Pendant que la pression s'accroît sur l'approvisionnement mondial en matières premières critiques, le Maroc entend tirer parti de ses ressources géologiques pour développer une filière stratégique de production de batteries. Une ambition confortée par une nouvelle étude scientifique internationale qui place le Royaume sur la carte mondiale du lithium. Paru le 26 mai dans la revue Economic Geology, publication de référence de la Société américaine de géologie économique (SEG), un numéro spécial consacré à la cartographie mondiale du lithium met en lumière le potentiel du sous-sol marocain. Trois zones distinctes, identifiées dans les régions du nord-est, du sud et du centre du pays, affichent des concentrations prometteuses du métal alcalin devenu indispensable à la mobilité électrique. Au nord-est du Royaume, dans la région du Jbel Ghasoul, les chercheurs ont mis en évidence des couches d'argile riches en lithium, formées par d'anciens dépôts volcaniques. Restées longtemps marginales dans l'industrie minière, ces formations gagnent aujourd'hui en intérêt grâce aux progrès récents en matière d'extraction acide, une technique chimique désormais plus efficace et moins coûteuse. Plus au sud, dans l'Anti-Atlas, les pegmatites granitiques de Zenaga se démarquent par leur richesse minéralogique. Aux côtés du lithium, ces roches ignées renferment tourmaline, apatite et phosphate, autant de ressources stratégiques pour les filières industrielles. Une exploration à grande échelle y est désormais envisagée, avec des perspectives qui pourraient transformer cette zone en un nouveau front minier. Une troisième zone a été identifiée près de Sidi Bou Othmane, dans la région de Marrakech. Là encore, les analyses révèlent la présence de différentes formes de pegmatites, dont certaines, dites « fertiles », concentrent d'importants volumes de lithium ainsi que des traces de fer et de manganèse. Lire aussi : Géopolitique du lithium : nouvel essor pour le sud global ? Une course contre la montre industrielle À l'heure où les principaux pays producteurs – tels que la Chine, l'Australie ou le Chili – commencent à restreindre leurs exportations pour préserver leurs chaînes de valeur internes, le Maroc mesure l'urgence de valoriser ses propres gisements. L'enjeu dépasse le seul cadre extractif : il s'agit désormais de construire une industrie complète de batteries sur le territoire national. Conscient de cet impératif, l'Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) multiplie les projets d'exploration. Le plus emblématique est celui de Bir El Mami, où l'ONHYM collabore avec la société Lithium Africa sur un programme d'investissement initial de 3,5 millions de dollars. L'objectif : exploiter les pegmatites riches en lithium et valider rapidement la faisabilité industrielle de leur transformation. Le Maroc ne part pas de zéro. En plus du lithium, il dispose déjà d'un portefeuille impressionnant de minerais critiques, à commencer par le cobalt, le cuivre et le phosphate – ce dernier représentant plus de 70 % des réserves mondiales connues. Des initiatives sont également en cours pour renforcer les capacités de production de nickel et de manganèse, tandis que la société minière Managem mène des travaux de certification sur des gisements de graphite. Cet écosystème élargi renforce la viabilité d'une stratégie de production de batteries « made in Morocco », fondée sur une intégration verticale des chaînes d'approvisionnement. Une logique déjà amorcée par les investissements étrangers dans les gigafactories d'assemblage et de stockage énergétique dans les zones industrielles du Royaume. Pour attirer les capitaux internationaux nécessaires au décollage du secteur, le gouvernement a révisé son cadre législatif afin de sécuriser juridiquement les projets miniers et d'en faciliter les démarches administratives. Cette politique proactive commence à porter ses fruits : plusieurs sociétés européennes, asiatiques et nord-américaines manifestent leur intérêt pour des partenariats stratégiques. Ce positionnement s'inscrit pleinement dans la transition énergétique mondiale, dont le Maroc entend devenir un acteur moteur sur le continent africain. Déjà engagé dans les énergies renouvelables, notamment via les complexes solaires de Ouarzazate ou les projets éoliens du nord, le Royaume veut désormais maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur, du minerai à la batterie.