Le 10 juin 2025, une décision sans appel a été rendue publique à Bruxelles par la Commission européenne. À l'issue d'une évaluation coordonnée avec le Groupe d'action financière (GAFI), l'Union européenne a intégré quatre Etats africains à sa liste des juridictions à haut risque en matière de blanchiment d'argent et de financement du terrorisme – l'Algérie en particulier. Pour cette dernière, déjà fragilisée par un climat économique en décomposition, cette inscription officialise un mal plus profond : la dérive d'un régime usant de la planche à billets comme unique boussole budgétaire, englué dans une diplomatie solitaire et belliqueuse, et de plus en plus boudé par les investisseurs internationaux. Parmi les pays listés, l'Algérie occupe une place singulière. Depuis plusieurs années, les signaux d'alerte se sont multipliés : inflation galopante, détérioration du climat des affaires, fuite des capitaux, et désengagement progressif d'investisseurs étrangers. Face à l'assèchement de ses réserves de change, Alger a, depuis 2021, adopté sans détour la création monétaire non stérilisée — une stratégie hasardeuse longtemps dénoncée par les économistes, et qui ne peut masquer l'essoufflement d'un modèle rentier fondé sur la rente pétrolière. Selon le GAFI, les autorités algériennes ont certes réalisé certains progrès sur le plan législatif, mais ces avancées restent largement insuffisantes. Les dispositifs de surveillance du secteur informel, les contrôles sur les flux suspects, et l'identification des bénéficiaires effectifs y demeurent fragmentaires. Les failles systémiques de l'écosystème bancaire national fragilisent durablement la crédibilité financière de l'Algérie, au moment même où les places financières du Golfe, d'Asie ou du continent africain cherchent à rassurer sur leur transparence. Une diplomatie solitaire qui isole Alger Le placement de l'Algérie sur cette liste noire ne relève pas uniquement d'un diagnostic technique. Il constitue aussi, selon plusieurs spécialistes européens, une sanction implicite à l'égard d'un pouvoir qui s'enferme dans une posture hostile. Les tentatives d'isolement du Maroc sur la scène africaine, les tensions récurrentes avec Paris, Madrid ou encore Washington, ainsi que la répression accrue de la société civile ont transformé l'Algérie en acteur imprévisible sur l'échiquier diplomatique. Lire aussi : Blanchiment de capitaux : L'Afrique du Sud placée sur la liste grise du GAFI Malgré son insistance, cette stratégie du repli se paie au prix fort. Les flux d'investissements directs étrangers (IDE) en Algérie ont chuté de plus de 60 % depuis 2020, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Le capital international fuit un pays perçu comme instable, bureaucratique et sans perspectives de réforme claire. L'inscription sur la liste noire n'est pas qu'un symbole : elle entraîne une série de mesures contraignantes. Les institutions financières européennes sont désormais tenues d'appliquer des contrôles renforcés sur toute transaction en provenance ou à destination de l'Algérie. Les banques doivent allonger les délais, accroître les justificatifs et, dans certains cas, renoncer à traiter certaines opérations jugées à risque. Les acteurs du marché de l'art, de l'immobilier ou du commerce international, déjà méfiants, se retirent. Ce durcissement complique aussi l'accès à des financements internationaux, y compris pour des projets d'infrastructure, de santé ou de développement industriel. Pour une économie algérienne lourdement dépendante de l'importation et dépourvue d'une base productive diversifiée, cette perte de confiance équivaut à une mise en quarantaine financière. Un contraste saisissant : l'exemple du Sénégal Dans le même mouvement, Bruxelles a annoncé le retrait de plusieurs pays de sa liste noire, saluant leurs efforts de mise en conformité. Le Sénégal, l'Ouganda, les Emirats arabes unis ou encore les Philippines ont été retirés après avoir renforcé leur arsenal juridique et opérationnel. À Dakar, des unités spécialisées ont été créées pour traquer la corruption, les banques ont durci leurs procédures KYC (Know Your Customer), et les coopérations internationales se sont intensifiées. Ce contraste est cruel pour Alger : là où d'autres capitales africaines investissent dans leur crédibilité financière, le régime algérien semble s'enliser dans une logique d'opacité, entre économie sous cloche et refus de s'arrimer aux standards mondiaux. À Nairobi, à Abidjan ou à Luanda, l'annonce de Bruxelles a provoqué des remous. Si certaines capitales dénoncent une posture punitive de l'UE, d'autres y voient un signal salutaire. Pour nombre d'experts africains, cette décision illustre la nécessité impérieuse de réformer les systèmes bancaires, de renforcer les autorités de supervision et de rompre avec les pratiques de connivence entre milieux d'affaires et élites politiques. Mais dans le cas de l'Algérie, le chantier paraît plus profond. Il ne s'agit pas seulement de réviser des textes ou d'accroître les contrôles. Il faut repenser la gouvernance économique dans son ensemble, sortir de la dépendance à la planche à billets, restaurer la confiance des acteurs privés, et renouer avec une diplomatie constructive. Une opportunité manquée ? La question demeure : l'Algérie saura-t-elle transformer cette humiliation en levier de réforme ? Rien ne le laisse présager pour l'heure. Les cercles du pouvoir, arc-boutés sur une posture de défiance, semblent davantage préoccupés par la consolidation interne que par une remise en question de leurs choix économiques et diplomatiques. Pourtant, des précédents existent. Le Rwanda, longtemps marginalisé, a opéré un redressement spectaculaire en matière de gouvernance financière. Le Sénégal, malgré ses tensions internes, a su convaincre les bailleurs de fonds de la solidité de son cadre institutionnel. Ces exemples prouvent que le redressement est possible, à condition d'en avoir la volonté. En frappant fort, l'Union européenne adresse un double message : tolérance zéro pour l'opacité financière, et récompense pour les efforts de transparence. Pour Alger, ce message vaut avertissement. Car, l'Algérie, déjà engluée dans la défiance, risque de s'exclure un peu plus d'un ordre économique international qu'elle peine à comprendre — et qu'elle refuse, obstinément, d'épouser.