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La fiscalité, clé de l'indépendance économique et de la justice sociale
Publié dans Maroc Diplomatique le 21 - 05 - 2025


Par Julien BRIOT-HADAR[1] et Ali ALAOUI MDAGHRI[2]
La fiscalité constitue un levier essentiel pour promouvoir l'équité économique et sociale. Les impôts et cotisations versés par les catégories les plus aisées permettent de redistribuer des aides sociales aux classes populaires. Cette redistribution contribue à stabiliser la collectivité, à renforcer l'empathie entre ses membres et à forger un sentiment d'appartenance indispensable au développement de la société.
Celle-ci joue un rôle primordial dans l'affirmation de la souveraineté, qu'elle soit régionale ou nationale. L'indépendance d'un pays repose avant tout sur sa capacité à se libérer de l'aide extérieure. En effet, les attributs de souveraineté perdent de leur poids face à une dépendance économique et financière prolongée. Pour les pays émergents, l'indépendance économique passe par leur aptitude à générer des ressources internes suffisantes pour répondre à leurs besoins fondamentaux. Cela ne peut être accompli sans une fiscalité appropriée.
Pour finir, elle est cruciale pour établir une justice économique à l'échelle mondiale. De nombreuses multinationales échappent à leurs obligations fiscales en recourant à des montages financiers complexes et en localisant certaines filiales dans des paradis fiscaux. Dans des secteurs de pointe, elles profitent parfois de la faiblesse des administrations publiques, voire de la corruption, pour contourner les lois fiscales et réduire leurs impôts, voire les éviter entièrement.
La fraude fiscale au Maroc
La fraude fiscale au Maroc se manifeste sous diverses formes, incluant l'utilisation abusive des régimes fiscaux et la manipulation comptables. Les pertes sont colossales. Selon une estimation de 2023 du Réseau international pour la justice fiscale (Tax Justice Network), les abus liés à l'impôt sur les sociétés (IS) coûtent environ 919,4 millions de dollars par an au Maroc. L'évasion fiscale des multinationales représente une perte annuelle estimée à 24,5 milliards de dirhams, soit environ 2,34 % du PIB. À cela s'ajoute une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) évaluée entre 1 et 1,2 milliard de dirhams par an, selon la Direction Générale des Impôts (DGI) .
Face à ce constat, la DGI a entrepris un projet d'envergure visant à instaurer un système de facturation électronique, symbole d'une modernisation ambitieuse des processus fiscaux et d'un engagement accru en faveur de la transparence. Inspiré par l'exemple français, où les grandes entreprises seront tenues de se conformer à la facturation électronique dès septembre 2026, le Maroc amorce une transition similaire en adoptant une approche duale. D'une part, le Portail Public de Facturation (PPF) centralisera et transmettra directement les données fiscales à la DGI. D'autre part, des Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP), en tant qu'intermédiaires privés, assureront l'émission et la réception des factures électroniques.
Au-delà de l'objectif primordial de lutter contre la fraude à la TVA, cette réforme vise à transformer profondément le paysage fiscal en simplifiant le suivi des transactions pour les entreprises et l'administration fiscale, en sécurisant les échanges grâce à une traçabilité accrue, et en automatisant certaines obligations, réduisant ainsi les erreurs humaines et les délais administratifs. Bien que cette transformation puisse initialement paraître complexe, elle s'impose avant tout comme une occasion précieuse pour les entreprises de moderniser leurs processus internes, d'améliorer leur transparence et d'optimiser leur gestion fiscale. Celles qui sauront s'adapter rapidement tireront un avantage compétitif significatif, consolidant ainsi leur position dans un environnement économique de plus en plus digitalisé.
Les solutions pour lutter contre la fraude fiscale
Comme expliqué dans l'ouvrage « Lutter contre la fraude fiscale en entreprise », publié aux Editions Vuibert, il est impératif d'allier expertise fiscale et nouvelles technologies afin de lutter efficacement contre la fraude fiscale.
La première étape serait d'utiliser la blockchain.
La blockchain est une chaîne de blocs ou conteneurs numériques, dans lesquels sont stockées des informations de toute nature. On peut dire que c'est un registre numérique inaltérable, bâti sur la base d'un consensus entre les participants dans toutes les étapes ou séquences d'une opération.
Pour garantir la fiabilité et l'intégrité des données, la blockchain fait appel à des « mineurs », choisis parmi ses intervenants (institutions financières, personnes morales, personnes physiques, etc.) qui, suivant des règles prédéfinies valident les informations avant de les inscrire (pour toujours) sur la blockchain. Les blocs d'informations, horodatés et ajoutés à la chaîne, ne peuvent plus être modifiés.
Généralement, il existe trois types de membres :
* Les utilisateurs : ils ne font qu'effectuer des paiements et les recevoir. Ils ne s'intéressent pas aux algorithmes et à la création de nouveaux blocs. Lorsqu'ils doivent effectuer des transactions, ils payent des frais de minage.
* Les nœuds : ils reçoivent les informations des utilisateurs et les transmettent. Ils s'assurent que le système reste décentralisé
* Les mineurs : ils calculent afin de trouver le prochain bloc et d'enregistrer les transactions qui seront obtenues dans celui-ci. Une fois qu'un mineur a réussi cette opération, il reçoit les frais de minage des transactions enregistrées dans le nouveau bloc découvert.
Les participants au système sont appelés « nœuds » et sont connectés entre eux de manière distribuée. Tous les intervenants contribuent à l'enrichissement de la base de données.
La blockchain serait utilisée en vue de créer un registre numérique africain accessible à l'ensemble des administrations fiscales nationales et répertoriant l'ensemble des transactions.
Lire aussi : Pourquoi la France a raison de se réconcilier avec le Maroc
Créer un registre numérique international semble difficilement réalisable, du fait de la pression politique et des signatures trop récentes des conventions d'assistance administrative en matière fiscale. Toutefois, une autre solution consisterait à ce que la gestion de cette blockchain et du registre afférent puisse être confiée à une organisation internationale ad hoc, dont la gouvernance associerait les Etats et les institutions financières privées, et dont les statuts garantiraient son indépendance (mandat clair, possibles immunités, transparence de fonctionnement, caractère non renouvelable des fonctions dirigeantes, etc.). Un tel registre offrirait des garanties d'information fiable et aisément accessible tant pour les Etats que pour les institutions privées, d'une nature différente des structures de règlement transnationaux actuellement sur ce marché telles que SWIFT ou le CIPS. En conséquence, les législations fiscales nationales pourraient prévoir qu'en cas de contrôles fiscaux et d'éventuels redressements, une présomption de régularité et de fiabilité des informations afférentes (charge de la preuve aménagée), s'applique en faveur des transactions réalisées par cette organisation internationale ad hoc.
Par ailleurs, il serait impératif que les sociétés qui choisissent de ne pas participer à ce processus de vérification fiscale assument une charge de preuve aménagée, qui les contraindrait à démontrer la conformité de leurs opérations. Ce cadre novateur, en établissant des normes claires et des obligations précises, pourrait ainsi favoriser une culture de la transparence tout en dissuadant les comportements évasifs.
Utiliser la blockchain plutôt qu'un registre offre plusieurs avantages significatifs, notamment en termes de sécurité, de transparence et de décentralisation. Contrairement à un registre traditionnel qui peut être facilement modifié ou falsifié par une entité centrale, la blockchain repose sur un système de consensus distribué, rendant toute tentative de manipulation presque impossible sans l'accord de la majorité des participants. De plus, chaque transaction est enregistrée de manière chronologique et immuable, garantissant ainsi une traçabilité complète et vérifiable. Cela accroît la confiance entre les parties prenantes, car les informations sont accessibles à tous et ne dépendent pas d'une autorité unique. La blockchain apporte donc une robustesse et une confiance accrues qui dépassent les capacités d'un simple registre.
Néanmoins, il convient d'adopter une perspective réaliste, car la blockchain présente également certaines limites. En effet, certains pourraient considérer qu'il est plus complexe d'obtenir l'accord de tous les Etats sur une blockchain que sur des traités ou des conventions fiscales. Par ailleurs, la blockchain entraîne une consommation d'énergie supérieure, ce qui n'est pas le cas d'un registre traditionnel. Enfin, les coûts liés à la création et à la gestion d'une blockchain peuvent s'avérer élevés, alors qu'un registre classique peut se révéler moins onéreux.
L'utilisation de la blockchain est expérimentée dans le secteur des douanes marocaines. En partenariat avec des entreprises locales de logistique et des banques, la blockchain est utilisée pour tracer l'ensemble des transactions liées aux importations et exportations. En 2024, un pilote a été lancé pour la gestion des déclarations douanières électroniques, réduisant les délais de traitement de 50 % et minimisant les risques de fraude documentaire. Par exemple, une entreprise d'import-export opérant dans le secteur des textiles a vu ses coûts administratifs diminuer de 30 % grâce à la suppression de certaines étapes manuelles de vérification.
La deuxième étape consisterait à utiliser le Machine Learning, qui permettrait d'appuyer les administrations fiscales nationales et de repérer tous les actifs non déclarés par les contribuables.
Le machine learning présente des avantages notables par rapport au data mining. Tout d'abord, il se caractérise par sa précision et son adaptabilité. En apprenant en continu à partir de nouvelles données, il est en mesure d'affiner ses prédictions et s'avère particulièrement efficace dans la détection de la fraude fiscale.
De surcroît, grâce à des algorithmes avancés, le machine learning permet une analyse prédictive, offrant la possibilité d'anticiper les comportements futurs des contribuables. Cela permettre à la DGI de prévoir les problèmes et d'adopter de facto des mesures proactives. Dans un contexte où les volumes de données sont colossaux, le machine learning démontre également une capacité supérieure à traiter ces vastes quantités d'informations de manière plus rapide et efficace que les méthodes de data mining traditionnelles.
En outre, les algorithmes de machine learning sont capables de déceler des relations et des schémas complexes dans les données, souvent inaccessibles aux méthodes plus simples. Ce niveau de sophistication se traduit également par l'automatisation de nombreuses tâches analytiques, réduisant ainsi le besoin d'interventions manuelles et améliorant l'efficacité opérationnelle.
Enfin, les modèles de machine learning peuvent être adaptés en fonction des différents types de contribuables ou de situations fiscales spécifiques, permettant ainsi une approche plus ciblée et pertinente.
Précisons-le, en 2023, la DGI a mis en œuvre un algorithme basé sur l'IA capable de détecter des anomalies dans les déclarations de TVA. Lorsqu'une entreprise omet de déclarer certains revenus ou déclare des coûts anormalement élevés, le système déclenche une alerte pour examiner la situation plus en profondeur. Cette initiative a permis de recouvrer plus de 2 milliards de dirhams en seulement un an, selon des données de la DGI.
Ces technologies doivent être accompagnées d'une gouvernance claire et d'un cadre juridique rigoureux. L'IA ne doit pas devenir un outil de contrôle social. L'équité algorithmique doit être garantie pour éviter des discriminations et abus. L'expertise humaine doit toujours rester au cœur du processus pour assurer une évaluation juste des situations.
Ainsi, pour endiguer ce fléau qui fragilise les démocraties, le Maroc doit investir dans des technologies d'avenir, tout en renforçant la coopération internationale. Le cadre législatif devra, lui aussi, évoluer pour tenir compte de ces nouvelles réalités numériques. Mais l'adoption d'un tel modèle ne pourra fonctionner que si elle est soutenue par une volonté politique forte et une solidarité internationale sans faille.
La lutte contre la fraude fiscale n'est pas qu'une question technique, elle est aussi une question d'intégrité et de souveraineté. C'est cette dernière qui est mise à mal chaque fois qu'un contribuable échappe à ses responsabilités fiscales. Dans cette guerre de l'impôt, la technologie ne doit pas être un rempart pour les fraudeurs, mais un allié pour les autorités fiscales, capables de traquer et d'identifier ces mécanismes de fraude fiscale avant qu'ils n'atteignent des proportions incontrôlables. Les Etats doivent se préparer à cette transformation, non seulement pour sauvegarder leurs finances, mais aussi pour défendre la justice fiscale et l'équité sociale.
L'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale repose sur un seul principe : la collaboration entre innovation technologique et expertise humaine. C'est ainsi que les Etats pourront reprendre le contrôle face à une fraude fiscale toujours plus sophistiquée et internationale.
[1] Economiste français, expert en conformité aux normes des entreprises et spécialiste des questions de fraude fiscale.
[2] Expert en intelligence économique et relations internationales auprès de l'Ordre Mondial des Experts Internationaux.


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