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Maroc UE : Quelle politique de la concurrence pour un partenariat gagnant–gagnant
Publié dans Maroc Diplomatique le 03 - 08 - 2022


Par Youssef Oubejja ( Juriste et économiste)
La convergence réglementaire entre le Maroc et l'UE en matière de droit de la concurrence est en gestation avancée. En effet s'étant doté d'un arsenal juridique encadrant la concurrence en conformité avec les standards européens, les autorités du Royaume paraissent déterminés à parachever leurs engagements pris avec l'UE. Il est à souligner qu'en dépit des avancées de cette convergence réglementaire, plusieurs problématiques émergent, notamment celles concernant l'interprétation et l'application des règles du droit de la concurrence par les autorités de contrôle ?
Se pose alors en arrière plan la problématique de mettre en lumière quelle politique de concurrence devrait guider les choix du Royaume. Vue le caractère récent de l'assignation du pouvoir décisionnel au conseil de la concurrence du Maroc et la rareté de jurisprudence en matière de droit de la concurrence, faudrait t-il s'aligner strictement sur les standards de la pratique et de l'application des règles par la Commission Européenne ? cette dernière s'attachant fortement à l'analyse économique, et abandonnant de plus en plus l'approche formaliste. Quelles sont les avantages de telle ou telle approche ? L'évolution des règles de droit dans le temps n'est-t-elle pas une notion variable intrinsèque à chaque contexte national particulier ayant ses propres spécificités ?
Il est certain que l'analyse du contexte économique national est un élément fondamental pour les autorités de contrôle. C'est bien à partir de cette analyse que les règles du droit de l'économie du marché avec à leur tête les dispositions du droit de la concurrence doivent être interprétées. De même si la fonction du droit de la concurrence est de protéger le marché, la politique de la concurrence quant à elle constitue une équation à plusieurs variables. L'attractivité des investissements étrangers qui en constitue l'une des priorités pour les pouvoirs publics reste tributaire d'un grand nombre de facteurs financiers et extra financiers. Certes à leur tête figurent les couts de production mais une autre série de facteurs importants viennent les compléter notamment (la protection de l'environnement, le cout de main d'œuvre, les infrastructures, le fret, le positionnement géographique et le voisinage, mais aussi le transfert de technologie). Nous essayerons dans un premier temps de donner une vision globale abstraite du phénomène concurrentiel tout en essayant de cerner ses contours variables selon les pays et selon les époques.
Vues théoriques sur le phénomène concurrentiel
Les réflexions sur le phénomène concurrentiel ont été investies par les économistes à travers des modèles normatifs plus ou moins formalistes.
En effet, étant un facteur de baisse des prix et d'amélioration de la qualité des produits au bénéfice des consommateurs, la concurrence est économiquement bénéfique pour la collectivité. L'environnement juridico économique qui permet l'instauration d'une économie de concurrence libre s'appelle l'économie libérale. Adam Smith fondateur de la théorie de l'économie libérale a montré l'idée que la concurrence est au cœur du modèle libérale. Les vertus de cette dernière ont fini par être reconnues dans la quasi-totalité des modèles économiques. Le phénomène manifeste de privatisation de l'économie entretient des rapports étroits avec la concurrence. En effet il est le résultat de l'internationalisation des marchés et des besoins de plus en plus accrus de financements des marchés internationaux de capitaux. Cependant dans ce contexte la concurrence n'en devient pas pour autant un idéal qu'il conviendrait de rechercher en tant que tel, une seule et unique règle de droit qui gouvernerait le marché. Elle n'est qu'un moyen économique de parvenir à un but économique : l'optimisation du fonctionnement des marchés. Elle varie selon les marchés considérés et n'est pure et parfaite que dans les hypothèses d'école. La science économique a fini par prendre en considération le phénomène concurrentiel dans toute sa complexité[1]
Les structures du marché exercent aussi une influence déterminante sur la forme et la nature de la concurrence. Il n'y'a que peu de rapports entre la concurrence atomistique que le théoricien décrira en partant d'un modèle abstrait, la concurrence oligopolistique qui existe sur de nombreux marchés à l'heure actuelle et la concurrence interstitielle qu'exerce le petit opérateur coincé entre des monopoleurs. Ainsi la concurrence n'est elle pas une notion unitaire, bien au contraire. Quant au degré de la concurrence nécessaire sur un marché, il ne peut être défini de façon abstraite, mais doit être apprécié concrètement, au cas par cas, en considération du but recherché.
A coté de la fonction instantanée assignée au mécanisme concurrentiel pour les consommateurs, il doit aussi faire place à la pérennité des entreprises, à l'innovation, au maintien de la structure concurrentielle des marchés et au progrès économique.
Traditionnellement les fondements du libéralisme partent du postulat que la régulation de l'économie est assurée par le marché. C'est ce qui est communément appelé l'économie de marché où la concurrence est libre. Néanmoins historiquement dans les faits il est utopique de penser qu'il n'ya qu'un modèle unique d'économie de marché. Divers modèles, variables selon les époques ou les pays, peuvent relever de ce qu'il est convenu d'appeler économie de marché[2]. Il serait ainsi trompeur de considérer que l'économie de marché actuelle, serait limitée à la mise en œuvre de mécanismes économiques visant à la meilleure allocation des ressources. Car l'économie du marché du troisième millénaire se caractérise par la prise en compte de bien d'autres valeurs autrefois laissées de coté, telles les valeurs humaines sociales et surtout environnementales. C'est ainsi que le corpus de règles destinés à réguler le marché prend en considération d'autres valeurs autres que l'optimisation des processus économiques. Ce corpus est dit droit de l'économie de marché. Ce dernier s'est enrichi de l'apparition heureuse de tout un ensemble de règles visant à l'organisation du marché dans le but de le rendre compatible avec d'autres objectifs, alors que dans le système libéral traditionnel, on aurait considéré ces règles comme pesant sur le fonctionnement naturel du marché, et donc comme contraire à la doctrine libérale. Le droit de l'économie de marché ajoute ainsi au droit de la concurrence qui visait à la protection du marché contre les atteintes qu'il pouvait subir, une nouvelle finalité qui est l'organisation préalable du marché dans le but d'optimiser son fonctionnement naturel et le rendre plus compatible avec d'autres valeurs d'une autre nature. Il se peut de ce fait que les mécanismes naturels du marché ne permettent pas de conduire à la satisfaction de l'ensemble des besoins de la collectivité. La question sera alors de déterminer comment corriger la défaillance constatée sans pour autant instituer une organisation dirigiste. Tous les pays s'interrogent à l'ère de la mondialisation sur les modalités d'organisation du marché de manière évolutive.
L'application des règles de droit de la concurrence protectrices du marché est tributaire des structures qu'il peut présenter. A l'issue de l'analyse de ses structures on pourra avoir une idée de la variété de ses modes de fonctionnement et des rapports qui s'établissent entre les divers participants. Ainsi le nombre d'opérateurs présents sur le marché détermine dans une large mesure la nature des difficultés susceptibles de survenir. Le monopole de fait ou de droit appellera une protection des demandeurs en cas d'abus du monopoleur. A l'inverse le monopsone qui aura pour effet une situation de puissance d'achat, pourra entrainer une protection des offreurs. Entre le modèle pédagogique de la concurrence pure et parfaite, et l'issue naturelle du processus concurrentiel qui est le monopole de l'opérateur le plus efficace, existe une infinité de variétés de marchés. Les autorités de la concurrence manifesteraient généralement une préférence pour l'oligopole, pour la raison que la concurrence théorique y est moins vive, et la dimension plus grande des entreprises serait de nature à favoriser le progrès économique (gains de productivité, recherche et développement etc....). Mais cela ne veut pas dire que l'oligopole est à l'abri des pratiques anticoncurrentielles. En effet celui-ci peut dans certains cas favoriser une concertation ou un abus de position dominante collective. L'étendue et la nature du marché sont elles aussi susceptibles d'exercer un rôle déterminant dans les appréciations nécessaires à l'application du droit de la concurrence. En outre la situation du marché dans le processus économique joue un rôle. Ainsi s'agit-t-il d'un marché dit intermédiaire, d'un marché destiné au consommateur final, ou des deux ? Les règles de transparence notamment, pourront varier selon cette qualification.
A l'issue de ces développements nous considérons que le partenariat économique et commercial du Maroc avec l'UE devrait être fondé sur une politique gagnant gagnant. Dans la perspective de promotion d'une politique de concurrence, qui prendrait en compte les intérêts réciproques des partenaires, les pouvoirs publics du Royaume devraient concilier entre l'impératif de préservation du tissu économique national tout en veillant à l'attractivité des investissements étrangers notamment européens. Cette politique de concurrence devrait à notre sens être pragmatique en prônant un libéralisme progressiste.
Pour une politique de concurrence pragmatique qui prône un libéralisme progressiste
En Europe la genèse du droit de la concurrence a été consacré par le traité de Rome dans le but de contribuer initialement à promouvoir le marché intérieur. Les Etats membres de l'Union restent soumis aux règles du droit de la concurrence européen, en dépit de l'existence de droits nationaux. L'application de l'un ou l'autre droit en ce qui concerne le contrôle des concentrations par exemple est conditionné par des seuils exprimés en chiffre d'affaires des entreprises concernées. De même les aides d'Etat au sein de l'espace européen sont soumises au contrôle strict des autorités communautaires au point que certains y voyaient un aspect de la dictature du droit européen de la concurrence, dans la mesure où les Etats membres avaient peu d'autonomie dans l'adoption de politiques industrielles nationales. Néanmoins il demeure que la mise en œuvre des règles du droit communautaire de la concurrence par l'organe politique qu'est la Commission Européenne est faite en fonction des choix politiques retenus pour l'intégration européenne. En effet cet organe se caractérise par son indépendance à l'égard des Etats membres et du secteur privé ; le droit de l'Union lui réserve un statut loin d'être équivalent à celui d'une autorité indépendante. Ainsi loin d'être une opération mécanique la décision de poursuivre ou non telle entreprise, de condamner pour ententes ou abus de position dominante ou encore d'autoriser ou interdire une opération de concentration, s'effectue toujours au regard d'une certaine interprétation de la règle de concurrence. Ce sont des choix de valeurs qui sont engagés et qui sont eux-mêmes tributaires de conceptions politiques que la commission se fait de son propre rôle. Il s'agit d'une tendance à la politisation du droit européen de la concurrence[3]. L'application des règles de concurrence est au service d'objectifs définis par le politique.
Qu'elle soit produite par l'économie, le droit ou le politique, la confrontation du droit de la concurrence avec ses propres finalités semble être ainsi un exercice inévitable. C'est à travers cette confrontation que nous pouvons choisir une politique de concurrence ambitieuse qui prenne en priorité les intérêts économiques de la nation.
Dans la discussion sur les finalités du droit de la concurrence, les valeurs d'efficacité et de liberté ont été débattues par deux grandes écoles de la concurrence, respectivement l'école de Chicago et l'école de Fribourg. Historiquement le droit de la concurrence s'est imprégné par l'objectif de protection de la liberté objectif qui se traduit par une politique de limitation du pouvoir économique. C'est la sévérité de cette politique de concurrence qui a été critiqué par l'école de Chicago au nom de l'efficacité[4] économique et qui a été intégré au cours des deux dernières décennies par le droit européen de la concurrence.
Comme l'attestent les premiers rapports sur la politique de la concurrence publiés depuis 1971, la commission associe explicitement dans un premier temps deux objectifs à sa politique : la liberté économique et l'égalité des chances à travers la protection des petites et moyennes entreprises. Cet objectif de préservation des libertés est une constante pour la première phase de formation de la politique de concurrence en Europe. La commission place au cœur de son analyse la liberté économique et l'égalité des chances, la liberté étant censée bénéficier à toutes les entreprises, y compris avant tout au petites et moyennes entreprises.
Dans la formulation de sa politique de concurrence, la commission européenne bénéficie de l'appui de la cour de justice qui fait prévaloir une interprétation de la règle de concurrence au service de la structure du marché et donc des libertés économiques[5]. La qualification des abus de position dominante[6] était tributaire d'une approche formaliste se fondant principalement sur le critère des parts de marché pour l'appréciation du pouvoir économique. De même certains comportements concertés étaient interdits de manière systématique sans possibilité d'analyser leurs effets positifs sur le marché pour leur exemption et leur validation. Ainsi certaines ententes verticales dans les réseaux de distribution conférant une exclusivité étaient systématiquement interdites indépendamment du pouvoir de marché de leurs auteurs[7]. Le Règlement n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, a tempéré cette interdiction perse des ententes verticales. Ainsi au point 6 du préambule au règlement du 22 décembre 1999 il dispose « Un accord vertical peut être bénéfique sur un marché qui demeure concurrentiel : il peut « améliorer l'efficience économique à l'intérieur d'une chaine de production ou de distribution grâce à une meilleure coordination entre les entreprises participantes ». En dessous d'un certain pouvoir de marché, l'accord est en conséquence présumé bénéfique. Au dessus au contraire, il est réputé néfaste.
Les effets délétères et la rigidité de l'approche formaliste et les risques qu'elle comporte pour les entreprises dominantes performantes et méritantes sur le marché ont été contestés par d'imminents économistes à l'égard de Richard Posner qui ont développé une doctrine prônant l'efficacité comme ultime finalité du droit de la concurrence et favorisant le pouvoir économique là où l'école de Fribourg s'en méfiait.
En Europe le regain de l'approche économique fondé sur l'objectif d'efficacité s'est manifesté dans les décisions de la Commission dès l'adoption de la communication du 24 février 2009 sur les orientations retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes . Ainsi cette communication prévoit une analyse multicritère pour l'appréciation des abus de position dominante. A la tète de ces critères apparait celui du pouvoir de marché. En second plan figure celui de la contestabilité des marchés et/ou la concurrence potentielle. Et enfin l'éviction préjudiciable pour les consommateurs ou l'éviction anticoncurrentielle couplé aux gains d'efficacité. Ce sont là autant de critères que l'analyse économique met en avant et que les autorités communautaires de concurrence ont adopté pour l'appréciation au cas par cas du pouvoir économique et l'abus qui peut en être le résultat.
La présence d'entreprises européennes dominantes sur le territoire marocain et leur quête de nouveaux marchés couplée aux risques éventuels de commission d'abus pose avec acuité le problème d'application des règles du droit de la concurrence par le régulateur sur le marché national. Dans ce cadre, le droit de la concurrence marocain devrait-t-il s'attacher à la défense de l'efficacité ou plutôt de la liberté, ce débat sur le choix de l'une ou l'autre valeur ayant débouché en Europe pour l'option de l'efficacité. Notre réponse est nuancée dans la mesure où le contexte économique national présente des spécificités qui sont de nature à conditionner le choix de telle où telle valeur en fonction des priorités retenues et des acteurs opérant sur tel ou tel marché.
Il reste indéniable que les relations économiques privilégiées qu'entretient le Maroc avec l'Europe et le statut avancé dont il bénéficie sont de nature à renforcer leur partenariat dans une optique gagnant –gagnant. L'économie libérale de marché marocaine offre des potentialités d'investissement énormes aux voisins européens. Liberté d'établissement et liberté d'opérer sur le marché sont dans la pratique les piliers de notre économie et sont garanties constitutionnellement par l'état de droit. De surcroit il est temps de pousser les négociations pour élargir le champ d'application de l'accord de libre échange de 2000 en veillant à la préservation des intérêts en présence.
Les facteurs qui corroborent ce besoin de renforcement de la relation bilatérale se vérifient amplement dans le contexte européen. Ainsi la montée du protectionnisme en Europe pendant la crise la Covid 19 et au cours de la dernière décennie couplée à la recrudescence des chaines de valeurs provoquée par la guerre russo-ukrainienne, ont fait baisser significativement la croissance et augmenté l'inflation dans plusieurs pays européens. Le besoin de trouver de nouveaux marchés pour l'Europe est de ce fait fondamental, et impérieux. Le marché marocain constitue une réponse de choix présentant plusieurs avantages. Ainsi bénéficiant d'infrastructures de qualité fruit des efforts de l'Etat en matière d'investissements publics, de couts de production concurrentiels et de main d'œuvre qualifiés, de positionnement géographique idéal, le Maroc constitue l'une des destinations économique régionales les plus compétitives en Afrique et au Moyen Orient. Des chantiers d'envergure qui présentent des besoins de financements ont été récemment initiés par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, notamment ceux qui intéressent les provinces du Sud, et auxquels les entreprises de plusieurs pays européens ont adhéré en s'engageant à les parachever conjointement avec des partenaires nationaux. De même le besoin de coopération avec les pays du voisinage est d'une importance capital pour notre pays qui ambitionne de mettre en œuvre le nouveau modèle de développement. Nous mettons en avant le modèle du partenariat maroco-espagnol comme exemple que devraient suivre les autres pays Européens.
La réussite du partenariat maroco-européen reste toutefois conditionnée par l'impératif de régulation de la concurrence qui constitue entre autre l'une des variables fondamentales de toute politique économique et qui pose le problème de l'interprétation des règles du droit de la concurrence. Notre politique économique en l'occurrence s'attache à la préservation du tissu économique national constitué principalement de PME et PMI en dépit de l'adhésion de notre pays aux principes de l'économie de marché. Loin de tout dogmatisme nous considérons que la dialectique de l'évolution libérale est propre à chaque contexte national particulier et se fait au rythme de chaque nation en prenant en compte ses particularités dans toutes leurs dimensions.
Dans ce contexte d'ouverture économique à l'internationale: quelle place pour l'analyse économique s'attachant à la défense de l'efficacité et quelles sont les limites pour l'approche formaliste prônant le principe de liberté dans l'appréhension de la concurrence ? Les vertus de l'approche formaliste notamment, la garantie de la sécurité juridique de la prévisibilité et la stabilité doivent-elles s'écarter au profit de l'analyse purement économique. ? La réponse est nuancée comme évoqué précédemment selon les structures des marchés en question, leur nature et leurs spécificités et des acteurs qui y opèrent.
Nous considérons à ce titre que il y'ait des cas où lors de la délimitation du marché pertinent certaines structures de marchés appellent à l'intégration de l'analyse économique et à l'adoption de la règle de raison pour l'examen des pratiques anticoncurrentielles avec mise en balance des effets pro-concurrentielles et effets anticoncurrentielles. Il en est ainsi dans ce contexte d'ouverture et de concurrence internationale accrue qui reste favorable à l'émergence de positions dominantes. Mais il demeure peu probable que le flux des investissements étrangers qui concourent à cette émergence et qui sont dans certains cas volatiles présument la pérennité du pouvoir économique.
A l'opposé cet examen peut dans d'autres cas nécessiter de recourir strictement à l'indice de parts de marché qui suffit à lui seul de présumer le pouvoir économique de l'entreprise autrice de l'abus. D'où le constat de casuistique inévitable dans le choix de l'approche à adopter par les autorités. En effet malgré l'attachement à l'analyse économique par la Commission européenne, il demeure que le critère des parts de marché constitue un indice hautement significatif.
Un autre élément à souligner dans le choix des deux différentes approches réside dans le degré de maturité du marché. Ainsi il peut s'agir d'un marché émergent comme d'un marché arrivé à maturité selon les stades d'évolution des marchés. S'agissant des marchés émergents le pouvoir économique est variable, et les positions dominantes ne sont pas pérennes ce qui justifie le recours préférentiel à l'analyse économique.
Une question subsidiaire corrélative de savoir s'il faut dans ce contexte économique national scinder la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence du cadre légal régissant la concurrence. Devrait-t-on considérer cette lutte comme ne faisant pas partie de la régulation de la concurrence ? Nous considérons que l'interdiction perse des pratiques restrictives (vente liées, prix imposé, pratiques discriminatoires, refus de vente) s'inscrit dans le cadre de la défense des intérêts souverains de préservation du tissu économique. Il s'agit là de l'un des aspects de la dialectique libérale de l'économie marocaine à l'instar des économies européennes à certaines époques de leur évolution.
Les avantages de telle ou telle approche sont à distinguer à plusieurs égards. Ainsi l'approche formaliste et l'interdiction perse des pratiques restrictives se présente comme une réponse conforme aux spécificités du marché marocain permettant de créer des externalités positives notamment au profit des acteurs du marché de petites et de moyennes taille pour se prémunir contre les abus des relations de dépendance entre professionnels particulièrement ceux titulaires d'une puissance d'achat. En revanche la règle de raison qui met l'accent sur l'analyse économique permet d'appréhender la réalité mouvante et évolutive du marché et ne se préoccupe guère d'un quelconque impératif de protection de la partie faible qui demeure consubstantiel au droit de la concurrence marocain notamment pour ce qui est du contrôle des pratiques restrictives. En cela elle est l'expression d'un ultra libéralisme loin d'être tempéré. En matière de pratiques anticoncurrentielles cette règle permet aux autorités de contrôle d'analyser le pouvoir économique d'une manière extensive et multicritère en ne se fiant pas exclusivement au test des parts de marchés. C'est là l'un des éléments fondamentaux de ses avantages. De même on reproche à l'approche formaliste son systématisme en permettant d'interdire à priori certaines pratiques sans analyser leurs effets pro concurrentiels favorables pour les consommateurs[8]. .
En guise de conclusion nous considérons que le Maroc fait office d'un certain libéralisme progressiste s'apparentant à l'une des formes de protectionnisme, en intégrant l'approche formaliste dans le contrôle des relations de dépendance entre professionnels. La production jurisprudentielle du conseil de la concurrence marocain reste tant attendue en ce qui concerne sa mission de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Nous espérons que cette institution produise des guides lignes, qui nous permettront de comprendre les démarches qu'il adopte pour la qualification et l'instruction de ces pratiques.
[1] A.Bienaymé, Principe de concurrence, Economica 1998, p. 17.
[2] Droit du marché, Claude Lucas de Leyssac, et Gilbert Parleani, Thémis Droit privé.
[3] Voir par ex. la Résolution du Parlement européen du 2 février2012 sur le rapport annuel de la politique de concurrence de l'Union Européenne (2011/2094 INI, JOUE du 20.08.2013 n° CE 239/97
[4] Nous utilisons ici le terme d'efficacité par commodité de langage. Large, le concept n'a pas fait l'objet de définition unanime ( voir néanmoins pour le domaine juridique : G. Tullock,'Two kinds of legal efficiency » Hofstra Law Review, 8659, 1979-1980)et sert parfois à traduire le terme anglais efficiencyn y compris en droit européen de la concurrence.
[5] C.J.C.E., 17 décembre 1975, arrêt « Chiquita United Brands », J.O.C.E., 9 avril 1976, n°l-95; C.J.C.E., 13
février 1979, arrêt « Hoffman-La Roche » Rec. C.J.C.E., p.461; C.J.C.E., 11 décembre 1980, arrêt « L'Oréal », Rec. C.J.C.E., p.3775.
[6] L'arrêt Hoffman la Roche ou la Cour de justice des communautés européennes définit la position dominante comme une « situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause (…)
[7] CJCE, 30 juin 1996, Société technique minière, préc., précisant que la règle d'interdiction des ententes ne fait « aucune distinction selon que les parties se trouvent placés soit au même stade ( accords dis « horizontaux »), soit à des stades différents ( accords dis « verticaux ») du processus économique. Egalement par exemple : CJCE, 13 juillet 1966, Consten et Grundig c/ Commission, aff. 56/ 64 et 58/64, Rec. 429.
[8]. Voir notre article publié sur Maroc Diplomatique « l'économie du marché au Maroc à la lumière de la loi 104-12, Exemple des pratiques restrictives de ventes liées »


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