En entérinant une loi sur la mobilisation générale, le régime algérien rend tangible une dérive militariste latente. Cette orientation confirme les mises en garde émises depuis des années par ses voisins et partenaires internationaux : l'Algérie agit de plus en plus comme une puissance déstabilisatrice, belliqueuse, et ancrée dans une posture de confrontation permanente. Le 27 juillet 2025, la parution au Journal officiel d'un nouveau texte législatif instaurant un cadre pour la « mobilisation générale » en Algérie a cristallisé de vives inquiétudes, bien au-delà des frontières du pays. Officiellement, cette loi vise à organiser le basculement du pays « de l'état de paix à l'état de guerre ». En réalité, elle révèle une stratégie assumée de militarisation de la société, de mobilisation autoritaire de la population, et de centralisation extrême des pouvoirs entre les mains du président de la République, Abdelmadjid Tebboune. Ce tournant institutionnel intervient dans un climat déjà lourd de tensions régionales, marqué par une défiance continue du Maroc, une implication de l'Algérie dans les équilibres précaires du Sahel, et une défiance croissante vis-à-vis de ses engagements internationaux. Selon la nouvelle législation, la mobilisation générale peut être décrétée à tout moment par le président en Conseil des ministres, en cas de « péril imminent » affectant les institutions, l'indépendance ou l'intégrité territoriale. Derrière cette formulation vague, la loi confère au chef de l'Etat des prérogatives exorbitantes : rappel immédiat des militaires de réserve, suspension des mises à la retraite dans les secteurs stratégiques, réquisition des biens, des services et des personnes, contrôle centralisé de la production industrielle, encadrement renforcé de la population civile, voire censure des moyens de communication numérique. Lire aussi : Algérie : Brandt, symbole d'un naufrage industriel sous perfusion politique Il s'agit d'un véritable état d'exception codifié, car cette loi permet d'activer à tout moment une économie de guerre, sans contrôle parlementaire effectif. C'est une fuite en avant qui isole encore davantage Alger sur la scène régionale. Un arsenal légal à visée politique Au-delà de l'apparence d'une mesure défensive, ce texte s'inscrit dans une logique offensive de recentralisation autoritaire. La « mobilisation générale » est ainsi conçue comme un processus permanent, en préparation continue, qui mobilise les ministères, les institutions, l'économie nationale et même la diaspora algérienne. Le ministère des Affaires étrangères est chargé d'« informer » les Algériens de l'étranger sur leur « rôle » dans cette mobilisation, révélant une volonté de contrôle extraterritorial sans précédent. À travers cet encadrement, le pouvoir algérien impose aux citoyens un devoir de soumission absolue : répondre immédiatement aux convocations militaires, se soumettre aux réquisitions, éviter toute communication « nuisible » via les technologies modernes... L'Etat algérien s'arroge ainsi un droit de surveillance et de répression élargis, sans garde-fou démocratique. Cette loi renforce les accusations anciennes selon lesquelles l'Algérie, loin d'être un facteur de paix, alimente les foyers d'instabilité régionale. En effet, cette doctrine de mobilisation générale s'inscrit dans une dynamique où Alger soutient diplomatiquement — voire logistiquement, selon des sources sécuritaires régionales — des groupes armés non étatiques au Sahel, tout en entretenant un discours hostile envers ses voisins, notamment le Maroc, le Mali et la Libye. Dans le même temps, le texte n'offre aucune garantie en matière de proportionnalité ou de respect des droits fondamentaux. Le recours à la réquisition générale, l'ingérence dans l'économie privée, la suspension des droits sociaux des agents publics, ou encore l'obligation de réserve imposée aux citoyens ouvrent la voie à des dérives autoritaires préoccupantes. À rebours des principes démocratiques que d'autres pays de la région cherchent à consolider, Alger légalise ainsi la soumission totale de la société à la logique de guerre. Militarisation à contretemps de l'histoire Alors que le monde arabe et africain tente d'entrer dans une ère de reconstruction économique, d'intégration régionale et de transition écologique, l'Algérie paraît faire le pari inverse : celui d'un repli nationaliste militarisé. Cette posture ne date pas d'hier. Mais sa codification dans une loi aussi détaillée qu'inquiétante signe un saut qualitatif. La mémoire récente est marquée par la persistance du régime à instrumentaliser la menace extérieure pour justifier un état d'urgence permanent, verrouiller le débat politique interne, et maintenir une économie de rente dominée par les hydrocarbures et les institutions militaires. En instaurant juridiquement un passage permanent à l'état de guerre, Alger se coupe un peu plus des dynamiques de coopération régionale, qu'il s'agisse de l'Union du Maghreb Arabe, de l'Union africaine ou des partenariats euro-méditerranéens. L'adoption de cette loi constitue une nouvelle ligne rouge franchie, selon plusieurs observateurs internationaux. Elle arrive au moment où l'Algérie a durci ses positions sur tous les fronts diplomatiques : hostilité constante envers le Maroc, paralysie de la coopération sahélienne, tensions larvées avec la France et l'Union européenne, et isolement croissant au sein des forums africains. Loin de pacifier ses relations, le régime Tebboune semble sceller son isolement stratégique en légitimant un mode de gouvernance fondé sur la défiance, la coercition, et l'anticipation permanente du conflit. Une posture qui, à terme, pourrait affaiblir davantage encore une économie en récession et une jeunesse déjà désabusée par l'absence de perspectives.