Alors que Moscou tente de se repositionner comme médiateur influent sur la scène africaine, notamment dans le dossier malien, son partenariat stratégique avec l'Algérie se heurte à une réalité plus sombre : celle d'une coopération minée par des logiques contradictoires et des alliances toxiques. Les évènements survenus dans la zone frontalière de Tinzawaten, où plusieurs soldats russes et maliens ont perdu la vie lors d'une embuscade terroriste, ont mis en lumière l'ambiguïté du rôle algérien au Sahel, et soulèvent de sérieuses interrogations sur la viabilité du tandem Moscou-Alger dans cette région instable. L'attaque meurtrière survenue fin juillet 2024 à Tinzawaten, dans l'extrême nord-est du Mali, a été d'une brutalité inattendue. Selon plusieurs sources concordantes, les assaillants – probablement liés à des groupes djihadistes transfrontaliers – auraient bénéficié d'un passage facilité à travers un corridor non contrôlé à la frontière algérienne. Des accusations voilées, mais de plus en plus persistantes, laissent entendre que ce laxisme n'était pas seulement le fruit d'un dysfonctionnement sécuritaire, mais pourrait relever d'un calcul politique plus large. En effet, Alger, bien qu'hostile aux interventions étrangères au Sahel, n'a cessé de ménager ses relations avec certains groupes armés opérant entre le nord du Mali et le sud algérien, dans une logique de contrôle indirect de la zone. Les autorités maliennes, qui se sont rapprochées de Moscou depuis la rupture avec Paris, n'ont pas tardé à pointer une responsabilité indirecte de leur voisin algérien. Sans jamais la nommer frontalement, Bamako multiplie les signaux en direction d'Alger pour lui rappeler que sa souveraineté ne saurait être négociée ni instrumentalisée. Les appels répétés à une non-ingérence dans ses affaires internes illustrent la méfiance croissante du pouvoir malien envers son voisin du nord. Lire aussi : Affaire Airbnb dévoile les manœuvres de l'Algérie et de ses relais étrangers Pour Moscou, qui cherche à incarner un nouveau pôle de stabilité en Afrique en contrepoint des anciennes puissances coloniales, l'incident de Tinzawaten est un revers stratégique majeur. Non seulement ses hommes ont payé un lourd tribut humain, mais sa crédibilité en tant que médiateur dans le dossier malien s'en trouve sérieusement écornée. La Russie, déjà prise sur le front ukrainien et soumise à une pression diplomatique intense en Europe, ne peut se permettre de dilapider son capital d'influence en Afrique sur l'autel de ses relations avec une Algérie perçue comme un acteur de moins en moins fiable. Le soutien inconditionnel apporté par Moscou à Alger, au nom d'une fraternité militaire héritée de la guerre froide, devient de plus en plus difficile à justifier. Car si la Russie se veut l'alliée du Mali dans sa lutte contre le terrorisme, elle se retrouve, par ricochet, associée à un partenaire algérien soupçonné de double jeu. Cette contradiction stratégique place Moscou dans une impasse : comment promouvoir la réconciliation intermalienne tout en s'alignant sur une puissance régionale accusée de saboter ce processus ? L'Algérie en mal de reconnaissance continentale L'Algérie, pour sa part, semble davantage préoccupée par la restauration d'un statut de puissance régionale que par une résolution sincère des crises qui minent ses voisins. En multipliant les initiatives unilatérales, comme les tentatives de médiation au Mali ou les interférences au Niger, elle s'expose à une contestation croissante de ses ambitions. Le narratif du « leadership africain » que cherche à imposer Alger se heurte à la réalité d'une image ternie, minée par les soupçons d'ingérences, les violations de souveraineté, et une posture souvent perçue comme arrogante par ses partenaires africains. Ce décalage est d'autant plus marqué que l'Algérie traverse elle-même une crise de légitimité internationale. Sous le coup de sanctions économiques renforcées par l'Union européenne, notamment via le GAFI (Groupe d'action financière), en raison de la persistance de la corruption endémique et du financement occulte de réseaux informels, le pays voit sa capacité à rayonner sur la scène diplomatique sérieusement amputée. À cela s'ajoute un conflit larvé avec la France, qui accentue l'isolement d'Alger sur le plan bilatéral et européen. La dégradation de la situation au Sahel pourrait servir de catalyseur à une recomposition des alliances. Le Mali, tout en maintenant son partenariat militaire avec la Russie, pourrait chercher à diversifier ses soutiens pour échapper à la dépendance exclusive à Moscou. Quant à la Russie, elle devra tôt ou tard arbitrer entre la fidélité à un allié peu fiable et la préservation de ses intérêts géopolitiques à long terme dans la bande sahélo-saharienne. Les prochaines semaines seront décisives. Si l'axe Alger-Moscou ne parvient pas à lever les ambiguïtés de sa posture sécuritaire, il risque de compromettre non seulement la stabilité régionale, mais aussi sa propre légitimité sur le continent africain.