Dans son discours de Dakar, donné dimanche 6 novembre à l'occasion de l'anniversaire de la Marche Verte et prononcé depuis la capitale sénégalaise, le roi Mohammed VI s'est longuement attardé sur la politique africaine du Maroc et sur l'ancrage du royaume dans son continent, mais il a eu également des mots sur les maux du gouvernement en gestation. Essai de décryptage. Qu'a dit le roi sur le gouvernement ? Voici l'extrait de son passage sur la politique intérieure : « Le Maroc a besoin d'un gouvernement sérieux et responsable. Toutefois, la formation du prochain gouvernement ne doit pas être une affaire d'arithmétique, où il s'agit de satisfaire les desideratas de partis politiques et de constituer une majorité numérique, comme s'il était question de partager un butin électoral. Le gouvernement, c'est plutôt un programme clair et des priorités définies concernant les questions internes et externes, avec l'Afrique au premier chef. Un gouvernement apte à aplanir les difficultés héritées des années passées, concernant le respect des engagements du Maroc vis-à-vis de ses partenaires. Le gouvernement est une structuration efficace et harmonieuse qui s'adapte au Programme et aux priorités. C'est un ensemble de compétences qualifiées, avec des attributions départementales bien définies. Je veillerai, donc, à ce que la formation du prochain gouvernement se fasse conformément à ces critères et suivant une méthodologie rigoureuse. Et Je ne tolérerai aucune tentative de s'en écarter ». Plusieurs remarques s'imposent : 1/ Quand le roi parle d'arithmétique et de compétences, il indique en creux que c'est l'efficacité, in fine, qui doit primer, quitte à avoir une majorité hybride, dissymétrique, non harmonieuse. Le principal, ici, est d'avoir les hommes (et femmes) qu'il faut, aux places qu'il faut. 2/ Mais lorsque le chef de l'Etat évoque « la structuration efficace et harmonieuse, avec des compétences qualifiées » et que ceci devient la « méthodologie rigoureuse », on peut penser qu'il va dans le sens de blocs politiques harmonieux. Or, le bloc RNI/UC ne peut être en harmonie avec celui formé par le PJD et l'Istiqlal et le PPS, les premiers ayant de tous temps indiqués par les seconds du terme dévalorisant de « partis de l'administration ». Alors comment lire ces deux passages en apparence contradictoires ? Le roi, chef de l'Etat est aussi, aux termes de la constitution, garant des institutions et arbitre suprême. A ces titres, il a son mot à dire et il l'a dit. Si la majorité est composée par les partis du Mouvement national, en plus du PJD, il appartiendra aux chefs de l'Istiqlal, de l'USFP et du PPS d'oublier népotisme, favoritisme et clientélisme, pour favoriser l'expérience et la technicité. « Un ensemble de compétences qualifiées, avec des attributions départementales bien définies », où un médecin ne serait pas à l'Habitat et où un gestionnaire ne serait pas à la Communication, par exemple… où la filiation ne dicterait pas la nomination, ou la proposition à la désignation… Mais si, à l'inverse, c'est le RNI qui entre au gouvernement, avec ses alliés UC et MP, alors on se trouvera devant le non-respect de l'exigence de « la structuration efficace et harmonieuse ». En effet, quelle harmonie pourrait-il y avoir entre UC et Istiqlal, entre RNI et PPS ? Des actes parlants 1/ Alors que jusqu'à ces derniers jours, l'USFP lambinait et son Premier secrétaire tergiversait, faisant traîner les choses, soufflant tantôt le chaud et tantôt le froid, il a été décidé que Driss Lachgar allait rencontrer Abdelilah Benkirane ce lundi 7 novembre, alors qu'un membre du Bureau politique de l'USFP, cité par Alyaoum24, affirme ce lundi que « l'USFP allait désormais faciliter les choses ». Si l'USFP dit oui, la majorité sera enfin constituée, et le gouvernement suivra. Ne restera plus qu'à choisir les bons profils. 2/ Tout le monde aura remarqué la sortie de Me Abdellatif Ouahbi, député et dirigeant du PAM, particulièrement agressive contre la personne d'Ilyas el Omari, non nommément cité mais clairement identifié dans les propos. Le patron du PAM serait-il pousé vers la sortie, comme l'a brutalement suggéré Ouahbi ? Cela indiquerait que si la majorité est formée du PJD + Koutla, c'est le RNI qui prendrait la tête de l'opposition, étant certes inférieur numériquement au PAM, mais disposant d'une personnalité forte comme Akhannouch. Bien évidemment, cette option n'est pas envisagée par les analystes et journalistes, l'argument récurrent étant que l'Agriculture est dévolue à Aziz Akhannouch, et que nul autre que lui ne peut la gérer, en plus du fait que le RNI n'est pas un parti d'opposition, et qu'il ne saurait l'être. L'argument est inexact car il n'existe pas de fonction liée à une personne, et depuis l'éviction de Driss Basri du gouvernement, l'histoire récente du pays a montré qu'une fonction donnée peut très bien être dévolue à un nouveau profil que celui qui l'a conduite depuis des années. De plus, le RNI doit apprendre à évoluer dans l'opposition, pour gagner des galons et envisager, un jour, peut-être en 2021, de diriger le gouvernement. Enfin un groupe RNI/UC/MP dans l'opposition clarifierait les choses entre pôles historico-électoral (Koutla et PJD) d'une part et, d'autre part, moderniste (RNI et PAM). Il reste la question de savoir si le PPS et l'USFP sont conservateurs comme l'Istiqlal et le PJD, et si le MP est moderniste comme le RNI et le PAM. Mais cela est une autre question, directement venue de la particularité qui caractérise souvent la scène politique marocaine, aussi apte à produire des choses étranges qu'à remettre de l'ordre avec le temps dans paysage politique qui gagnerait à s'organiser dans des postures plus cohérentes et homogènes.