Malgré des entraves fiscales persistantes, Bank Al-Maghrib ouvre la voie à la titrisation des créances en difficulté, amorçant une mutation attendue du paysage bancaire marocain. Le Maroc franchit un pas décisif dans la modernisation de son système financier. Pour la première fois, la Banque centrale a donné son feu vert à une opération de titrisation de créances en difficulté, permettant à une banque marocaine de transformer ses créances douteuses en titres négociables sur les marchés. Cette avancée, inédite dans le Royaume, marque l'émergence d'un nouveau compartiment financier, à la croisée de la gestion du risque bancaire et du financement par le marché. C'est à l'issue de la deuxième réunion trimestrielle du conseil d'administration de Bank Al-Maghrib pour l'année 2025 que le gouverneur Abdellatif Jouahri a levé le voile sur cette opération pionnière. Un second projet similaire est d'ores et déjà à l'étude, a-t-il indiqué lors d'une conférence de presse, tout en soulignant que ce nouveau mécanisme demeure encadré par des contraintes fiscales qui freinent encore son plein essor. Inspirée des pratiques déjà rodées dans certaines économies avancées, la titrisation des créances douteuses consiste à regrouper des actifs bancaires non performants pour les convertir en titres financiers. Ces derniers sont ensuite cédés à des investisseurs, libérant ainsi les banques de la charge de provisionner ces actifs à risque. L'objectif est double : renforcer la solidité du bilan des établissements de crédit et améliorer leur capacité à financer l'économie réelle. Dans le contexte marocain, où la part des créances en souffrance représente encore une source de vulnérabilité pour certains établissements, cette innovation financière est perçue comme une réponse structurelle à la fragilité de certains portefeuilles bancaires. Elle permettrait de soulager la pression sur les liquidités et de faciliter la réallocation du capital vers des usages plus productifs. Lire aussi : Taux directeur inchangé : BAM poursuit son orientation accommodante Des verrous fiscaux encore contraignants Cependant, l'enthousiasme de la Banque centrale est tempéré par des obstacles d'ordre fiscal. « Le chantier réglementaire est déjà bien avancé, notamment grâce à la finalisation des dispositions encadrant le transfert automatique des créances vers les structures de titrisation », a expliqué Abdellatif Jouahri. Ce travail a été mené en coordination étroite avec le Secrétariat général du gouvernement, qui assure la conduite de la réforme. Mais le gouverneur a insisté : sans aménagements fiscaux adaptés, le mécanisme ne pourra pleinement jouer son rôle. En l'état, certaines charges fiscales associées aux opérations de cession freinent l'appétit des banques comme des investisseurs. L'absence de neutralité fiscale lors du transfert des créances ou sur les revenus générés par les titres émis limite la compétitivité de cette nouvelle classe d'actifs. Une réforme du régime fiscal applicable à ces opérations apparaît dès lors indispensable. Si le marché des créances douteuses reste embryonnaire au Maroc, son développement est jugé crucial par les autorités monétaires. À l'instar de ce qui s'est pratiqué en Europe après la crise financière de 2008, ou plus récemment dans certains pays africains à la recherche de résilience bancaire, la titrisation est appelée à devenir un outil stratégique de gestion du risque. Elle pourrait également susciter l'intérêt d'un nouveau profil d'investisseurs, notamment des fonds spécialisés dans les actifs dépréciés ou à haut rendement, contribuant ainsi à élargir la base du marché financier national. La Banque centrale entend jouer un rôle d'impulsion dans cette dynamique, tout en veillant à une régulation rigoureuse du processus, afin d'éviter les dérives observées ailleurs. L'initiative de Bank Al-Maghrib s'inscrit dans un cadre plus large de modernisation du système bancaire marocain, dans un contexte marqué par la montée des incertitudes économiques et la nécessité d'adapter les outils de financement aux nouveaux défis. La gestion des créances non performantes est devenue un enjeu de soutenabilité pour les banques, d'autant plus que celles-ci doivent conjuguer exigences prudentielles et impératifs de soutien à l'investissement.