À mesure que l'Europe cherche à sécuriser ses approvisionnements critiques en dehors de la Chine, le Maroc s'impose, pour les industriels britanniques, comme un partenaire incontournable dans la chaîne de valeur des matériaux stratégiques. Dernière illustration en date : l'annonce, mardi 20 mai, d'un accord déterminant entre la société britannique Falcon Energy Materials et Fluoralpha, filiale de la holding marocaine Innovx. Ensemble, ils ambitionnent d'implanter à Jorf Lasfar une filière intégrée de fabrication de graphite sphérique purifié et enrobé (CSPG), un composant essentiel à la production d'anodes pour batteries lithium-ion. L'unité pilote, première étape du projet, devrait voir le jour d'ici la fin 2025. Elle produira quotidiennement jusqu'à 100 kilogrammes de graphite CSPG. Son objectif : fournir des échantillons à des clients stratégiques et préparer les bases contractuelles de la future usine de grande capacité, prévue à proximité, dans le Parc X — une zone industrielle développée par Innovx à l'ombre du port industriel de Jorf Lasfar. Ce site offre un atout logistique de taille, conjuguant proximité portuaire et infrastructures lourdes. Pour Matthieu Bos, directeur général de Falcon, l'enjeu dépasse la simple implantation industrielle. « Ce partenariat nous permet de rassembler au Maroc un écosystème de premier rang pour asseoir une production locale de graphite purifié conforme aux plus hautes exigences industrielles », a-t-il déclaré. Le partenariat scelle également l'ancrage de Falcon dans une stratégie de décarbonation et de sécurisation d'une chaîne d'approvisionnement éthique, en réponse à l'impératif européen de diversification. Le choix de Fluoralpha n'est pas anodin. L'entreprise, fleuron émergent de l'industrie chimique marocaine, transforme un sous-produit du raffinage des phosphates — l'acide fluosilicique (FSA) — en acide fluorhydrique anhydre (AHF) de très haute pureté. Or, ce réactif est indispensable pour purifier le graphite naturel et lui donner les propriétés requises pour un usage dans les batteries. En assurant un approvisionnement local d'AHF, Fluoralpha permet à Falcon de s'affranchir de dépendances critiques à l'importation tout en renforçant l'intégration industrielle du projet. Lire aussi : Commission nationale des investissements : 191 projets approuvés pour plus de 326 MMDH La proximité des deux installations réduit d'autant les risques liés au transport de substances corrosives et toxiques. Elle permet également une coordination logistique étroite et une rationalisation des coûts, dans un secteur où la compétitivité repose en grande partie sur la performance opérationnelle. Une filière africaine intégrée, entre la Guinée et le Maroc Le projet de Falcon ne se limite pas au Maroc. La société entend structurer une chaîne de valeur paneuropéenne et africaine : extraction de graphite naturel en République de Guinée, transformation avancée à Jorf Lasfar, puis distribution vers les marchés européens. Ce modèle intégré, conçu pour répondre aux exigences ESG (environnement, social, gouvernance), entend rompre avec les pratiques opaques et polluantes qui prédominent encore dans la filière mondiale des matériaux pour batteries. Au-delà du cas Falcon, ce partenariat s'inscrit dans une tendance plus large : l'intérêt croissant des entreprises britanniques pour le Maroc. En quête de résilience industrielle et de nouvelles plateformes d'exportation vers l'Afrique et l'Europe, plusieurs groupes du Royaume-Uni scrutent désormais le Maroc comme une terre d'implantation stratégique, conjuguant stabilité, politique industrielle volontariste, et proximité logistique avec l'Union européenne. Le développement conjoint de Falcon et Fluoralpha en est un révélateur : l'industrie marocaine ne se contente plus d'accueillir des projets exogènes, elle devient coproductrice de valeur ajoutée technologique et chimique à haute intensité. En misant sur la transformation locale des ressources et sur l'intégration des compétences nationales, cette initiative projette le Maroc dans l'économie de demain, où la souveraineté énergétique passe aussi par la maîtrise des matériaux critiques. Le directeur général de Falcon ne cache pas son ambition d'aller plus loin. « Il ne s'agit pas simplement d'implanter une usine, mais bien d'investir durablement dans les compétences locales et de contribuer à l'essor industriel du Maroc », insiste Matthieu Bos. L'entreprise envisage déjà des partenariats avec les milieux de la recherche et de l'innovation au Maroc, dans une logique de co-développement scientifique. Cette approche s'aligne avec la stratégie industrielle du Royaume, qui cherche à se positionner comme une plateforme de production avancée dans des domaines clés : énergies renouvelables, batteries, hydrogène vert, et aujourd'hui matériaux pour la transition énergétique.