La décision de Bruno Retailleau de remettre en cause la validité des passeports délivrés par les consulats algériens en France, dans le cadre des demandes de titres de séjour, a déclenché une nouvelle passe d'armes diplomatique entre Paris et Alger. Mais derrière cette guerre des documents se dessine une crise plus profonde, dans laquelle la posture de l'Algérie interroge sur ses propres contradictions. La tension entre la France et l'Algérie s'enracine dans une série de contentieux récurrents, mais rarement un simple document administratif aura cristallisé autant de crispations. Le ministre français de l'Intérieur, M. Bruno Retailleau, a récemment annoncé son intention d'ordonner aux préfets de ne plus tenir compte des passeports délivrés par les consulats algériens en France, dans les procédures d'obtention de titres de séjour. Une déclaration jugée « discriminatoire et arbitraire » par Alger, qui y voit une remise en cause de sa souveraineté consulaire. Pourtant, l'indignation algérienne semble moins dictée par une défense du droit que par une réaction épidermique, reflet de son incapacité chronique à offrir une gestion moderne, transparente et crédible de son administration migratoire. Interrogée par des médias proches du pouvoir, une source autorisée du ministère algérien des Affaires étrangères a dénoncé un « abus de pouvoir » de la part du ministre français. L'octroi de passeports serait, selon cette source, « un droit des citoyens algériens » et une « obligation souveraine » de l'Etat. Ces éléments, bien qu'indiscutables sur le plan du principe, ne résolvent en rien le cœur du problème : la suspicion croissante, côté français, envers l'authenticité, la fiabilité et la régularité des passeports délivrés par les représentations consulaires algériennes. Lire aussi : Passeports algériens : la France vise le consulat, l'Algérie crie à l'humiliation Cette méfiance ne relève pas d'un fantasme sécuritaire : plusieurs enquêtes judiciaires ont mis en lumière, ces dernières années, des pratiques frauduleuses dans certains consulats, facilitant l'obtention de documents à des personnes sans identité vérifiable ou en situation irrégulière. Le refus de l'Algérie de rapatrier ses ressortissants sous OQTF (obligation de quitter le territoire français), dénoncé à maintes reprises par les autorités françaises, a par ailleurs creusé un fossé de défiance, que les déclarations indignées de la diplomatie algérienne ne peuvent combler. Retailleau, une ligne dure assumée M. Bruno Retailleau, nommé à l'Intérieur après une série de compromis infructueux entre Paris et Alger, incarne une rupture de ton assumée. À l'Elysée, une rencontre cruciale est prévue ce 24 juillet entre Retailleau et le président Macron. Le ministre y défendra une série de mesures déjà amorcées : durcissement des visas, pressions ciblées sur les compagnies aériennes algériennes, gel d'avoirs d'officiels, et surtout, suspension de l'accord franco-algérien de 1968 sur l'immigration — accord qui confère aux ressortissants algériens un statut migratoire particulier par rapport aux autres nationalités maghrébines. Retailleau s'est d'ailleurs arrogé une première victoire symbolique : selon des révélations de Paris Match, il aurait déjà restreint l'entrée sur le territoire français à une quarantaine de hauts responsables algériens, confirmant ainsi sa volonté de durcir la ligne de Paris. Pour l'entourage du ministre, l'alignement sur une logique de réciprocité est une question de « justice migratoire », alors que « l'unanimité » au sein de la majorité présidentielle se dégagerait désormais pour l'abrogation de l'accord de 1968. Alger entre posture victimaire et inertie stratégique La réaction algérienne, virulente dans la forme mais floue dans le fond, illustre les limites d'une diplomatie piégée dans ses automatismes. Plutôt que d'engager un dialogue constructif sur les conditions d'émission, de vérification et de reconnaissance de ses documents de voyage, Alger brandit une posture de dignité blessée. Pourtant, sur le terrain, des dysfonctionnements récurrents dans les consulats (retards chroniques, documents manquants, absence de traçabilité numérique) alimentent les doutes et fragilisent les démarches de ses propres ressortissants. De nombreux Franco-Algériens en témoignent : renouveler un passeport algérien depuis la France demeure un parcours kafkaïen, souvent dépendant de relations informelles ou de circuits parallèles. Loin de s'attaquer à cette réalité, Alger préfère incriminer la France, dans une logique victimaire devenue presque réflexe. La prochaine décision d'Emmanuel Macron sera décisive. S'il entérine la ligne Retailleau, les relations bilatérales risquent de basculer dans une phase de confrontation prolongée. Mais céder à Alger sans contrepartie serait perçu, à Paris, comme une faiblesse stratégique. D'autant que plusieurs partenaires européens partagent les mêmes réticences à l'égard des passeports consulaires algériens, sans toutefois les verbaliser aussi frontalement que Retailleau. Au fond, cette « guerre des passeports » traduit moins un désaccord technique qu'un désajustement politique. Elle révèle l'échec d'un modèle post-colonial d'exception migratoire, que ni Paris ni Alger ne veulent assumer pleinement. Si la France semble aujourd'hui prête à tourner la page, l'Algérie, elle, semble piégée dans une logique de confrontation symbolique, préférant la surenchère diplomatique à une réforme de fond de son appareil consulaire et migratoire. L'accord franco-algérien de 1968 : un régime d'exception contesté Signé en pleine période post-indépendance, l'accord du 27 décembre 1968 accorde aux ressortissants algériens des facilités administratives pour l'accès au séjour et au travail en France, en vertu d'un « traitement spécifique ». Plusieurs gouvernements français ont tenté de le remettre en cause, sans succès. Bruno Retailleau propose aujourd'hui de l'abroger purement et simplement. Pour de nombreux analystes, cet accord est devenu « anachronique » dans le contexte migratoire actuel.