Face à l'essor fulgurant des équipements électriques et électroniques, le Conseil Economique, social et Environnemental alerte sur l'urgence de structurer une filière marocaine de traitement des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE). Un enjeu stratégique pour l'économie circulaire du Royaume. Alors que la transition numérique s'accélère dans tous les pans de l'économie – de l'industrie à la santé, en passant par l'éducation, la mobilité et les communications – le Maroc voit croître à grande vitesse le volume de ses déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE). Estimé à 177 000 tonnes en 2022, ce flux devrait atteindre 213 000 tonnes d'ici 2030, selon les projections reprises dans un avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), publié fin juin. Intitulé « Vers une économie circulaire des équipements électriques et électroniques : du déchet à la ressource », ce document trace les contours d'une politique volontariste visant à convertir une menace environnementale en levier économique. Dans la continuité de ses travaux antérieurs sur la circularité des déchets ménagers et des eaux usées, le CESE s'est auto-saisi de ce dossier pour interpeller les décideurs sur le retard pris par le Royaume dans la valorisation de ces déchets à fort contenu technologique. S'appuyant sur un constat à la fois écologique, économique et social, le Conseil formule une série de recommandations structurantes pour organiser une véritable chaîne de valeur nationale dédiée aux DEEE. Au-delà des enjeux environnementaux et sanitaires liés à la gestion inadéquate de ces déchets, le CESE insiste sur le potentiel économique encore largement sous-exploité qu'ils représentent. Les équipements en fin de vie contiennent en effet des métaux rares, du cuivre, des plastiques et autres matériaux précieux, dont le recyclage permettrait non seulement de préserver les ressources naturelles, mais aussi de renforcer la souveraineté industrielle du pays. Pourtant, en 2020, seuls 13 % des DEEE étaient recyclés au Maroc. Cette situation s'explique par un cadre juridique obsolète, des initiatives encore éclatées entre les acteurs publics et privés, et surtout la prédominance d'un secteur informel peu contrôlé, qui capte une part importante des flux au détriment de la filière formelle. Résultat : pertes de ressources, atteintes à l'environnement, et frein au développement d'un écosystème industriel structuré. Face à ces constats, le CESE appelle à la mise en place d'une filière nationale fondée sur les principes de durabilité, de responsabilité partagée et de viabilité économique. Cette chaîne de valeur devra couvrir l'ensemble du cycle de vie des équipements – de leur conception à leur valorisation – et s'appuyer sur une approche intégrée, concertée avec l'ensemble des parties prenantes : producteurs, distributeurs, collectivités locales, recycleurs, consommateurs, et pouvoirs publics. Lire aussi : Nizar Baraka s'entretient avec le président du Congrès de la République du Pérou Le CESE recommande également d'élaborer une nomenclature normalisée des composants des DEEE et un inventaire national des matériaux stratégiques qu'ils contiennent, afin d'en assurer la traçabilité et de favoriser leur réutilisation dans les circuits industriels marocains. Intégrer l'informel et inciter l'investissement Autre levier stratégique : l'intégration du secteur informel dans des structures professionnelles, à travers la constitution de coopératives ou de groupements d'intérêt économique (GIE), afin de canaliser leur activité vers des circuits encadrés et plus sûrs. Le Conseil souligne l'importance de mettre aux normes sanitaires et environnementales les plateformes de tri et de démantèlement, notamment en aménageant des décharges adaptées aux DEEE. Pour dynamiser la filière, le CESE suggère la mise en place d'incitations financières et fiscales à destination des producteurs, des distributeurs, des centres de traitement et des porteurs de projets innovants dans le domaine du recyclage. Un étiquetage obligatoire des produits est également préconisé, mentionnant explicitement l'interdiction de mise à la poubelle, un score de réparabilité, ainsi que la présence de substances dangereuses. Enfin, dans une logique de mutualisation régionale, le Conseil propose la conclusion de partenariats africains en matière de collecte, de traitement et de valorisation des DEEE, afin d'atteindre une masse critique et de bâtir des infrastructures de recyclage viables à l'échelle continentale. Le message du CESE est limpide : à l'heure où le Maroc s'engage sur la voie d'une économie durable et circulaire, la structuration d'une filière dédiée aux déchets électroniques n'est plus une option, mais une nécessité stratégique. Ce chantier pourrait générer des milliers d'emplois, réduire la dépendance aux importations de matières premières critiques, et consolider l'ancrage industriel du Royaume dans les filières technologiques du futur. Encore faut-il une volonté politique forte, une coordination multisectorielle effective, et une capacité à traduire les recommandations du Conseil en réformes concrètes et applicables. À défaut, le Maroc risquerait de transformer un potentiel en impasse.