À Casablanca, le 9 juillet 2025, s'est ouvert le Forum sur les données administratives, un rendez-vous stratégique inscrit dans le cadre du « Programme statistique panafricain II » et qui se poursuivra jusqu'au 11 juillet. Le forum aborde la question cruciale de l'exploitation des données administratives en Afrique avec pour objectif de lever les barrières entravant l'Agenda 2063 de l'Union africaine et les Objectifs de développement durable 2030. Le Forum organisé sous le thème « Mieux exploiter les données administratives » a réuni des experts africains, des représentants d'institutions internationales et des partenaires européens. Financé par l'Union européenne, l'événement a bénéficié du soutien de la Commission de l'Union africaine, d'Expertise France, de la Commission économique pour l'Afrique (CEA), de la Communauté Economique Régionale CREA, ainsi que de partenaires techniques tels qu'Eurostat. Cette convergence institutionnelle illustre l'urgence d'un changement de paradigme dans la production des statistiques officielles en Afrique, trop longtemps dépendantes d'enquêtes coûteuses et peu fréquentes. Dans son discours d'ouverture, Jamal Azizi, directeur général des statistiques et des comptes nationaux au HCP, a dressé un état des lieux préoccupant : moins de 30 % des statistiques officielles en Afrique reposent sur des données administratives, contre plus de 70 % en Europe. Ce déséquilibre traduit des retards en matière d'interopérabilité des systèmes d'information, de cadre juridique cohérent, de capacités humaines et d'intégration institutionnelle. Pourtant, comme l'a souligné Claudia Junker, cheffe d'unité à Eurostat : « Les données administratives sont aujourd'hui le socle de la production statistique moderne ». Leur exploitation, si elle est bien gouvernée, garantit la continuité, la granularité et la réactivité des données nécessaires à l'élaboration des politiques publiques. Mais pour cela, encore faut-il surmonter les défis liés à la qualité, à la protection des données personnelles, à la fragmentation des bases et à l'absence de normes harmonisées. Lever les barrières : Le défi de la gouvernance et de l'interopérabilité Tout au long du forum, les intervenants ont insisté sur trois conditions essentielles pour faire des données administratives un pilier stratégique : un cadre légal robuste garantissant la confidentialité et l'accès sécurisé, une coopération renforcée entre les institutions nationales, et une infrastructure technologique interopérable. Ces piliers doivent s'accompagner d'une volonté politique affirmée, comme l'a rappelé Adoum Gagoloum, chef de division à AU-STATAFRIC : « Quand un ministre demande combien d'enfants ont quitté l'école cette année dans les zones rurales, la réponse n'existe pas en temps réel. Voilà la fracture que nous devons combler. » L'intervenant a aussi insisté sur la nécessité de créer des systèmes de données intégrés, comme le prévoit le Cadre stratégique des données de l'Union africaine adopté en 2022. Ce dernier préconise des lois harmonisées, la libre circulation des données publiques, et la protection des droits des citoyens. Il a appelé les Etats membres à s'engager dans des réformes concrètes pour faire émerger une culture de la donnée partagée. Lire aussi : Signature d'un protocole d'accord entre le Maroc et l'OMPI pour la protection juridique du patrimoine culturel marocain Le forum a permis de partager les expériences réussies de plusieurs pays africains, notamment le Maroc, le Sénégal, le Ghana, le Rwanda, le Cameroun et l'île Maurice. Les représentants de ces pays ont présenté des initiatives d'intégration des données issues des registres fiscaux, sanitaires ou scolaires dans leur système statistique national. Casablanca, ville hôte de l'événement, a été mise en avant comme laboratoire statistique historique, en raison de son rôle pilote dans de nombreuses enquêtes de recensement et d'études urbaines. Dans une intervention remarquée, Léandre Ngogang, statisticien principal à la CEA, a salué l'engagement du Maroc et la symbolique de Casablanca, « ville emblématique de l'innovation statistique sur le continent, abritant aujourd'hui des incubateurs de la data science et des projets d'intelligence artificielle appliquée à la statistique publique ». L'objectif de ce forum n'était pas simplement de partager des constats, mais bien de poser les fondements d'une action collective. Il s'agit de co-construire un cadre de recommandations concrètes et d'engager les pays dans une stratégie commune : la TACHA 2 (Stratégie d'amélioration des statistiques en Afrique), actuellement en cours de formulation. Selon Claudia Junker, « Ce forum doit devenir un espace de résolution de problèmes collectifs, où les ministères détenteurs des données prennent conscience qu'ils sont bien plus que des conservateurs d'informations, mais des acteurs essentiels dans le cycle statistique ». Les formats dynamiques du forum – études de cas, panels interactifs, sondages en ligne – ont permis de stimuler la réflexion collective. Les partenaires internationaux, notamment la FEUA (Fédération Européenne pour l'Utilisation de l'Analyse), ont réaffirmé leur volonté de soutenir la transformation statistique africaine jusqu'en 2030, avec des appuis ciblés : diagnostics nationaux, programmes de mentorat, formations techniques. La conclusion du forum a rappelé que la transition vers une statistique fondée sur les données administratives constitue un tournant historique. Elle permettra aux gouvernements africains de mieux planifier, d'évaluer plus finement l'impact de leurs politiques, et surtout, de mieux répondre aux attentes de leurs citoyens. C'est une condition sine qua non pour atteindre les objectifs de l'Agenda 2063 de l'Union africaine et les Objectifs de développement durable 2030.