La diplomatie marocaine intensifie son arsenal sémantique pour consolider la position du royaume le dossier du Sahara occidental et pousser à une évolution du statu quo en sa faveur. L'analyse de Ricardo Fabiani, directeur du projet Afrique du Nord au sein de l'International Crisis Group, offre un éclairage précis sur les nuances linguistiques déployées par Rabat et leurs implications géopolitiques. Depuis 2007, le Maroc multiplie les initiatives diplomatiques pour imposer le plan d'autonomie pour le Sahara comme cadre privilégié de règlement du conflit. Mais c'est surtout depuis 2020 et la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par les Etats-Unis que les soutiens se sont accélérés sur les différents continents, même dans les régions qui étaient connues pour être majoritairement acquises à Alger (Afrique, Amérique latine) Sur le fond, chaque essai transformé par le Maroc est célébré par Rabat comme une victoire diplomatique, mais c'est sur la forme que ce cache les détails, avec un lexique employé qui revêt une importance notable. Un jeu de nuances pour soutenir le plan d'autonomie Selon Ricardo Fabiani, Directeur du projet de recherche sur l'Afrique du Nord pour l'International Crisis Group, qualifier le plan de «solution la plus sérieuse et crédible» – formule déjà reprise par le Royaume-Uni, l'Espagne ou dernièrement le Portugal – constitue un «soutien appuyé à l'autonomie sans pour autant exclure d'autres options». Cette phraséologie a la particularité de ne pas reconnaître formellement la souveraineté marocaine sur le territoire, explique l'expert pour éviter de braquer Alger et le Front Polisario. «Cette formulation n'anticipe pas la reconnaissance pleine et entière du Sahara comme province marocaine, mais elle marque une nette évolution par rapport aux positions neutres ou équidistantes du passé.» Ricardo Fabiani Vers la reconnaissance pleine : «la seule base» En parallèle, Paris et Washington - à l'instar de nombreux pays arabes et africains avant eux- ont franchi un cran supplémentaire en qualifiant le plan d'autonomie de «seule base» pour la résolution du conflit. Cette formule impose l'exclusivité de l'option autonomie, tout en prévoyant implicitement ou explicitement la reconnaissance de la souveraineté du Maroc. Un tel glissement sémantique n'est pas anodin : • Exclusion d'autres pistes : en fermant la porte à un référendum d'autodétermination sur lequel s'accrochent Alger et le Polisario, Rabat espère les contraindre à revoir leurs exigences. • Reconnaissance implicite : en érigeant le plan d'autonomie en unique solution, les gouvernements occidentaux admettent, de facto, que le Sahara n'est plus un territoire non autonome ; • Pression sur l'ONU : un tel consensus permettrait, selon Fabiani, «d'éliminer le Sahara occidental de la liste onusienne des territoires non autonomes, sapant ainsi le fondement légal du conflit». «L'objectif est clair : faire basculer les positions d'Alger et du Polisario en jouant sur la sémantique, tout en normalisant la situation internationale du Sahara.» Ricardo Fabiani Réactions et équilibres régionaux Pour Alger et le Front Polisario, les deux formules – «sérieuse et crédible» comme «seule base» – restent inacceptables, même si la première est perçue comme moins agressive. On se souvient du ton conciliant de la diplomatie algérienne vis à vis de Londres qui soutien désormais le plan d'autonomie marocain. A défaut de victoire diplomatique, Alger salue ce qu'elle considère les demi-défaute. La dynamique diplomatique est indéniablement en faveur de Rabat. Chaque geste diplomatique s'interprète à l'aune des formules verbales déjà adoptées. Pour les observateurs, l'enjeu principal repose désormais sur la capacité de ces positions à se traduire en actes : ouverture de consulats dans les villes sahraouies (Laayoune et Dakhla) et soutien multilatéral à la mise en œuvre du plan d'autonomie. En verrouillant la dimension juridique du conflit – à travers la suppression du Sahara de la liste onusienne –, le Maroc cherche à rendre «irrécupérable» toute remise en question future. Ricardo Fabiani insiste toutefois sur le fait que «la normalisation ne mettra pas fin aux tensions sur le terrain», mais qu'elle allègera durablement les contraintes politiques et médiatiques auxquelles Rabat a fait face jusqu'ici.