À l'heure où les chaînes de valeur mondiales se recomposent et où la maîtrise des métaux stratégiques est devenue l'alpha et l'oméga de la souveraineté industrielle, le Maroc se positionne avec audace et méthode pour devenir un acteur incontournable de cette nouvelle géopolitique des ressources. C'est cette vision éclairée et cette stratégie rigoureuse qu'a exposées M. Abdellah Mouttaqi, directeur général de la Compagnie Minière de Touissit, lors d'une intervention au Forum MD Sahara, organisé du 13 au 16 novembre 2025 à Dakhla. Son propos a démontré comment le Royaume, fort d'un modèle de durabilité éprouvé, est en passe de transcender son statut de producteur pour devenir un hub de transformation à l'échelle continentale. Le point de départ de la réflexion de M. Mouttaqi est que les ressources minières, par leur fort ancrage territorial, imposent une exploitation respectueuse du concept de durabilité. Le Maroc, a-t-il expliqué, a bâti tout au long de sa longue histoire minière, un modèle qui repose sur trois piliers. Le premier est la durabilité de l'exploitation elle-même, visant à pérenniser les bénéfices dans le temps long, dans une logique de responsabilité intergénérationnelle. Le deuxième est la gestion vertueuse des ressources naturelles, l'eau et l'énergie. Face au stress hydrique, les opérateurs miniers marocains, à l'instar de l'OCP avec sa politique « zéro ressource de surface », ont massivement investi dans le dessalement et le recyclage. Sur le plan énergétique, la quasi-totalité des opérateurs sont désormais raccordés à des sources d'énergie renouvelable, un atout majeur pour la traçabilité et la certification, devenues des sésames sur les marchés internationaux. Le troisième pilier, enfin, est le développement communautaire qui renforce un ancrage sain et garantit une pérennité aux exploitations. Fort de ce modèle, le Maroc peut désormais nourrir une ambition plus grande : se positionner sur le segment à plus haute valeur ajoutée des métaux stratégiques et critiques. M. Mouttaqi a rappelé comment ces métaux, essentiels aux transitions numérique et énergétique ainsi qu'aux industries de défense, sont au cœur des tensions géopolitiques mondiales. Le caractère critique d'un métal, a-t-il précisé, augmente avec la concentration de sa production. Le cobalt, par exemple, dont la production est concentrée en RDC, est un cas d'école. Lire aussi : Nisrine Iouzzi : « Il faut accompagner la création et l'implémentation du port Dakhla Atlantique » Transformation locale et maîtrise technologique : Piliers de la souveraineté industrielle Face à ce défi, le Maroc a des atouts, mais aussi des faiblesses. L'OCP est un modèle de réussite, une fierté nationale qui maîtrise l'ensemble de la chaîne de valeur, de l'extraction à la transformation en produits chimiques complexes, avec un fort contenu local. Mais pour d'autres métaux, le constat est plus contrasté. M. Mouttaqi a pris l'exemple frappant du cuivre : le Maroc exporte du concentré de cuivre, pour ensuite importer du cuivre raffiné, générant un déficit commercial de 4 milliards de dirhams par an. Le message est clair : la souveraineté industrielle passe impérativement par la transformation locale, ainsi que par la maîtrise technologique qui permet de remonter la chaîne de valeur. C'est là que la vision pour les provinces du Sud prend tout son sens. Ces territoires par leur situation géographique et leurs infrastructures, peuvent jouer le rôle de « hub de transformation ». M. Mouttaqi a lancé un appel vibrant à une réflexion audacieuse : le Maroc peut-il devenir le transformateur des minerais d'une bonne partie du continent ? La réponse est oui. En combinant le potentiel exceptionnel en énergies renouvelables des provinces du Sud, qui permet une transformation décarbonée et compétitive, le nouveau port de Dakhla et les partenariats stratégiques que le Royaume a noués en Afrique, le Maroc a une carte maîtresse à jouer. Des pays africains frères pourraient fournir les minerais que le Maroc ne possède pas, comme l'aluminium, et le Maroc apporterait sa maîtrise technologique, son infrastructure portuaire et son énergie verte pour les transformer en produits à haute valeur ajoutée. Cette stratégie de « transformation avale » est, pour M. Mouttaqi, la clé qui permettra au secteur minier marocain de « passer à un deuxième palier ». Il ne s'agit plus seulement d'exploiter les ressources du sous-sol national, mais de mobiliser l'intelligence, la technologie et la diplomatie pour créer un écosystème de transformation minérale à l'échelle de l'Afrique de l'Ouest. C'est un changement de paradigme, une révolution copernicienne qui ferait du Sahara marocain non plus la fin de la route, mais le point de départ de nouvelles chaînes de valeur industrielles, plus justes, plus durables et plus souveraines. L'intervention de M. Abdellah Mouttaqi a ainsi dessiné les contours d'une ambition formidable : faire du Maroc l'alchimiste des métaux stratégiques du 21ème siècle, un pays qui, par la science et la vision, transforme les ressources brutes de l'Afrique en un avenir de prospérité partagée.