Interview de avec Tariq Sijilemassi, Président du directoire du Crédit agricole du Maroc "Le Crédit agricole est assaini" Propos recueillis Maroc Hebdo International: Le Crédit agricole du Maroc a traversé des temps difficiles marqués par des problèmes financiers. Comment cette a-t-il pu basculer dans la crise? - Tariq Sijilemassi : Je pense que l'histoire du Crédit agricole est connue. Je ne souhaite pas trop revenir là-dessus. Ce qui est essentiel, c'est peut-être de comprendre un peu ce qui a entraîné les difficultés. À mon avis, l'origine du problème, c'est ceci: le Crédit agricole avait tenté dans le passé de s'ouvrir sur de nouveaux métiers, mais il a raté son virage, probablement faute de moyens. Or, lorsqu'on veut faire une ouverture vers des métiers nouveaux, il faut les maîtriser et mettre en place les moyens qu'il faut. MHI: Comment se porte aujourd'hui le Crédit agricole? -Tariq Sijilemassi: Actuellement, nous sommes en train d'étendre notre réseau commercial puisque nous allons terminer l'année 2007 avec 408 agences. Nous serons à ce moment-là le troisième réseau bancaire national après celui du groupe Banques populaires et celui d'Attijariwafa Bank. Nous avons également lancé depuis un an et demi un nouveau schéma directeur informatique. Nous avons aussi revu tout ce qui concerne le statut du personnel: Grille de rémunération, critères de recrutement et évolution des carrières. La banque a fait un pas considérable en termes de qualité de service. Mais je dois dire que le meilleur reste encore à venir. MHI: Ne pensez-vous pas que votre mission de service public est antinomique avec le principe d'une banque universelle qui cherche le profit? -Tariq Sijilemassi: Vous ne pouvez pas mélanger durablement la mission de service public avec la banque universelle. C'est quelque chose qui est illusoire. Je ne dirais pas que les deux missions sont antinomiques, mais là où se lit la contradiction, c'est lorsque vous donnez un crédit avec un objectif de service public. N'oublions pas que le crédit est un crédit. Il est donné avec des règles prédéfinies, avec un taux d'intérêt et une obligation de remboursement. Aussi, pour notre part, nous avons l'obligation par rapport à notre actionnaire de lui donner une banque en bonne santé financière. Et nous avons une obligation encore plus forte vis-à-vis de nos déposants, qui nous font confiance en nous confiant leur argent. Donc, il est hors de question de poursuivre cette pratique, qui a malheureusement existé pendant de longues années. Pendant cette époque, on donnait des crédits dont on ne maîtrisait pas le remboursement et, dans la plupart des cas, ils sont abandonnés. MHI: À combien évaluez-vous les crédits avez-vous abandonnés? - Tariq Sijilemassi : Nous avons abandonné des crédits pour près de 7 milliards de dirhams pour les petits agriculteurs. 3 milliards sont en cours d'abandon et 4 milliards ont été échelonnés entre 1999 et 2005. MHI: Qui a pris en charge ces crédits abandonnés? -Tariq Sijilemassi: C'est la banque qui a assumé une grande partie de cette somme. L'Etat est intervenu directement dans ce processus à hauteur d'un milliard de dirhams. MHI: Il est sûr que cette opération d'abandon de crédits a causé beaucoup de dégâts pour les finances de la banque -Tariq Sijilemassi: Sans aucun doute. C'est la raison pour laquelle la banque ne peut se permettre de continuer sur cette voie. Aujourd'hui, après une profonde restructuration, la situation financière de la banque est assainie. Au 30 juin 2007, nous étions en règle avec les normes de Bank Al-Maghrib. Nos commissaires aux comptes ont certifié sans réserve les comptes du Crédit agricole. Nous avons un niveau de fonds propres positif de 2 milliards de dirhams. Ce qui signifie vraiment que cette phase tumultueuse de la vie de la banque est révolue. MHI: Que vaut aujourd'hui, en chiffres, le Crédit agricole? -Tariq Sijilemassi: Il vaut ceci: un Produit net bancaire de 1,7 milliard de dirhams. Sur les trois années à venir, nous allons doubler ce chiffre pour atteindre 3,5 milliards de dirhams. Nous avons aussi comme objectif de faire un résultat net positif de 1,5 milliard de dirhams à l'horizon 2010. Donc, nous avons fermement l'intention de renforcer notre position de quatrième banque au niveau national. MHI: De quelle manière? -Tariq Sijilemassi: En faisant ce que nous faisons maintenant. C'est-à-dire que la banque universelle est en marche avec 400 agences, des collaborateurs bien informés et une technologie bancaire de pointe. À côté de ça, nous sommes en train de créer tout un pôle de mission "service public". Ce qui fait que le Crédit agricole est devenu un holding dans lequel on distingue ce dernier pôle, et un autre consacré à la banque universelle. Dans le pôle "service public", on distingue trois entités indépendantes les unes des autres. Il y a la Fondation Ardi, spécialisée dans le micro-crédit. Je rappelle que celle-ci a connu un succès phénoménal puisque le nombre des agences dédiées à cette activité est passé de 30 à 110. À l'horizon 2009, le nombre de clients de la Fondation Ardi tournera autour de 200.000 à 250.000. En parallèle avec Ardi, une nouvelle structure verra bientôt le jour et s'appellera Société de financement agricole spécialisé (SFAR). Elle aura pour but de financer les agriculteurs qui n'ont pas accès au crédit classique à travers la banque universelle, pour des crédits dont le montant ne dépasse pas les 100.000 dirhams. Pour sa mise en place, nous avons engagé des pourparlers avancés avec le gouvernement. MHI: Financez-vous les autres catégories de clientèle? -Tariq Sijilemassi: Nous finançons tous les types de clients. Pourvu qu'ils satisfassent les critères d'accès au crédit. À l'horizon 2010, nous pensons que nous pouvons atteindre 500.000 clients globaux, dont 100.000 agriculteurs, pour notre pôle "banque universelle". Pour le pôle social, nous pouvons atteindre également 500.000 clients répartis entre 250.000 pour la Fondation Ardi et 250.000 pour la SFAR. Au total, le groupe atteindra 1 million de clients, auxquels nous sommes prêts à offrir tous les services bancaires nécessaires, pour financer leur exploitation, mais aussi leurs besoins de la vie quotidienne (logements, voitures et frais divers). MHI: Le Crédit agricole se prépare à l'introduction en bourse. C'est pour quand? -Tariq Sijilemassi: Je souhaite vivement qu'elle ait lieu fin 2008. Mais, nous allons introduire en bourse uniquement la partie "banque universelle". Ce qui fait que le pôle social de la banque n'est pas concerné par cette opération. MHI: Vous aviez un différend judiciaire avec le Crédit du Maroc, filiale du Crédit agricole France, au sujet de la nouvelle identité visuelle de la première. Où en est cette affaire? -Tariq Sijilemassi: C'est une affaire close pour moi. Nous avons trouvé un terrain d'entente qui autorise le Crédit du Maroc à conserver son sigle (CA), mais il ne peut pas utiliser l'appellation entière: "Crédit agricole". Sinon, cela créerait une énorme confusion dans les esprits des gens. MHI: Vous avez repris les réseaux commerciaux de la BNDE et de la BMAO, après la disparition de celles-ci. Quel bilan faites-vous de cette opération? -Tariq Sijilemassi: Je dois dire qu'elle a été très bénéfique. Non seulement les agences bancaires de ces deux institutions nous ont permis de renforcer notre réseau commercial, mais leurs équipes, rodées aux techniques de la banque d'investissement, nous ont aidé à créer un pôle dédié à la banque d'affaires, qui fonctionne aujourd'hui à merveille. Il y a eu certes des départs volontaires, dans ces deux institutions, mais on n'a pas tardé à les remplacer.