Les eaux qui ont submergé Safi, dimanche dernier, ne relèvent pas d'un accident isolé. Elles mettent en lumière un schéma récurrent où les mêmes vulnérabilités produisent les mêmes crises, et où l'urgence immédiate l'emporte, une fois encore, sur la capacité collective à tirer les enseignements des épisodes précédents. Ville portuaire située sur le littoral atlantique du Royaume et traversée par plusieurs oueds, Safi présente des caractéristiques géographiques qui exposent durablement certains de ses quartiers aux crues soudaines et aux débordements pluviaux. La répétition de ces catastrophes souligne ainsi l'écart persistant entre une réactivité ponctuelle, certes nécessaire, et la mise en œuvre de politiques de prévention structurelles et durables. La mobilisation des secours a, de fait, été rapide. Les équipes d'intervention ont été déployées, les services d'urgence coordonnés et l'assistance aux populations sinistrées organisée. Cette capacité de réaction, aussi indispensable soit-elle, ne saurait toutefois se substituer à une prévention planifiée et intégrée. Selon les cadres d'analyse reconnus, la gestion efficace des crises repose sur trois piliers indissociables : la prévention et la mitigation des risques, la préparation et les systèmes d'alerte, ainsi que la réaction et le rétablissement post-crise. Dans le cas de Safi, les inondations à répétition révèlent un sous-investissement chronique dans les deux premiers piliers. De nombreux habitants pointent l'insuffisance des infrastructures de drainage et de rétention des eaux, la fiabilité limitée des dispositifs d'alerte précoce et une planification urbaine qui intègre encore trop marginalement les risques climatiques et hydrologiques. La question de la coordination constitue un autre défi majeur. Lire aussi : Les précipitations enregistrées au centre de la ville de Safi ont dépassé 60 mm en trois heures La gestion des catastrophes mobilise une pluralité d'acteurs – autorités locales, services de secours, secteurs stratégiques tels que la santé et les infrastructures, organismes régionaux et administrations centrales – dont l'articulation demeure perfectible. Les épisodes récents ont mis en évidence, selon plusieurs observateurs, des interfaces défaillantes entre ces acteurs, marquées par des délais de communication excessifs, des chevauchements de responsabilités et l'absence de protocoles régulièrement testés. À cela s'ajoute, selon des experts, une insuffisance persistante des ressources humaines et matérielles, ainsi qu'un investissement technologique limité en matière de surveillance, de prévision et de modélisation des risques. La communication de crise La communication en situation d'urgence apparaît comme un maillon critique de la chaîne de gestion des crises. À Safi, la densité urbaine, l'existence de quartiers informels et la concentration de populations vulnérables compliquent considérablement la diffusion rapide et efficace des alertes. Trois ruptures structurelles se dessinent : une rupture d'accès à l'information pour les populations les plus exposées ; une rupture de compréhension, liée à des messages parfois imprécis ou insuffisamment contextualisés ; et une rupture de coordination entre les différentes autorités émettrices. Ces dysfonctionnements se traduisent par des retards dans l'alerte, des informations contradictoires et une difficulté, pour les habitants, à obtenir des consignes claires et confirmées en matière de sécurité. Au-delà de la phase d'urgence, la restitution des bilans, l'évaluation des réponses apportées et l'identification des défaillances demeurent lentes et incomplètes, retardant d'autant la mise en œuvre de réformes correctives. Ce cycle répétitif des inondations met en évidence une absence de capitalisation systématique des enseignements tirés des crises passées. Après chaque épisode, l'attention institutionnelle et médiatique s'estompe, alors même que la phase post-crise constitue un moment stratégique pour engager des réformes structurelles et investir dans la résilience urbaine. Enfin, les normes et standards encadrant la gestion des catastrophes naturelles en milieu urbain restent insuffisamment consolidés. Les contraintes économiques et politiques – budgets limités, retour sur investissement à long terme, pressions foncières et immobilières – continuent de freiner la mise en œuvre d'actions préventives ambitieuses, pourtant indispensables pour réduire durablement le coût humain et matériel de l'inaction.