Etudes fictives, favoritisme, projets fantômes... Dans plusieurs communes marocaines, les marchés publics sont devenus le théâtre de dérives inquiétantes. Des milliards de dirhams s'évaporent au détriment des citoyens. Alarmé par cette situation, le ministre de l'Intérieur, M. Abdelouafi Laftit, appelle à une réforme en profondeur pour remettre de l'ordre et restaurer la confiance dans la gestion locale. Les rapports successifs des Cours régionales des comptes et de l'Inspection Générale de l'Administration Territoriale (IGAT) ont mis en avant de graves irrégularités dans la gestion des marchés publics par les communes au Maroc. Ces constats alarmants pointent du doigt une série de dysfonctionnements systémiques, allant de la planification déficiente à des pratiques frauduleuses, en passant par un cadre juridique inadapté aux exigences actuelles. Un des griefs majeurs soulevés par les rapports d'audit concerne la multiplication d'études fictives commandées pour des projets qui, en réalité, n'ont jamais vu le jour. Plusieurs présidents de communes sont ainsi accusés d'avoir alloué des fonds à des prestations inexistantes, créant un préjudice de plusieurs milliards de dirhams pour le Trésor public. Ces pratiques relèvent d'un détournement organisé des ressources publiques, dans un contexte où la pauvreté de l'offre de services de base est souvent dénoncée par les citoyens. Les Cours régionales des comptes relèvent également un manque de clarté dans la définition des projets concernés par ces études, tant au niveau des composantes techniques que du coût estimatif. Ce flou volontaire entretient une zone grise propice aux abus, en rendant difficile l'évaluation de la pertinence des dépenses engagées, et surtout, en facilitant les manipulations lors de la passation des marchés. La collecte des données relatives à la commande publique est un autre point faible identifié. Actuellement, ces informations sont fragmentées, non centralisées, et souvent peu fiables, ce qui rend le suivi et le contrôle difficiles pour les autorités de tutelle. Lire aussi : Marchés publics : une enquête sur les anomalies dans les choix des prestataires Face à cette situation, M. Abdelouafi Laftit, ministre de l'Intérieur, a adressé une circulaire urgente aux walis et gouverneurs via la Direction générale des collectivités territoriales. Cette directive invite les responsables locaux à faire remonter, par voie électronique, l'ensemble des dysfonctionnements et obstacles rencontrés lors de la mise en œuvre du décret n° 2.22.431 relatif aux marchés publics, en vigueur depuis mars 2023. Cette initiative s'inscrit dans un chantier de réforme global conduit par la Direction des finances des collectivités territoriales, avec pour objectif d'adapter les mécanismes d'exécution des marchés publics aux réalités spécifiques des collectivités. La note ministérielle, signée par délégation du wali Jaloul Samsam, fait suite à un constat généralisé de défaillances, allant de la phase de planification jusqu'à la réception des prestations. Les services du ministère de l'Intérieur ont également relevé un décalage entre le cadre juridique actuel et les évolutions économiques nationales et internationales. Cette inadéquation provoque des retards, des blocages administratifs et une dépendance excessive à l'intervention des comptables publics ou de la Commission nationale de la commande publique. De graves irrégularités dans l'attribution des marchés sont également mises en lumière : dépassements de budget, insertion de clauses discriminatoires dans les appels d'offres, ainsi que des suspicions de favoritisme. Selon les médias, des soumissionnaires évincés ont dénoncé des pratiques opaques privilégiant les proches, les alliés politiques ou des relations personnelles des élus. Certaines communes vont jusqu'à faire pression sur les opérateurs économiques, les contraignant à se regrouper avec des entreprises appartenant à des membres de l'entourage des élus afin d'obtenir les marchés. Bien que la procédure de passation soit digitalisée via la plateforme nationale, la rédaction des cahiers des prescriptions spéciales (CPS) reste largement entre les mains des administrations locales, ouvrant la porte à toutes les dérives. Le problème ne se limite pas à la corruption. Le système actuel favorise clairement les grands opérateurs économiques, au détriment des petites et très petites entreprises (TPE/PME). Lors du débat sur le projet de loi de finances, plusieurs voix parlementaires ont dénoncé l'accaparement des marchés par des consortiums bien établis, utilisant des sociétés écrans pour contourner les seuils d'éligibilité. Résultat : les PME locales, malgré leur rôle vital dans l'économie, peinent à décrocher des contrats publics. Les bons de commande, censés simplifier la gestion courante, ont fait l'objet de nouvelles révélations accablantes. Le ministère de l'Intérieur a saisi la justice financière concernant plusieurs dizaines de présidents de communes soupçonnés d'avoir abusé de ce mécanisme pour éviter la rigueur des marchés publics. Dans certains cas, ces bons ont été utilisés pour attribuer des projets à des entreprises spécifiques sans appel à la concurrence, créant ainsi un monopole déguisé. Ces pratiques ont donné lieu à des paiements sans exécution effective, causant un préjudice considérable aux finances locales. Plusieurs élus sont aujourd'hui visés par des procédures de révocation devant les juridictions administratives.