En instaurant un tarif universel de 10 % sur toutes les importations et des surtaxes ciblées atteignant 50 %, le président américain rompt avec un quart de siècle de régime préférentiel accordé à plus de trente pays africains. L'Afrique australe et ses chaînes d'approvisionnement textile, automobile et minière sont parmi les premières victimes. Les capitales africaines s'inquiètent d'une recomposition forcée de leurs flux commerciaux. L'annonce de Donald Trump, le 2 avril 2025, marque un tournant dans les relations économiques entre Washington et l'Afrique. Présenté comme la « Journée de la libération », ce dispositif instaure un tarif universel de 10 % sur toutes les importations aux Etats-Unis, complété par des droits supplémentaires visant plusieurs pays africains. Officiellement, l'objectif est de corriger des « déficits commerciaux inacceptables ». Dans les faits, il s'agit d'une rupture nette avec l'African Growth and Opportunity Act (AGOA), en vigueur depuis 2000 et dont l'expiration était prévue en septembre. En Afrique australe, le choc est immédiat. Le Lesotho, fortement dépendant des exportations textiles, se voit infliger un tarif initial de 50 %, ramené à 15 % début août sous la pression diplomatique. Malgré cet ajustement, l'impact reste sévère : près de 40 000 emplois sont menacés dans un secteur qui représente 10 % du PIB national. « Nous sommes déjà en train de perdre des contrats », confie un responsable de la Fédération des industries textiles, cité par Reuters. Pretoria, de son côté, doit absorber une surtaxe de 30 % sur ses exportations, ce qui fragilise environ 30 000 emplois dans l'automobile et l'agriculture, selon Associated Press. Lire aussi : Tarifs douaniers : Washington a récolté plus de 100 milliards depuis avril Les effets se propagent rapidement au reste du continent. En Afrique du Nord, la Libye est frappée à 31 %, l'Algérie à 30 %, la Tunisie à 28 %. En Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire subit un droit de 21 % et le Nigeria de 14 %. Les secteurs pétrolier, agricole et manufacturier, piliers des exportations africaines vers les Etats-Unis, voient leurs marges compressées. La fin annoncée du régime préférentiel de l'AGOA prive ces pays d'un levier stratégique pour accéder au marché américain à coût réduit. La portée de cette politique dépasse le cadre africain. La Chine, premier partenaire commercial du continent, est visée par une nouvelle surtaxe de 34 %, en plus des 20 % déjà en vigueur depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. En ciblant simultanément Pékin et plusieurs économies africaines, la Maison-Blanche entend imposer le principe de stricte réciprocité. Pour Washington, il s'agit de rééquilibrer les échanges ; pour nombre de capitales africaines, c'est un signal d'hostilité qui pourrait accélérer le basculement vers Pékin, déjà omniprésent dans les infrastructures et le financement. Les chiffres illustrent l'ampleur de l'enjeu. En 2023, le commerce de biens entre les Etats-Unis et l'Afrique subsaharienne atteignait 47,5 milliards de dollars, dont 29,3 milliards d'importations américaines et 18,2 milliards d'exportations. Plus de la moitié des flux bénéficiaient du régime préférentiel. Sans reconduction ni adaptation de l'AGOA, ces échanges pourraient se contracter brutalement, au détriment des exportateurs africains comme des consommateurs américains, privés de produits compétitifs. Face à cette recomposition forcée, plusieurs gouvernements africains misent sur l'Accord de libre-échange continental africain (AfCFTA) pour stimuler les échanges intrarégionaux et réduire la dépendance au marché américain. Des initiatives bilatérales se multiplient également vers l'Asie et le Moyen-Orient. « Ce tournant doit nous pousser à repenser notre intégration économique et à diversifier nos débouchés », analyse un chercheur de l'IDOS, auteur d'une simulation macroéconomique montrant que les pays les plus vulnérables pourraient perdre jusqu'à 15 % de leurs recettes d'exportation vers les Etats-Unis. À court terme, la marge de manœuvre africaine reste limitée : la renégociation d'un dispositif inspiré de l'AGOA ou la conclusion d'accords spécifiques avec Washington seront au cœur des discussions diplomatiques à venir. Mais le signal politique est clair : la période des privilèges unilatéraux touche à sa fin.