Le monde fait face à une hausse inédite de la demande énergétique avec des niveaux d'émissions records. Dans ce contexte, le Maroc glisse à la 70e place du classement mondial de la transition énergétique. Un déclassement préoccupant, qui contraste avec le discours volontariste des autorités et révèle les limites structurelles d'un modèle encore trop dépendant des effets d'annonce. Dans l'édition 2025 de l'Energy Transition Index (ETI), élaboré par le Forum économique mondial, le Maroc obtient un score de 53,7 points, le plaçant en milieu de tableau mondial, bien loin de ses ambitions affichées de devenir un hub énergétique régional. Ce recul intervient dans un contexte mondial où les systèmes énergétiques sont mis à rude épreuve par une demande en forte progression (+2,2 % en 2024, un record), portée notamment par l'électrification rapide et la croissance exponentielle des infrastructures d'intelligence artificielle. L'ETI mesure à la fois la performance actuelle des systèmes énergétiques nationaux – en termes de durabilité, d'équité d'accès et de sécurité – et leur capacité à se transformer à long terme. Il s'appuie sur un ensemble de critères incluant la réglementation, l'innovation, les infrastructures, l'éducation et les investissements. Dans cette grille d'analyse, le Maroc peine à convertir son potentiel reconnu en dynamique de transformation effective. Le pays, qui dispose pourtant d'atouts naturels majeurs dans le solaire et l'éolien, reste pénalisé par des retards en matière d'interconnexion, de stockage d'énergie, de gouvernance multisectorielle et d'accès équitable aux bénéfices de la transition. Alors que la ministre de la Transition énergétique, Mme Leila Benali, ne cesse de rappeler les efforts consentis depuis deux décennies pour ériger une base solide en matière d'énergies renouvelables, le classement du WEF agit comme un révélateur des failles de l'exécution et de la coordination. Malgré les infrastructures mises en place – parmi lesquelles Noor Ouarzazate, l'un des plus grands complexes solaires au monde – le pays n'a pas su intégrer suffisamment ces leviers dans une vision systémique, connectée et pérenne. Lire aussi : Energies renouvelables : le Maroc, leader du solaire en Afrique La réunion, le 19 juin 2025, entre Mme Leila Benali et le ministre des Transports, M. Abdessamad Kayouh, visait justement à « harmoniser » les stratégies sectorielles. Les deux ministres ont mis l'accent sur la décarbonation des transports terrestres, maritimes et aériens, en promouvant l'usage de molécules vertes, et en soutenant l'émergence d'industries liées à la transition – notamment les câbles, les batteries ou les technologies liées à l'hydrogène. Mais ces intentions demeurent largement théoriques, faute d'un cadre cohérent de gouvernance et d'un financement à la hauteur des ambitions. Le paradoxe : attractivité vs inertie Le déclassement du Maroc tranche avec l'image d'attractivité qu'il projette à l'international dans le domaine des énergies renouvelables. Le Royaume continue de capter l'intérêt d'investisseurs européens, asiatiques et du Golfe. Il est courtisé pour ses ressources naturelles, son positionnement géographique stratégique, et ses accords de libre-échange. Pourtant, cette attractivité masque une autre réalité : celle d'une transition énergétique qui reste largement inachevée et inégalement répartie sur le territoire. Le manque de mécanismes incitatifs pour les PME, la centralisation excessive de la planification énergétique, et la lenteur des réformes réglementaires empêchent l'émergence d'un écosystème résilient. À défaut d'un véritable choc de gouvernance, le Maroc risque de rester prisonnier d'un entre-deux : trop avancé pour ne rien faire, trop en retard pour réellement transformer. L'édition 2025 de l'ETI confirme également la persistance d'une fracture énergétique mondiale. Les pays nordiques continuent de dominer le classement – la Suède, la Finlande et le Danemark occupant les trois premières places –, grâce à des politiques cohérentes, un mix énergétique propre et une forte stabilité institutionnelle. La Chine, désormais 12e, s'impose comme un acteur de référence grâce à des investissements massifs dans les énergies propres et un rôle moteur dans les chaînes de valeur mondiales du renouvelable. Les Etats-Unis (17e), portés par une dynamique industrielle retrouvée et par l'Inflation Reduction Act, bénéficient d'une solide infrastructure énergétique. À l'inverse, des pays comme la RDC ferment la marche, soulignant les écarts considérables entre les économies développées, émergentes et en développement. Ce contraste s'illustre aussi dans les investissements : les financements en faveur des énergies propres ont atteint 2 000 milliards de dollars en 2024, soit le double de 2020, mais demeurent insuffisants au regard des 5 600 milliards nécessaires chaque année pour atteindre les objectifs climatiques de 2030. Le ralentissement de la croissance des investissements (+11 % en 2024, contre +29 % en 2021) inquiète particulièrement les experts du WEF.