. De prime abord, qui sont les Arabes ? « De quoi/qui parle-t-on » ne cesse-t-il de se demander dans le livre. Définir la chose avant d'en parler, c'est aussi cela la science. En effet, le premier chapitre s'intitule « Définitions ».
Les Arabes, pour résumer, sont « tous ceux qui se revendiquent comme tels ». Pourquoi cette détestation des Arabes ? De deux choses l'une : racisme ou ignorance. En fait, les deux à la fois. L'une est pire que l'autre.
Commençons par l'ignorance car on ne naît pas raciste. Dans une argumentation sans pareille, très bien documentée, Fouad Laroui montre l'ignorance rebutante qu'ont certains penseurs européens de ce qui s'est passé du côté des Arabes. Ignorance injustifiée puisqu'ils doivent beaucoup à certains, ne serait-ce qu'à Ibn Rochd, Averroès.
Certains penseurs occidentaux refusent de mentionner les Arabes dans leurs écrits. En établissant un « profil de sa discipline », la sociologie, Alain Touraine cite Rousseau, Tocqueville et compagnie, mais pas Ibn Khaldoun. Celui- ci avait parlé en 1377 de ilm al-ijtimaa, la science de la société. Ce précurseur ne dispose pas de la reconnaissance qu'il mérite au sein de l'intelligentsia occidentale. C'est ce que montre Laroui en citant les spécialistes les plus connus qui méconnaissent ou négligent l'apport d'Ibn Khaldoun. Emmanuel Le Roy Ladurie, « titulaire d'une chaire d'Histoire au Collège de France, docteur honoris causa de seize universités (toutes européennes ou américaines » n'évoque pas, malgré cette « érudition », Ibn Khaldoun en parlant de la notion de l'esprit de corps que l'auteur arabe traite des siècles avant Moisiei Ostrogorski. Ignorance ou partialité ?
Jean Duvignaud, sociologue français, a le mérite de citer Ibn Khaldoun, bien que dans une petite note : « Un philosophe arabe, Ibn Khaldun, qui vivait au XIVe siècle dans le Maghreb, a eu une intuition comparable. [...] Mais il est évident que l'information scientifique de Montesquieu était plus vaste et qu'on y trouve l'idée d'une science comparée des systèmes sociaux, inséparable de l'ethnologie et de la sociologie contemporaine ». Pour Laroui, l'ignorance totale de la pensée d'Ibn Khaldoun conduit Duvignaud à cette comparaison non fondée avec Montesquieu qu'il juge hâtivement plus profond.
Ailleurs, l'ignorance est plus aigue quand un certain David Jones confond Ibn Khaldoun et Ibn Battouta en affirmant que le premier est « le plus fameux voyageur du monde arabe ». En tout cas, il s'agit pour Laroui de montrer, preuves à l'appui, que les penseurs occidentaux ne prennent pas la peine de savoir ce qui se faisait du côté de la civilisation arabe. Que ce soit par négligence ou par mépris, la situation demeure gravissime. « Ou on ne voit pas les Arabes – ou on ne veut pas les voir », dit Laroui. Rappelons- nous ici l'étymologie du verbe voir qui renvoie à la connaissance.
L'ignorance laisse parfois place à une « détestation scientifique » des Arabes. L'affaire Gouguenheim est révélatrice dans ce sens. En effet, l'historien français publie un livre intitulé Aristote au mont Saint-Michel, sous-titré Les racines grecques de l'Europe chrétienne. Le livre se propose de corriger l'idée selon laquelle l'Europe doit quelque chose à la civilisation arabe. Pour lui, tout l'héritage européen est grec. Encore une fois, un livre de spécialiste, d'historien, mais traversé d'erreurs parce qu'il s'agit des Arabes, ceux qu'on ne voit pas. Gouguenheim définit le kâlam comme étant « l'exégèse des paroles coraniques ou des hadiths ». La confusion est fatale ! La théologie rationnelle (kalam) n'est pas le tafsir (exégèse du Coran). Et l'ironiste Laroui de commenter : « ce qui vaudrait un zéro pointé à un étudiant de première année ». Le livre de Gouguenheim a été salué par Roger-Pol Droit. Celui-ci le qualifie de « rectification des préjugés de l'heure ». Cette déclaration imprudente pousse Laroui à faire une longue démonstration qui a pour but de détruire cette idée de « préjugés », l'influence arabo-musulmane étant un fait.
Comment parler de préjugés alors que de grands spécialistes européens attestent cet apport des Arabes ? Gustave Le Bon affirme en 1884 : « A mesure qu'on pénètre dans l'étude de cette civilisation, on voit les faits nouveaux surgir et les horizons s'étendre. On constate bientôt que le Moyen-Âge ne connut l'Antiquité classique que par les Arabes ; que pendant cinq cents ans, les universités de l'Occident vécurent exclusivement de leurs livres, et qu'au triple point de vue matériel, intellectuel et moral, ce sont eux qui ont civilisé l'Europe ». Cette vérité ne doit pas choquer. Les Arabes ont transmis des savoirs concernant la philosophie, les mathématiques, la médecine et la chimie aux Occidentaux. Les commentaires d'Averroès sur l'oeuvre d'Aristote ont eu une large diffusion en Europe et ont enrichi la philosophie occidentale. En effet, pendant de longs siècles, l'Europe sommeillait dans l'ignorance et les guerres. L'astronome irlando- danois avoue que « l'Europe a une dette envers les Arabes pour avoir gardé vivante la flamme de la science pendant plusieurs siècles ». Justice aux précurseurs ou le plagiat par anticipation.
Le livre de Fouad Laroui prend parfois les allures d'un essai d'Histoire comparée. En multipliant les références, il trouve des correspondances étonnantes entre les pensées de savants occidentaux et celles de leurs « prédécesseurs » arabes. Ainsi Newton n'est pas le premier à avoir expliqué que « la lumière blanche se compose de toutes les couleurs de l'arc-enciel », Al-Haytham avait, en 1040, expliqué le même phénomène dans ses réflexions sur l'optique. Le meilleur des mondes possibles n'est pas une invention du 18ème siècle, Ghazali avant Leibniz avait avancé que « la création ne saurait être meilleure que ce qu'elle est - Laysa fi l-imkân ahsan mimâ kana ». Des correspondances admirables ont été relevées entre Darwin et Ibn Tofayl, entre l'encyclopédie de Diderot-D'Alembert et les Frères de la pureté, entre autres. N'en déplaise à Gouguenheim, les Arabes sont les rois du plagiat par anticipation.
La thèse de Fouad Laroui n'est pas de dire que les Arabes ont tout bien fait avant les Occidentaux. Loin de tout idéalisme aveugle, l'auteur explique seulement qu'il y a parfois des ébauches de théories qu'il faut reconnaître aux Arabes, et parfois des savoirs solides (comme dans le cas de la sociologie d'Ibn Khaldoun) auquel il faut se référer en la matière. L'idée est donc de rendre justice à des précurseurs qu'il faut intégrer au récit de l'Histoire de la pensée et des sciences. L'auteur cite en effet des livres qui prétendent parcourir la pensée mondiale sans citer aucun nom arabe. Cette détestation scientifique n'est pas justifiée.
L'une des conclusions auxquelles aboutit le livre est d'une importance capitale. Elle nous éclaire et est d'une actualité frappante. Fouad Laroui montre avec dextérité que si les Arabes ont brillé à une certaine époque, c'est parce qu'il y a eu « une volonté politique, émanant d'une personne (un calife, un émir...) pour qu'il en fût ainsi ». Effectivement, le mécénat permettait aux penseurs de pratiquer librement leur travail intellectuel. Celui-ci n'aboutit à rien sans liberté. Cependant, il y a aussi le revers de la médaille. Ce même avantage se fait parfois désavantage quand le mécène n'adhérait plus aux idées du penseur. Celui-ci pouvait risquer la prison voire même la mort. Et c'est ce qui explique que certaines théories n'avaient pas été développées.
L'essai de Fouad Laroui est richissime. Chronique d'Histoire des sciences, de sociologie et d'autres choses encore, il se caractérise par une argumentation d'exception. La bibliographie qui contient 142 références en dit long sur le travail préalable qui a donné naissance à ce livre encyclopédique.
El Yazid DAOUD
Professeur agrégé de Lettres modernes.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.