Ce mercredi 24 septembre 2025, le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) a organisé à Rabat un atelier de restitution visant à présenter les conclusions de son avis intitulé « L'impact du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne sur le Maroc ». L'initiative s'inscrit dans un contexte où l'Union européenne (UE), principal partenaire commercial du Royaume, cherche à réduire drastiquement ses émissions de CO2 tout en sécurisant un commerce extérieur conforme à ses normes environnementales. Le CESE entend ainsi éclairer décideurs et acteurs économiques sur un dispositif en phase transitoire, mais susceptible de redessiner profondément les relations industrielles et commerciales du Maroc avec l'UE. L'ouverture de l'atelier a été assurée par Abdelkader Amara, président du CESE, qui a souligné l'importance stratégique de cette initiative pour le Royaume. Il a rappelé que l'Union européenne est le principal partenaire commercial du Maroc et que les nouvelles normes environnementales constituent à la fois un défi et une opportunité pour renforcer la compétitivité de l'économie nationale. Selon lui, la capacité du Maroc à anticiper et à s'adapter à ces changements déterminera sa position dans les chaînes de valeur internationales et sa transition vers une économie bas carbone. Amine Mounir Alaoui, membre du Bureau du CESE et président de la commission de la connaissance et de l'information, a présenté le rapport détaillant les principaux enjeux et contraintes liés à ce mécanisme. Il a expliqué que, dès le 1er janvier 2026, certains produits exportés vers l'UE seront soumis à des ajustements carbone, notamment le fer, le manganèse et l'aluminium. Ces ajustements visent à compenser le différentiel entre les émissions réelles et les quotas de CO2 établis pour chaque produit, en cohérence avec l'objectif européen de réduction de 72 % des émissions entre 2005 et 2030. Le mécanisme repose sur un système de quotas d'émissions, comparable à un marché financier. Les industries qui émettent moins que leur quota peuvent « vendre » leur surplus, tandis que celles qui dépassent leurs limites doivent acheter des quotas supplémentaires. Aujourd'hui, les échanges se font à environ 70 euros par tonne, contre 100 euros auparavant, permettant de valoriser les pratiques vertueuses et de créer un marché réglementé des droits à polluer. Toutefois, Amine Mounir Alaoui souligne que cette approche soulève des questions d'équité : les pays non membres de l'UE, moins contraints par des normes environnementales, ne bénéficient pas de cette régulation, créant un déséquilibre concurrentiel. Il a également précisé que le mécanisme d'ajustement carbone à l'importation (MACF) repose sur un principe d'égalité : ce n'est pas le producteur marocain qui paiera directement, mais l'importateur européen qui devra acquitter le montant équivalent aux quotas de CO2. Cette distinction est essentielle pour éviter toute taxation discriminatoire et garantir une application uniforme à l'échelle mondiale. Pour les exportateurs marocains, la complexité réside dans la traçabilité et le calcul précis des émissions tout au long de la chaîne de production, particulièrement pour les produits industriels et chimiques. Lire aussi : Le mécanisme carbone de l'UE, contrainte économique et levier de transition pour le Maroc Des secteurs marocains directement et indirectement concernés Parmi les produits directement concernés, Amine Mounir Alaoui cite : l'acier, l'aluminium, le ciment, certaines formes d'électricité et l'hydrogène vert. Pour le Maroc, l'impact direct reste limité, puisque la production d'acier et d'aluminium est relativement modeste et que l'exportation de ciment demeure restreinte. En revanche, le développement de l'hydrogène vert et des énergies renouvelables pourrait devenir un levier stratégique pour intégrer le marché européen dans le respect des normes environnementales. Les émissions indirectes représentent un défi majeur. Par exemple, la production d'intrants importés comme l'ammoniaque entraîne des émissions qui doivent être intégrées dans le calcul global. Cette évaluation se révèle particulièrement complexe en raison de la diversité des intrants, issus de plusieurs pays et filières technologiques. De même, le secteur automobile pourrait être affecté indirectement, car il dépend de matériaux comme l'acier, dont la provenance et les émissions doivent être rigoureusement évaluées afin d'éviter tout surcoût. L'atelier a également abordé les aspects institutionnels et opérationnels. Les normes et méthodes de calcul européennes sont la référence, mais la reconnaissance de systèmes de quotas étrangers, même équivalents, reste limitée. Cela peut générer un déséquilibre financier si le coût des quotas diffère entre pays, même si l'impact environnemental est identique. Des initiatives nationales pour préparer la transition Pour préparer le Maroc à cette transition, plusieurs initiatives sont déjà en place. La stratégie nationale bas carbone a permis de développer des instruments de calcul des émissions de gaz à effet de serre et de sensibiliser les entreprises, en particulier les PME. Des plateformes de décarbonation et des cliniques spécialisées offrent un accompagnement technique pour évaluer et réduire l'empreinte carbone. L'administration des douanes et impôts indirects sera en charge de l'implémentation et de la coordination du dispositif à partir de 2026, selon une approche progressive intégrée aux systèmes fiscaux existants. Amine Mounir Alaoui a aussi souligné le caractère global du mécanisme : des dispositifs similaires sont en cours de développement aux Etats-Unis, au Canada, en Chine, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Japon, conférant au MACF une dimension stratégique. Pour le Maroc, l'enjeu est double : se conformer aux standards européens tout en capitalisant sur les opportunités offertes par le développement des énergies vertes et des industries bas carbone. Il a également présenté quelques chiffres clés illustrant l'impact du MACF sur le Maroc. Selon lui, la part des exportations marocaines concernées ne dépasse pas 3,7 % du total des échanges avec l'UE, dont 2,9 % pour le secteur des engrais. Il a précisé que le coût de la taxe sur le charbon pour les citoyens marocains est estimé à moins de 10 euros, soulignant le contraste avec les coûts européens. Le mix électrique marocain ciblé pour atteindre la neutralité carbone est déjà planifié à 97 % d'origine décarbonée. Le CESE recommande ainsi une préparation rigoureuse et anticipative. La réduction des émissions, l'adoption de technologies compétitives et la certification des pratiques industrielles seront déterminantes pour sécuriser l'accès aux marchés européens. La mise en œuvre du MACF représente à la fois un défi pour les industries et le tissu économique marocain, mais aussi une opportunité pour renforcer la compétitivité verte du Royaume et son intégration dans les chaînes de valeur internationales.