Ce mercredi, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) organise à Rabat un atelier de restitution pour présenter les conclusions de son avis intitulé « L'impact du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne sur le Maroc ». L'institution entend ainsi éclairer les décideurs et le public sur un dispositif européen qui, bien qu'encore en phase transitoire, pourrait profondément redessiner les relations commerciales et industrielles du Royaume avec son premier partenaire économique. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), entré en vigueur en octobre 2023, impose aux importateurs européens de déclarer les émissions de CO2 liées aux produits importés. À partir de 2026, ces mêmes importateurs devront acheter des certificats équivalents au prix du carbone européen, aujourd'hui fixé entre 60 et 100 euros la tonne. L'objectif est double : protéger l'industrie européenne des « fuites de carbone » et encourager ses partenaires commerciaux à réduire leur empreinte environnementale. Pour sa première phase, le mécanisme cible cinq secteurs : acier et fer, aluminium, ciment, engrais et électricité. Ces produits sont stratégiques pour l'économie marocaine, tant par leur poids dans la balance commerciale que par leur intensité carbone. En 2024, les échanges entre le Maroc et l'Union européenne atteignaient 51 milliards d'euros, dont 25 milliards d'exportations marocaines vers l'Europe. L'UE absorbe près de 65 % des ventes marocaines à l'étranger, confirmant son statut de partenaire incontournable. Si le textile, l'agroalimentaire et les composants automobiles dominent ce flux, des exportations plus carbonées – engrais, électricité ou produits métallurgiques – sont directement concernées par le MACF. L'impact immédiat apparaît modéré. Selon les premières estimations, seuls 1,6 % des exportations marocaines vers l'UE seraient affectées d'ici 2026, essentiellement les engrais, pour une facture carbone comprise entre 20 et 34 millions de dollars par an. Mais les perspectives à moyen terme inquiètent davantage : l'extension du mécanisme à d'autres filières pourrait amputer de plus de 10 % les ventes marocaines sur le marché européen, soit plusieurs milliards d'euros. Lire aussi : Taxe carbone européenne : Le Maroc à l'épreuve de la compétitivité verte Les secteurs sous pression Le secteur des engrais, dominé par l'OCP, apparaît le plus exposé. Avec une facture carbone potentielle estimée à 425 millions de dollars par an, il concentre l'essentiel du risque. L'entreprise mise toutefois sur ses investissements massifs dans l'ammoniac vert et l'hydrogène renouvelable pour conserver un avantage compétitif face à des concurrents plus polluants. La sidérurgie marocaine, emmenée par Sonasid, bénéficie de procédés moins émetteurs, recourant déjà à 85 % aux énergies renouvelables. À l'inverse, le ciment, largement dépendant du charbon, et l'aluminium, fortement carboné, figurent parmi les filières les plus vulnérables. Quant à l'électricité exportée vers l'Espagne, elle représente près de 89 % de l'empreinte carbone soumise au MACF, en raison d'un mix encore dominé par le charbon. Face à ce défi, Rabat a privilégié la coopération avec Bruxelles. Le Maroc a été le premier pays africain à signer un Partenariat vert avec l'UE en 2022, couvrant les questions énergétiques et climatiques. L'Union finance déjà plusieurs programmes marocains de transition – « Terre Verte » pour l'agriculture, « Energie Verte » pour l'industrie – et accompagne la décarbonation du tissu productif. Parallèlement, le gouvernement prépare la création d'un marché carbone national dès 2026, aligné sur le système européen. Ce dispositif permettra de fixer un prix domestique des émissions et d'éviter une double imposition, tout en incitant les industriels à investir dans des technologies sobres. Pour le CESE, dont l'avis est restitué ce 24 septembre, la question dépasse le seul enjeu fiscal. Le mécanisme d'ajustement carbone constitue une contrainte immédiate, mais aussi une opportunité de transformation. En accélérant sa transition énergétique – 52 % de renouvelables visés en 2030 – et en modernisant ses chaînes de production, le Maroc peut non seulement atténuer l'impact du MACF, mais aussi se positionner comme un fournisseur privilégié de produits « bas carbone » à l'Europe. Le Royaume se trouve ainsi à la croisée des chemins : subir une érosion de sa compétitivité ou faire du défi carbone un catalyseur de sa mutation industrielle. Les conclusions du CESE devraient alimenter ce débat, au moment où la diplomatie économique marocaine s'efforce de transformer une taxe européenne en levier stratégique pour l'intégration verte du pays dans les chaînes de valeur mondiales.