À l'approche des élections législatives de 2026, le ministre de l'Intérieur, Abdelouafi Laftit, a fermement averti contre toute tentative d'instrumentalisation des aides caritatives à des fins électoralistes. La loi relative à l'application des appels à la générosité publique et à la distribution d'aides caritatives passera son premier stress test. On se souvient tous des précédentes échéances électorales, marquées par l'explosion précoce des fameuses «boules puantes», soupçonnant d'instrumentalisation des aides caritatives à des fins électoralistes. Camions remplis de denrées, enveloppes discrètes, couvertures, médicaments... Officiellement, ces actions relèvent de la solidarité et visent à soutenir les plus démunis. Officieusement, les observateurs y voient une stratégie politique bien huilée, où la générosité sert de tremplin à l'influence, surtout que dans les quartiers populaires comme dans les zones rurales enclavées, les aides se multiplient, souvent sous des bannières associatives étroitement liées à des partis.
À l'approche des élections de 2026, ce phénomène, désormais presque routinier, retient toute l'attention du ministère de l'Intérieur, qui a fermement mis en garde contre toute tentative d'instrumentalisation des aides caritatives dans les mois à venir. Abdelouafi Laftit, qui vient de recevoir de nouvelles instructions Royales pour la réforme du Code électoral, a affirmé que son département appliquera avec rigueur les dispositions légales en vigueur, afin de préserver l'esprit solidaire de ces actions et de protéger aussi bien les bénéficiaires que les donateurs. «Les autorités locales sont habilitées à interdire, différer ou suspendre toute distribution jugée illégale ou détournée de son objectif», a-t-il précisé. Un système verrouillé, mais pas trop !
Mais si ces pratiques persistent malgré plusieurs tentatives de régulation, c'est en grande partie parce que la loi, jusqu'ici, comportait des zones grises permettant à certains acteurs d'éluder les règles. En janvier 2023, la loi 18-18 a été adoptée par le Parlement et promulguée par Dahir après publication au Bulletin Officiel. Ce texte constitue une avancée majeure, en ce qu'il encadre de manière claire les conditions et critères selon lesquels des ONG ou de simples citoyens peuvent collecter et distribuer des dons à des fins caritatives ou humanitaires.
Cependant, cette loi restait lettre morte en l'absence d'un décret d'application précisant les modalités concrètes qui définissent les autorités gouvernementales chargées de délivrer les autorisations, d'assurer le contrôle, voire de demander des comptes, transparence oblige. C'est précisément à cette lacune que répond le décret n° 2.25.152, adopté en mars dernier en Conseil de gouvernement, qui inscrit noir sur blanc les autorités habilitées à encadrer, autoriser et superviser les actions caritatives sur le terrain, fermant ainsi la porte à de nombreuses dérives.
En gros, toute collecte ou distribution de dons doit désormais passer par les autorités publiques, chacune dans le cadre de ses prérogatives et compétences. Fini les dérives comme celles observées après le séisme d'Al Haouz, où des millions de dirhams ont été mobilisés dans une opacité totale, sans aucune traçabilité. Désormais, la loi impose que toute collecte de fonds devrait transiter par un compte bancaire dédié, et les ONG concernées sont tenues de transmettre aux autorités compétentes l'ensemble des informations relatives à leur action. Cela inclut la finalité de l'opération, les montants collectés, les pièces justificatives, ainsi que le nombre exact de bénéficiaires. Et lorsque la collecte dépasse le seuil d'un million de dirhams, les comptes de l'opération doivent obligatoirement être certifiés par un expert-comptable inscrit à l'Ordre professionnel.
Perceptions controversées
Selon Nezha Hafidi, cadre à la Direction des Associations, ces nouvelles règles visent à instaurer «un équilibre entre la facilitation des actions solidaires et le renforcement des garanties de transparence et de bonne gouvernance». Dans le cadre des opérations de distribution d'aides caritatives ou humanitaires, la loi impose désormais qu'un rapport détaillé soit remis à l'autorité ayant délivré l'autorisation, une fois l'action terminée. «Les autorités publiques, en vertu de la loi, sont habilitées à intervenir à tout moment pour ordonner l'arrêt des opérations de distribution en cas de dérives constatées», précise Hafidi, tout en reconnaissant l'ampleur des défis à relever pour encadrer l'ensemble du tissu associatif. Du côté du ministère de l'Intérieur, on se montre conscient de la complexité de la tâche et de la nécessité d'un temps d'adaptation. «Nous allons multiplier les initiatives de sensibilisation et d'accompagnement dans les mois à venir», confie une source officielle.
Mais alors que les responsables saluent l'entrée en vigueur de ce nouveau cadre réglementaire, de nombreuses voix s'élèvent au sein du milieu associatif pour en dénoncer les limites. Le texte de loi, selon eux, reste largement déconnecté des réalités du terrain. «La législation actuelle reste souvent déconnectée des urgences sociales vécues sur le terrain», alerte la Présidente de l'ONG Jood, Hind Laïdi, précisant que beaucoup de textes sont pensés dans une logique administrative et centralisée, alors que les réalités varient fortement entre un village isolé de l'Atlas et un quartier périphérique de Casablanca. Pour cette actrice engagée de longue date dans l'action sociale, il faut co-construire la loi avec les acteurs de terrain, «en instaurant des mécanismes de remontée des besoins locaux vers les instances législatives et gouvernementales».
Cela dit, la nouvelle loi prévoit une série de sanctions financières destinées à garantir la transparence et l'intégrité de ces opérations, apprend-on du texte. Toute personne non autorisée qui lance un appel public au don s'expose à une amende allant de 50.000 à 100.000 dirhams, tandis que les médias ou entités qui diffusent de tels appels en infraction avec la loi risquent entre 100.000 et 500.000 dirhams d'amende. D'autres infractions, comme l'utilisation des dons à des fins interdites, l'absence d'autorisation préalable, la non-déclaration des fonds collectés ou encore le non-respect des délais de transfert des montants restants, sont passibles d'amendes allant de 10.000 à 50.000 dirhams. Les manquements aux obligations de transparence et de reporting peuvent quant à eux entraîner des amendes de 5.000 à 10.000 dirhams. En cas de récidive, les sanctions sont automatiquement doublées, et la justice peut ordonner la confiscation des sommes en jeu, tout en préservant les droits des tiers de bonne foi. Reste à savoir si ces sanctions parviendront à dissuader les fraudeurs...
Rime TAYBOUTA
Trois questions à Hind Laïdi : « Il devient urgent de co-construire la loi avec les acteurs de terrain » * Comment peut-on favoriser une meilleure coordination entre les associations caritatives et l'Etat ?
La coordination entre les associations et l'Etat doit aller bien au-delà des partenariats ponctuels. Elle nécessite la mise en place d'un cadre de concertation national et régional, réunissant régulièrement les acteurs associatifs, les représentants des ministères concernés (Intérieur, Santé, Solidarité...), ainsi que les collectivités locales. Ce cadre permettrait d'éviter les chevauchements, de mutualiser les ressources et de mieux cibler les actions en fonction des besoins réels. Il serait également pertinent de mettre en place une plateforme numérique nationale, recensant les actions, les associations actives, les zones d'intervention et les besoins sur le terrain, pour fluidifier la collaboration. Enfin, la reconnaissance du travail de terrain par des mécanismes de soutien financier et logistique plus accessibles renforcerait la complémentarité entre l'action publique et l'initiative citoyenne.
* La loi prend-elle suffisamment en compte les réalités du terrain, surtout dans les zones rurales ou les quartiers défavorisés ?
Malheureusement non. La législation actuelle reste souvent déconnectée des urgences sociales vécues sur le terrain. Beaucoup de textes sont pensés dans une logique administrative et centralisée, alors que les réalités varient fortement entre un village isolé de l'Atlas et un quartier périphérique de Casablanca. Prenons l'exemple de l'hébergement d'urgence ou de l'accès aux soins pour les sans-abri. Il existe très peu de dispositifs adaptés aux spécificités locales, et les associations doivent souvent contourner les lourdeurs réglementaires pour répondre aux besoins immédiats. Il devient urgent de co-construire la loi avec les acteurs de terrain, en instaurant des mécanismes de remontée des besoins locaux vers les instances législatives et gouvernementales.
* Que faut-il revoir à l'approche de la période pré-électorale en matière de distribution d'aides caritatives, qui peut être instrumentalisée à des fins politiques ?
Il est essentiel de protéger l'action humanitaire de toute récupération politique. En période pré-électorale, la distribution d'aides devient un outil de manipulation, au détriment de la dignité des bénéficiaires et de l'intégrité du tissu associatif, nous avons observé ces dernières années des faits et des stratégies parfaitement immorales. Pour y remédier, il faudrait renforcer le contrôle de la distribution d'aides en période électorale, en interdisant explicitement toute action associative à caractère caritatif financée ou menée par des candidats ou partis et instaurer un code d'éthique de l'action sociale en période électorale, signé par les associations et surveillé par des instances indépendantes. Enfin, renforcer l'autonomie et la transparence des associations, à travers des mécanismes de financement publics non politisés, et une communication claire sur les sources de dons et les bénéficiaires.
Délais : Rigueur dans la collecte et la reddition La loi n°18.18 relative à l'application des appels à la générosité publique et à la distribution d'aides caritatives fixe des délais stricts pour garantir transparence et efficacité. Toute demande de licence pour lancer une collecte doit être déposée au moins 30 jours avant la date prévue, délai qui peut être réduit à 24 heures en cas d'urgence. Les structures exonérées de licence doivent néanmoins déclarer leur opération 15 jours à l'avance. La durée maximale autorisée pour une collecte est d'un an, avec possibilité de renouvellement un mois avant son expiration. Côté reddition des comptes, les organisateurs disposent de 30 jours après la fin de l'opération pour transmettre un rapport détaillé, puis d'un second délai de 30 jours pour justifier l'usage des fonds. Si des montants restent inutilisés après l'atteinte des objectifs annoncés, ils doivent être transférés à une entité caritative désignée dans un délai de 60 jours. Pour toute distribution d'aides, une déclaration doit être faite au gouverneur au moins 10 jours à l'avance, délai ramené à 24 heures en cas d'intervention urgente, et un rapport de clôture doit être remis dans les 30 jours suivant l'opération.
Ce cadre légal impose une transparence au niveau de la publication obligatoire des montants collectés, du contrôle de l'usage des fonds, du dépôt bancaire dédié, et de l'obligation de collaborer avec l'administration en cas de contrôle. L'objectif est d'encadrer les élans de solidarité tout en protégeant les donateurs, les bénéficiaires et l'intérêt général.