Au moment où la marocanité du Sahara s'impose à l'ONU, la présence du Polisario au sein de l'Union Africaine n'a plus de sens. La suspension de cette anomalie est-elle envisageable ? Décryptage. Après une visite fructueuse à Rabat, le Chef de la diplomatie ghanéenne, Samuel Okudzeto Ablakwa, ne repart pas bredouille après avoir officialisé le soutien exclusif de son pays au plan d'autonomie pour le Sahara. Sur son compte X, il s'est enorgueilli de la liste des acquis de son déplacement à Rabat. Mobilité estudiantine, opportunités d'export, et 2000 tonnes d'engrais offerts par le Maroc... Ce n'est que le prélude d'un partenariat prometteur.
Le ralliement du Ghana n'est pas anodin, c'est l'un des pays qui comptent en Afrique de l'Ouest. Traditionnellement allié au Polisario qu'il avait reconnu en 1979, Accra a enfin désavoué l'entité fantoche dans un élan réaliste, après avoir retiré sa reconnaissance de la pseudo-rasd au lendemain de l'investiture du nouveau président, John Dramani Mahama. Un scénario pareil à celui du Kenya qui, à son tour, a lâché le Polisario deux ans après l'arrivée au pouvoir du président William Ruto. Ce dernier est allé jusqu'au bout de sa volonté de s'allier au Maroc en dépit des résistances de la vieille garde.
Vers un nouvel effet domino ?
En l'espace d'un mois, le front séparatiste a perdu deux de ses plus anciens alliés en Afrique qui soutiennent désormais la marocanité du Sahara pour peu qu'ils considèrent l'autonomie comme l'unique solution envisageable. Alors que les alliés de Brahim Ghali s'effondrent comme un château de cartes, peut-on s'attendre à un effet domino en Afrique ? « Cet effet domino a déjà eu lieu », tranche Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), qui estime que le processus de reconnaissance de la marocanité du Sahara à l'échelle internationale est irréversible à la lumière des récents développements, notamment la position britannique. La nouvelle position de Londres est de nature à influencer même les membres africains du Commonwealth, pense Emmanuel Dupuy, rappelant que le revirement du Kenya et du Ghana montre à quel point le Maroc a pu faire des percées dans les pays anglophones en Afrique. Un processus qui ne date pas d'aujourd'hui. Rabat s'évertue, depuis 2000, à se rapprocher des pays d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe avec une stratégie payante axée sur le partenariat économique. Le Kenya en est un cas d'école, révélateur de cette nouvelle génération de leaders africains qui veulent tourner définitivement la page des idéologies stériles.
Selon l'expert, d'autres pays pourraient rejoindre la liste, notamment le Nigeria dont les intérêts partagés avec le Maroc (dont le Gazoduc atlantique) sont plus grands qu'une cause séparatiste sans espoir.
Jusqu'à présent, après avoir perdu définitivement l'Amérique Latine, un de ses foyers traditionnels, le Polisario ne compte plus d'un infime cercle des alliés en Afrique. La liste ne cesse de s'amenuiser. Force est de constater que 13 Etats africains ont rompu ou suspendu leurs relations avec le front durant les 25 dernières années. Seuls 15 pays sur 54 en Afrique le reconnaissent encore au moment où les partisans de la marocanité du Sahara sont de plus en plus nombreux. Une partie considérable des pays africains l'ont concrétisée sur le terrain en ouvrant des consulats à Laâyoune et Dakhla. A cette heure, près de 42% des pays africains ont désormais une représentation consulaire au Sahara, sachant qu'ils constituent la majeure partie des 28 Etats ayant ouvert des consulats depuis 2017.
L'heure a-t-elle sonné ?
Entre-temps, la présence du Polisario au sein de l'Union Africaine est de plus en plus remise en cause d'autant que l'adhésion d'une entité fantoche réfugiée dans un camp de séquestrés en Algérie n'a plus de sens. Pis encore, cela porte même atteinte à la crédibilité de l'UA comme organisation régionale. Cette question se pose de plus en plus souvent dans les salons diplomatiques. "Nous en parlons plus fréquemment avec nos partenaires africains", confie une source diplomatique, soulignant que le sujet remontera à la surface "tôt ou tard".
Cela fait des années que le Maroc se bat pour arriver au stade d'inscrire cette question à l'ordre du jour. Jusqu'à présent, la diplomatie marocaine se contente d'élargir son cercle d'alliés et de renforcer son maillage dans les instances de l'UA, après le retour du Royaume à l'UA, en attendant le moment opportun.
"Pour exclure un membre de l'UA, il faudrait qu'il y ait une large majorité favorable, puisqu'il subsiste quelques pays, dont l'Ethiopie, l'Algérie et l'Afrique du Sud qui s'opposeraient farouchement à un tel scénario", rappelle Emmanuel Dupuy, ajoutant que le front a une représentation stérile qui ne lui sert à pas grand chose. Bien que le front soit membre de l'UA, l'Afrique évolue dans le sens de la non-reconnaissance des Etats n'ayant pas d'existence réelle, souligne M. Dupuy.
Le modus operandi
Techniquement parlant, l'expulsion d'un membre de l'Union Africaine demeure, tout de même, complexe. L'article 30 de l'acte constitutif prévoit seulement la suspension d'un Etat dont le gouvernement accède au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels. Cela empêche l'Etat pénalisé de participer aux activités de l'Union. Mais, entendons-le bien, il ne s'agit pas d'expulsion. La deuxième voie et le départ volontaire. Un Etat peut, de son propre chef, quitter l'Union à condition de le notifier au président de la Commission, en vertu de l'article 31. Le départ entre en vigueur un an suivant la date de notification si celle-ci n'est pas retirée.
Reste donc l'amendement du statut de l'Union Africaine qui demeure, selon des spécialistes en droit international, la seule option pour pousser le Polisario à la sortie. L'initiative peut émaner de tout Etat.
Faute de consensus, il suffit d'avoir la majorité des deux tiers pour faire adopter l'amendement. Un tel scénario est possible pourvu d'avoir une majorité de 36 Etats favorables. Il y a eu déjà une tentative lors du Sommet de Kigali en 2016 lorsque 28 pays ont adressé une motion à Idriss Déby, alors président de l'Union Africaine, demandant la suspension du Polisario.
Trois questions à Emmanuel Dupuy : " La nouvelle position de Londres peut influencer même d'autres membres africains du Commonwealth" * Pensez-vous que le revirement du Kenya et du Ghana, deux pays traditionnellement pro-Polisario, en faveur du Maroc puisse provoquer un effet domino en Afrique ?
Avec la nouvelle britannique, nous avons la confirmation que le processus de reconnaissance de la marocanité du Sahara au niveau international est irréversible. C'est une réalité. A l'heure où nous parlons, 120 pays ont une position favorable au Maroc, se penchant ainsi du bon côté de l'Histoire. On en est à plus d'une trentaine en Afrique. Sur le continent, la donne a tout à fait changé. Il n'est pas à exclure que la position britannique puisse pousser d'autres pays du Commonwealth, y compris en Afrique, à franchir le Rubicon. Aussi, le revirement du Ghana et du Kenya est de nature à faire changer d'avis d'autres pays africains, surtout dans la sphère anglophone. Je pense notamment au Nigeria. L'effet domino a déjà eu lieu. Il est consubstantiel au fait que les trois quarts des pays du continent soutiennent le Maroc. De ce point de vue là, cette dynamique ne date pas d'aujourd'hui. J'irai même plus loin, cet effet remonte à près de cinq ans à l'époque de la reconnaissance américaine qui a accéléré le processus de l'ouverture des consulats africains à Dakhla et à Laâyoune. Plutôt que de parler d'effet domino, parlons des rares pays récalcitrants qui se rangent de plus en plus souvent du côté du Maroc. Le Ghana et Le Kenya en font partie.
* Aujourd'hui, on augure une fin imminente du conflit à l'ONU d'ici la prochaine réunion du Conseil de Sécurité. Est-ce envisageable ?
Désormais, il existe trois membres permanents du Conseil de Sécurité qui soutiennent officiellement la marocanité du Sahara et le plan d'autonomie proposé par le Maroc comme "La solution". Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'on s'arrête là. La position britannique, comme celle de la France, s'inscrivent dans le cadre onusien. C'est-à-dire que la solution que propose le Maroc doit être appliquée dans un cadre onusien à travers l'Envoyé personnel du SG de l'ONU. Cela dit, la solution de l'autonomie doit être la base unique d'une négociation qui devrait, finalement, avoir lieu. Le dialogue entre les parties prenantes n'en demeure pas moins nécessaire en tenant, évidemment, compte des évolutions du dossier à l'échelle internationale. Le processus de résolution du conflit va irrémédiablement dans le sens du Maroc. Or, il est encore tôt pour dire que tout est fini.
* Que pensez-vous de l'attitude qu'adoptent la Chine et la Russie dans la prochaine réunion du Conseil de Sécurité ?
Pour ce qui est de Pékin, tout le monde a bien conscience que la Chine vote généralement les Résolutions du Conseil de Sécurité, y compris celle de 2024, en ce qui concerne le Sahara. Dans le contexte actuel, il est compliqué de prévoir l'attitude de la Russie. Ce qui est sûr, c'est que l'Algérie est d'autant plus marginalisée avec l'entrée en scène du Sierra Léone et la République Démocratique du Congo comme membres non permanents. C'est un élément positif puisqu'il s'agit de pays qui soutiennent la marocanité du Sahara. Polisario à l'UA : Une anomalie de l'Histoire Entrée par effraction à l'Union Africaine, le Polisario a servi de cheval de Troie pour l'Algérie et ses alliés au sein de l'Union pour, d'abord, faire obstruction aux intérêts du Maroc, mais, surtout, pour donner un semblant de légitimité au front séparatiste aux yeux de la communauté internationale. Tout le monde connaît les circonstances de l'admission du front. A coups de pots-de-vin et d'arrangements de coulisses, l'Algérie a pu dérouler le tapis rouge à son fils adoptif après avoir réussi, avec l'aide de La Libye, l'ex-OUA (Organisation de l'Unité Africaine), de reconnaître le Polisario comme mouvement de libération en 1976. En 1982, lors du Sommet des Conseils des ministres d'Addis Abeba, le Front a été déclaré membre à part entière de l'UA avec 26 voix favorables. En 1984, l'adhésion fut actée définitivement. Une décision qui a poussé le Maroc a se retirer de l'Instance panafricaine après avoir protesté contre l'admission d'une entité n'ayant pas les attributs d'un Etat. Un retrait provisoire. En 2017, le Royaume fit un retour triomphal à l'Union lors d'une cérémonie solennelle où SM le Roi fut chaleureusement applaudi. Adhésion ou suspension d'un membre : Ce que prévoit le Statut de l'UA En gros, l'acte constitutif de l'Union Africaine prévoit trois cas pour en qui concerne le statut d'un Etat. En ce qui concerne l'adhésion, tout Etat africain peut, à tout moment, exprimer au président de la commission son intention d'être admis comme membre de l'Union, selon l'article 29 qui prévoit que l'admission est décidée à la majorité simple des Etats membres. La décision de chaque Etat membre est transmise au Président de la Commission qui communique l'admission à l'Etat intéressé, après réception du nombre de voix requis.
La suspension est prévue dans un seul cas par l'article 30 qui dispose : "Les Gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels ne sont pas admis à participer aux activités de l'Union".
Pour ce qui est des cas de départ, l'article 31 du statut encadre la procédure de cessation de la qualité de membre. "Tout Etat qui désire se retirer de l'Union en notifie par écrit le président de la Commission qui en informe les Etats membres. Une année après ladite notification, si celle-ci n'est pas retirée, le présent acte cesse de s'appliquer à l'Etat concerné qui, de ce fait, cesse d'être membre de l'Union".
C'est l'article 32 qui régit les mécanismes de révision du statut. Cette possibilité est dévolue à l'ensemble des Etats membres. "Les propositions d'amendement ou de révision sont soumises au Président de la Commission qui en communique copies aux Etats membres dans les trente (30) jours suivant la date de réception", dispose ledit article.
Une fois la proposition soumise, la Conférence de l'Union, sur avis du Conseil exécutif, l'examine dans un délai d'un an suivant la notification des Etats membres. Les amendements ou révisions sont adoptés par la Conférence de l'Union par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers, une fois ratifiés par les Etats-membres.