À l'initiative de S.M. le Roi Mohammed VI, la diplomatie économique est un des piliers de la politique étrangère du Royaume. Diplomatie économique qui peut s'appuyer, aujourd'hui, sur un réseau diplomatique de près de 110 ambassades et de plus de 60 consulats présents sur tous les continents de la planète. Au-delà de cette présence, il convient également de souligner la formation des futurs diplomates marocains au sein de l'Académie marocaine des études diplomatiques, qui accorde une attention particulière au volet économique dans ses programmes. Ceci se vérifie bien sûr en Afrique, avec plus de 35 Visites Royales effectuées sur le continent, depuis 2000. Mais cela s'est accéléré depuis décembre 2023 avec en moins d'un an, la visite d'Etat de S.M. le Roi Mohammed VI aux Emirats arabes unis (EAU) le 4 décembre 2023, suivie de la visite du premier ministre espagnol le 21 février 2024 et de la visite d'Etat du président français les 26-27-28 octobre 2024. En onze mois, ces différentes visites ont donné lieu à de nombreux accords et mémoranda, mobilisant plusieurs centaines de milliards de dirhams. Cette étude, à la veille du 26éme anniversaire de l'accession de S.M. le Roi Mohammed VI au trône chérifien, est consacrée à leur dimension économique exceptionnelle. S.M. le Roi Mohammed VI aux Emirats : Une visite d'Etat hautement stratégique Cette visite s'inscrit dans la continuité de relations historiques qui remontent à 1971, date de la création des EAU et du début de relations bilatérales fortes, à l'initiative de Feu Sa Majesté le Roi Hassan II et de feu Cheik Zayed. Des relations qui n'ont cessé de se développer par la suite. Rappelons également que les EAU disposent de nombreux fonds souverains, dont l'emblématique ADIA / Abu Dhabi Investment Authority, dont le portefeuille est évalué à 850-900 milliards de dollars. Cette visite intervient à un moment opportun, dans un contexte de baisse des taux, favorable à la négociation des conditions d'un soutien financier, en complément des nombreux accords et mémoranda qui seront conclus à cette occasion. Parmi les nombreux mémoranda et accords signés, on retiendra ici : ceux ayant trait à l'espace afro-Atlantique et ceux qui concernent l'agriculture et la sécurité alimentaire des deux Royaumes. Concernant l'espace afro-Atlantique, ce sont deux méga projets qui concernent, directement et indirectement, l'économie marocaine. Directement avec le projet « Dakhla Gateway to Africa » ; indirectement avec le projet du gazoduc « Afrique Atlantique », encore appelé « Nigéria-Morocco Gas ». Lire aussi : Le Maroc, la Francophonie et la diversité culturelle Les accords et mémoranda relatifs aux deux composantes majeures du projet « Dakhla Gateway to Africa » – le port de Dakhla Atlantique et l'aéroport « Dakhla Hub » – interviennent à un moment opportun : celui de l'annonce d'un taux d'avancement de 12 % pour le méga projet portuaire, qui s'étend sur 1 650 hectares. Le mémorandum concernant l'aide au financement de ce projet permettra aux travaux de s'achever, comme prévu en 2028. Autre méga projet, celui du gazoduc Afrique-Atlantique, qui s'étend sur 6000 kilomètres et traverse 13 pays. C'est un projet, particulièrement budgétivores : plusieurs milliards de dollars. Le mémorandum signé le concernant permet de commencer les premiers travaux d'infrastructures dès 2024. Les mémoranda signés dans les domaines de l'agriculture et de la sécurité alimentaire visent à renforcer un partenariat stratégique engagé depuis 2018 entre l'OCP et la société pétrolière émiratie ADNOC. Ce partenariat a déjà permis la création de deux hubs de production d'engrais : l'un à Jorf Lasfar, au Maroc, et l'autre à Ruwais, dans l'est de l'émirat d'Abou Dhabi. Les accords les plus récents, signés en 2023, traduisent une volonté commune de développer de nouvelles opportunités de coopération dans le domaine de la sécurité alimentaire des deux Royaumes, en s'appuyant sur la synergie OCP/ADNOC. Ce cadre devrait permettre à ADNOC d'accroître sa production d'engrais, tandis que l'OCP bénéficiera de l'approvisionnement en soufre et en ammoniac émiratis, deux éléments clés dans la fabrication des engrais. Ces contrats et mémoranda constituent de véritables accords de coopération multisectorielle. Ils témoignent également de la volonté partagée des deux Royaumes de renforcer leur présence conjointe sur le marché africain, dans une logique de partenariat gagnant-gagnant. Pour le Maroc, il s'agit d'un levier essentiel pour accéder à de nouveaux financements, indispensables à la concrétisation de projets hautement stratégiques, marquant ainsi une nouvelle étape dans l'alliance maroco-émiratie. Pour les Emirats, c'est l'opportunité de tirer parti de la position géostratégique du Maroc, qui s'impose comme une porte d'entrée privilégiée vers l'Afrique de l'Ouest et la façade atlantique du continent. Pedro Sanchez à Rabat : Retour sur une feuille de route d'avril 2022 La visite du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, à Rabat le 21 février 2024, s'inscrit dans la continuité d'une dynamique sans précédent des relations bilatérales entre les deux pays, suite à la reconnaissance par l'Espagne de la marocanité du Sahara en 2022. Sur le plan économique, cette visite souligne des relations commerciales au beau fixe, confirmant la grande attractivité du Maroc pour les investisseurs espagnols. En 2025, l'Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc, avec un volume d'échanges qui a atteint 17,4 milliards en 2023, progressant de 7 % par rapport à 2022. Le Maroc est devenu ainsi le terrain des prédilections des investisseurs espagnols. Les investissements directs espagnols à destination du Maroc sont particulièrement significatifs : le Royaume capte à lui seul un tiers des investissements espagnols réalisés sur le continent africain. Ces flux sont majoritairement portés par des petites et moyennes entreprises (PME), contribuant à la création d'emplois au Maroc et à la dynamisation des synergies entre les écosystèmes entrepreneuriaux des deux pays. Le potentiel de croissance des investissements bilatéraux fait l'objet d'un large consensus, notamment dans des secteurs stratégiques tels que l'énergie, le tourisme, l'agriculture et les technologies émergentes. Ce développement pourrait mobiliser, en complémentarité, les grands acteurs industriels espagnols et marocains. Cette visite coïncide également avec un moment fort : celui où se prépare la co-organisation Maroc- Espagne- Portugal de la Coupe du monde de football de 2030, dont la dimension économique revêt une importance croissante. La visite d'Etat d'Emmanuel Macron à Rabat : Retour sur un partenariat d'exception En réponse à l'invitation de S.M. le Roi Mohammed VI, le président français Emmanuel Macron a effectué une visite d'Etat à Rabat les 26, 27 et 28 octobre 2024. Dès la première journée, 22 accords ont été signés entre les deux pays, mobilisant un montant total de 100 milliards de dirhams (soit 10 milliards d'euros). Parmi ces accords figurent notamment ceux relatifs au secteur des transports au Maroc, ainsi qu'aux partenariats conclus entre les grands groupes industriels des deux pays ou leurs agences. Le secteur marocain des transports – ferroviaire, aérien et maritime – est particulièrement concerné par ces conventions. Quatre accords majeurs ont été signés dans le domaine ferroviaire : * La fourniture de rames à grande vitesse et de leurs équipements de soutien, dans le cadre d'un contrat entre l'ONCF et le groupe français Alstom ; * Une déclaration d'intention pour une coopération financière, signée par les ministères de l'Economie et des Finances des deux pays et l'ONCF ; * Un contrat d'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour les projets d'infrastructure de la ligne à grande vitesse Kénitra–Marrakech, signé entre l'ONCF (Maroc) et le groupement Systra-Egis (France) ; * La fourniture d'appareils de voie pour la même ligne LGV, objet d'un contrat entre l'ONCF et la société française VOSSLOH COGIFER. Dans le domaine aérien, un protocole d'accord stratégique a été conclu entre le gouvernement marocain et le groupe Safran, en vue de l'implantation à Nouaceur d'un centre de maintenance et de réparation de moteurs d'avions. Enfin, le secteur maritime a également fait l'objet d'une attention particulière, à travers la signature d'un accord entre le ministère marocain de l'Equipement et de l'Eau et l'Agence française de développement (AFD). Cet accord porte sur un nouveau programme d'appui en faveur de l'Agence nationale des ports du Maroc. Quatre protocoles d'accord ont été signés entre de grands groupes industriels marocains et français, traduisant une volonté commune de renforcer la coopération dans des secteurs stratégiques. Le premier protocole associe le Groupe OCP, l'Agence française de développement (AFD) et Bpifrance. Il vise à accompagner la stratégie de décarbonation du Groupe OCP au Maroc, à soutenir le développement des chaînes de valeur agricoles et alimentaires en Afrique, ainsi qu'à favoriser les partenariats avec des entreprises françaises dans le domaine de la sécurité alimentaire. Un deuxième accord a été conclu entre le Groupe OCP et le groupe ENGIE, avec pour objectif de renforcer l'écosystème industriel marocain et de créer de nouvelles opportunités locales dans des domaines variés : transmission électrique, hydrogène vert, énergies renouvelables, ou encore dessalement d'eau de mer à usage agricole. Le troisième protocole concerne l'extension de la deuxième phase du parc éolien de Taza, et a été signé entre l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE) et EDF Renouvelables. Enfin, un quatrième accord a été conclu entre deux acteurs majeurs du secteur portuaire : le groupe marocain Marsa Maroc et le groupe français CMA CGM. Il porte sur l'équipement de 750 mètres de quai et de 35 hectares au sein du terminal à conteneurs de Nador West Med. Parallèlement, plusieurs accords et mémoranda ont été conclus dès la première journée de la visite. S'ils ont un impact économique indirect, ils s'inscrivent avant tout dans les champs de la transition énergétique, du développement durable, de l'éducation et de la coopération culturelle. La diversité de ces accords, conjuguée à l'ampleur de leur enveloppe financière – estimée à plus de 100 milliards de dirhams – illustre de manière éclatante l'attractivité du Royaume pour les investisseurs étrangers, et en particulier français. Leur orientation vers des secteurs stratégiques, ainsi que la volonté affirmée de les articuler avec les champions industriels nationaux, s'inscrit dans une vision intégrée, à la fois nationale, africaine et européenne, renforçant ainsi l'attractivité du Maroc sur la scène internationale. Diplomatie économique marocaine : Une portée résolument politique La diplomatie économique du Maroc affiche des résultats probants, particulièrement au cours des onze derniers mois. Cette dynamique témoigne non seulement de l'attractivité du Royaume pour les investissements étrangers — construite patiemment au fil des deux dernières décennies — mais révèle également l'importance croissante de sa dimension politique. Les trois pays partagent un point commun : la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud. Entre les Emirats arabes unis et le Maroc, les relations historiques remontent à 1971, année de la création des Emirats. Depuis lors, les liens bilatéraux n›ont cessé de se renforcer. Ce partenariat s'inscrit dans la continuité de l'engagement constant des Emirats en faveur du Maroc sur la question du Sahara. En novembre 2020, cet appui s'est concrétisé par l'ouverture d'un consulat général à Laâyoune. La position de l'Espagne et de la France sur le dossier du Sahara a entraîné, à des degrés divers, une détérioration de leurs relations avec le Maroc. Pour l'Espagne, cette tension remonte à avril 2021, lorsqu'elle a accueilli le chef du Polisario sur son territoire. Pour la France, elle s'explique par le retard pris dans la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud. L'Espagne finira par franchir ce cap en 2022, suivie par la France en juillet 2024. Ces deux reconnaissances, très attendues à Rabat, revêtent une portée symbolique forte. Celle de l'Espagne, ancienne puissance coloniale dans la région, envoie un signal clair à la communauté internationale. Celle de la France, partenaire historique du Maroc et membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, constitue un geste politique majeur, venant clore une période de tensions diplomatiques prolongées. *Professeur émérite HEC Paris, Senior fellow /PCNS Rabat