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La montée et la chute de la Maurétanie, un royaume amazigh oublié
Publié dans Yabiladi le 04 - 09 - 2025

Les Marocains parlent fièrement de leur «royaume de douze siècles», faisant remonter leur statut d'Etat à Idriss Ier en 788 après J.-C. Mais l'histoire ne commence pas là. Des siècles auparavant, le Royaume de Maurétanie s'élevait sur ce sol, une monarchie berbère qui frappait sa propre monnaie, nouait des alliances et tenait tête à Rome. Avec des dirigeants comme Baga et Bocchus, il remet en question le récit familier et révèle les racines plus profondes et oubliées du Maroc.
Certains croient que l'histoire du Maroc a commencé avec l'arrivée d'Idriss Ier en 788 de notre ère et l'établissement de l'émirat idrisside, suivi des dynasties marocaines successives. L'expression «le royaume des 12 siècles» est profondément ancrée dans la conscience nationale, faisant référence à l'existence continue d'un Etat marocain centralisé du VIIIe siècle à nos jours. Bien que ce récit soit vrai quant à la continuité de la monarchie centralisée au Maroc pendant la période islamique, l'histoire de cette terre remonte bien plus loin dans l'antiquité.
Bien avant qu'Idriss Ier ne mette les pieds à Volubilis (Walili), le territoire aujourd'hui connu sous le nom de Maroc abritait une ancienne civilisation préislamique avec son propre système politique sophistiqué, ses monarques et ses relations internationales. C'était le Royaume de Maurétanie, une monarchie berbère qui a émergé au IVe siècle avant notre ère et a maintenu son existence pendant plus de quatre siècles jusqu'à son annexion par Rome en 42 aprés J.C.
Il est important de noter que cet ancien Royaume de Maurétanie, centré dans le nord du Maroc avec des capitales à Volubilis (Walili) et plus tard à Tingis (Tanger), ne doit pas être confondu avec la nation moderne de Mauritanie située au sud du Maroc. Il n'y a aucun lien entre les deux, sauf leur nom similaire.
L'Etat contemporain de Mauritanie était historiquement connu sous le nom de «Bilad Chinguett», le nom «Mauritanie» n'a été appliqué au territoire de Chinguett qu'à la fin du XIXe siècle par l'officier colonial français Xavier Coppolani lors de la conquête de la région par la France. Coppolani, s'inspirant de textes classiques sur l'ancien Maroc, a approprié le nom historique «Maurétanie» pour ce territoire entièrement différent, créant une confusion de nomenclature qui persiste à ce jour. L'ancien Royaume de Maurétanie était fermement enraciné dans ce qui est aujourd'hui le Maroc, en faisant partie intégrante du patrimoine historique marocain.
La formation d'un royaume ancien
Le Royaume de Maurétanie a émergé comme l'une des principales monarchies berbères en Afrique du Nord à la fin du IVe et au début du IIIe siècles avant notre ère. Selon les preuves archéologiques, les structures des anciennes villes marocaines telles que Volubilis et Tamuda suggèrent l'existence de dynasties régnantes antérieures à l'histoire écrite. Comme le note G. Camps dans «Massinissa ou les débuts de l'histoire», les sources anciennes mentionnent le roi Baga comme l'un des premiers souverains connus, attesté à la fin du IIIe siècle avant notre ère, dont l'autorité s'étendait sur les territoires entre l'Atlantique et le fleuve Moulouya.
La naissance du royaume reflétait la transformation progressive des fédérations tribales en entités centralisées avec des frontières définies. Comme l'a observé Stéphane Gsell dans «Histoire ancienne de l'Afrique du Nord», le Maghreb, comme le reste du monde antique, a développé une conscience politique claire qui s'est traduite par l'émergence d'Etats délimités.
Au IIIe siècle avant notre ère, le Maghreb abritait plusieurs monarchies indépendantes : les Masaesyli, les Massylii et la Maurétanie. Ces deux royaumes (Massylii et Masaesyli) s'unirent en 202 avant notre ère sous le roi Massinissa pour former le royaume de Numidie.
Le géographe grec ancien Strabon a noté dans sa «Géographie» que la géographie de la Maurétanie s'étendait de l'Atlantique au fleuve Mulucha (Moulouya), soulignant son caractère maritime. Contrairement à ses voisins de l'est, la force de la Maurétanie résidait non seulement dans son organisation militaire mais aussi dans le contrôle des routes commerciales entre l'Afrique subsaharienne et la Méditerranée.
Structure politique et autorité royale
La structure politique du royaume a émergé d'une mosaïque de tribus amazighes, progressivement intégrées sous l'autorité royale. Selon G. Camps dans «Encyclopédie Berbère», Agllid (Le Roi) représentait un consensus négocié parmi les élites tribales plutôt qu'un monarque absolu. Dans ce cadre de partage du pouvoir tribal, les Bacaouates (praefecti ou duces pagi en latin) agissaient comme gouverneurs régionaux ou chefs de districts, servant d'intermédiaires entre la monarchie centrale et les tribus locales. Ils assuraient la collecte des impôts, la mobilisation des hommes en temps de guerre et l'application de l'autorité royale au niveau local, incarnant un niveau crucial de gouvernance sous le roi.
Les rois portaient divers titres tels que Agllid dans les inscriptions libyennes (berbère), HMMLK en punique (signifiant «le roi») et Rex en latin. Ces titres n'étaient pas uniformes mais adaptés aux audiences : libyen pour les tribus locales, punique pour les élites carthaginoises ou berbères, et latin pour Rome.
Bocchus Ier hérita d'un grand royaume de son grand-père Baga, exerçant un pouvoir absolu dans les limites de ses capacités militaires et en traitant avec les factions tribales. Il avait un conseil consultatif composé de parents, d'amis et de certains chefs tribaux, ainsi qu'un bureau d'écriture et une administration militaire. Bocchus Ier se déplaçait entre plusieurs capitales, dont Tingis, Siga, Tamuda et Volubilis. Il frappait des monnaies à son nom, nommait cinq ambassadeurs pour maintenir le contact avec Rome et la Numidie, et assignait le commandement des opérations militaires à son fils Volux.
Première diplomatie et guerres puniques
La première implication significative de la Maurétanie dans la politique méditerranéenne est survenue pendant la Deuxième Guerre Punique (218-201 avant notre ère). Selon l'historien romain Tite-Live dans son livre «Histoire de Rome», le royaume sous le roi Baga a maintenu une neutralité stratégique, malgré sa position géographique entre Carthage et Rome. Comme l'a soutenu Jérôme Carcopino dans «Le Maroc antique», la diplomatie de la Maurétanie consistait en un équilibre délicat, renforçant sa souveraineté tout en évitant de s'engager dans les guerres destructrices de la Méditerranée.
Guerres Puniques.
Cette neutralité n'était pas passive mais stratégique : en fournissant une aide militaire limitée à Massinissa, fils du roi numide des Massyli, Baga s'assurait que l'indépendance de la Maurétanie était préservée sans provoquer Rome ou Carthage. Cet épisode illustre comment le royaume s'est positionné comme un Etat tampon régional : engagé juste assez pour être pertinent, mais prudent pour ne pas compromettre son autonomie.
Le Roi Bocchus Ier et la Guerre de Jugurtha (118-105 avant notre ère)
Vers la fin du IIe siècle avant notre ère, le règne de Bocchus Ier (vers 118 avant notre ère) a marqué l'émergence de la Maurétanie en tant que monarchie forte. Selon Mohamed Majdoub dans «Mamlakat al-Mouriyine wa 'alaqatouha bi Roma» (1989, pp. 43-44), la force de Bocchus Ier provenait de sa capacité à obtenir la loyauté des tribus amazighs divisées, créant une structure politique qui rivalisait avec la Numidie.
Le moment décisif pour la Maurétanie est survenu lors de la Guerre de Jugurtha (112-105 av. J.C.), un conflit entre Rome et Jugurtha, le roi de Numidie, pour le contrôle de ce royaume d'Afrique du Nord. Initialement, Bocchus Ier s'est aligné avec son beau-fils Jugurtha de Numidie. Selon Salluste dans «Bellum Jugurthinum» (La guerre de Jugurtha), cette alliance a été conclue uniquement pour un gain territorial : Bocchus avait été promis un tiers de la Numidie en échange de son soutien.
Bocchus ne connaissait rien du peuple romain à part leur nom, et nous ne savions pas s'il était ami ou ennemi.
L'historien romain Salluste
Cette méconnaissance mutuelle souligne à quel point la Maurétanie était restée isolée des affaires romaines, malgré le contrôle d'un vaste royaume s'étendant de l'Atlantique au fleuve Moulouya.
Les deux rois amazighs ont déplacé leurs armées vers Constantine, infligeant de lourdes pertes aux forces romaines lors de plusieurs batailles, forçant les Romains à suspendre la guerre et à se retirer temporairement. Cependant, à mesure que la guerre progressait, des désaccords aigus ont surgi entre les deux rois au sujet du territoire promis, la parcelle de terre numide que Jugurtha avait promise mais n'avait pas livrée.
La confrontation diplomatique : «Le plus grand roi de ces terres»
En 108 avant notre ère, avec les promesses de Jugurtha non tenues et la pression romaine croissante, Bocchus a entamé des négociations avec Rome. La rencontre critique entre Bocchus et le consul romain Lucius Cornelius Sulla révèle la remarquable confiance en soi et l'habileté politique du roi maurétanien.
Selon le récit détaillé de Salluste, Bocchus a commencé le dialogue sur un ton hautain, rabaissant Sulla : «Je ne m'attendais jamais à ce que moi, le plus grand monarque de cette partie du monde, et le plus riche de tous ceux que je connais, doive un jour une faveur à un simple particulier.»
Cette déclaration d'ouverture montrait la perception qu'avait Bocchus de lui-même comme supérieur à un simple officier romain, malgré la puissance croissante de Rome.
Roi Bocchus de Maurétanie.
La rencontre nécessitait des traducteurs de confiance pour les deux parties, un détail qui confirme que Bocchus ne parlait ni le grec, ni le romain, ni le latin. Cette barrière linguistique renforce l'observation de Salluste sur la méconnaissance mutuelle entre la Maurétanie et Rome. Lors de ce dialogue crucial, Bocchus a exprimé sa position avec clarté : «Ecoutez maintenant quelques mots sur votre pays, que vous êtes venu ici pour protéger. Je n'ai pas fait la guerre au peuple romain et je n'ai jamais souhaité le faire. La seule chose que j'ai faite, c'est défendre les frontières de mon pays avec des armes contre une intervention armée.»
Cette déclaration révèle la compréhension sophistiquée de Bocchus de la souveraineté et sa conscience nationaliste. Il se voyait non pas comme un agresseur mais comme un défenseur du royaume maurétanien contre l'empiètement étranger.
La résolution pragmatique
Bocchus a proposé de mettre fin à la guerre en échange des territoires qu'il revendiquait de la Numidie, précisant qu'il ne permettrait pas à Jugurtha de dépasser ses frontières. Il a exprimé des hésitations quant à la livraison de Jugurtha, préoccupé par la réaction du peuple maurétanien qui n'aimait pas les Romains, et également réticent à agir contre Jugurtha en raison de leurs liens de sang.
Cependant, face aux promesses non tenues de Jugurtha et à la supériorité militaire écrasante de Rome, Bocchus a pris une décision calculée. En 105 avant notre ère, il a arrangé la remise de Jugurtha à Sulla. Salluste note que c'était un choix pragmatique fait lorsque Bocchus «jugea la cause de Jugurtha perdue».
Roi Jugurtha de Numidie (enchaîné) capturé par les Romains.
Suite à cette action décisive, Bocchus a été récompensé par Rome avec le titre d'«Ami et Allié du Peuple Romain» (amicus et socius populi Romani). Selon Appien dans son livre «Histoire Romaine / Affaires Numidiennes», Bocchus a reçu les concessions territoriales dans l'ouest de la Numidie que Jugurtha avait promises mais n'avait pas livrées. Cette décision a transformé la position de la Maurétanie : d'un royaume pris entre des puissances en guerre à un allié reconnu de Rome avec des territoires étendus.
Le Royaume de Maurétanie s'est étendu en 105 av. J.-C. sous le règne du roi Bocchus Ier, annexant les deux tiers de la Numidie et étendant sa frontière orientale jusqu'à Béjaïa dans l'Algérie actuelle.
L'habileté diplomatique de Bocchus ne s'est pas arrêtée à la capture de Jugurtha. Il a habilement exploité la rivalité entre les deux consuls romains, Sulla et Marius, pour le crédit de la capture de Jugurtha. Lors d'une visite officielle à Rome en tant qu'«ami du peuple romain», Bocchus a érigé des monuments au Capitole commémorant la capture de Jugurtha, provoquant délibérément la colère de Marius. Cette provocation a contribué à des tensions qui ont finalement éclaté en guerres civiles romaines durant des années, repoussant efficacement les ambitions romaines loin de son royaume pour un autre siècle.
La transition vers l'influence romaine
Après la mort de Bocchus Ier vers 50 avant notre ère, le royaume de Maurétanie a été divisé entre ses deux fils : Bocchus II a régné sur la partie orientale tandis que Bogud contrôlait la portion occidentale. En 38 avant notre ère, Bocchus II a saisi la moitié de son frère, réunissant à nouveau le royaume. Quand Bocchus II est mort vers 25 avant notre ère sans héritier direct, l'empereur romain Auguste a saisi l'occasion de remodeler la Maurétanie selon les intérêts romains.
Pièce de monnaie du roi maurétanien Bocchus Ier.
Vers 25 avant notre ère, l'empereur romain Auguste a nommé Juba II, fils du roi numide défait Juba Ier, comme roi de Maurétanie. Eduqué à Rome et marié à Cléopâtre Sélène II, fille de Cléopâtre VII et de Marc Antoine, Juba incarnait la fusion des cultures africaine, hellénistique et romaine. Selon Dion Cassius dans «Histoire Romaine», Auguste lui a confié le gouvernement de la Maurétanie.
Le règne de Juba a été caractérisé par une romanisation intensive : la monnaie portait des inscriptions latines, l'architecture imitait les modèles romains, et les relations diplomatiques étaient encadrées en termes romains. Sa cour est devenue un centre d'apprentissage, et lui-même a écrit de nombreux ouvrages sur la géographie, l'histoire et les sciences naturelles. Comme l'a remarqué Gsell, Juba était «le plus romain des rois berbères», symbolisant la transformation d'une souveraineté indépendante en vassalité impériale.
Pourtant, comme l'observe Mohamed Majdoub, la légitimité de Juba parmi les tribus maurétaniennes était contestée, car beaucoup le voyaient comme «la marionnette de Rome». Son règne illustre comment la Maurétanie est devenue un pont culturel entre l'Afrique et Rome tout en perdant progressivement son autonomie politique.
Ptolémée : Le dernier roi
À la mort de Juba II vers 23 de notre ère, son fils Ptolémée a hérité du trône. Contrairement à son père, Ptolémée a fait face à des tensions croissantes avec les tribus locales qui ressentaient une ingérence romaine. Selon H. Ghazi-Ben Maïssa dans «Encore et toujours sur la mort de Ptolémée roi amazigh de Maurétanie», Ptolémée a maintenu des alliances romaines tout en tentant d'apaiser les élites tribales.
Le règne de Ptolémée représentait à la fois la continuité et la fragilité. Tacite note dans ses «Annales» qu'il était reconnu comme rex socius et amicus populi Romani (roi, allié et ami du peuple romain). Sa monnaie portait des légendes latines, mais sa cour préservait les traditions berbères, incarnant l'identité maurétanienne.
Statue du roi maurétanien Juba II.
Ce délicat équilibre s'est effondré lorsque l'empereur romain Caligula a convoqué Ptolémée à Rome et l'a fait exécuter en 40 de notre ère. Les raisons restent débattues, jalousie de la richesse de Ptolémée ou crainte de son indépendance. Comme le note Carcopino, sa mort «a scellé le sort du royaume», car la Maurétanie a perdu son dernier monarque autochtone.
La révolte d'Aedemon et l'annexion romaine (40-42 de notre ère)
L'assassinat de Ptolémée a déclenché la révolte massive d'Aedemon, dirigée par un ancien affranchi royal. Selon Mohamed Maqdoun dans «Thawrat Aedemon», la révolte a été alimentée par le ressentiment envers la fiscalité romaine et l'imposition abrupte de la domination directe. Le conflit a duré deux ans. Comme l'explique M. Rachet dans «Rome et les berbères», Rome a dû mobiliser des légions d'Espagne et de Numidie pour réprimer le soulèvement, soulignant la résistance farouche de la Maurétanie.
Bien que réprimée après deux ans, la révolte a révélé les limites de la romanisation. Comme l'écrit Benabou dans son livre «La Résistance Africaine À La Romanisation», la rébellion d'Aedemon était un rappel que la souveraineté ne pouvait être effacée sans effusion de sang. Elle a marqué le dernier grand sursaut pour l'indépendance maurétanienne avant l'annexion complète.
Pièce maurétanienne du dernier roi maurétanien, Ptolémée.
La division de la Maurétanie : Tingitane et Césarienne
En 42 de notre ère, après avoir réprimé la révolte, l'empereur Claude a officiellement annexé la Maurétanie à l'Empire romain, la divisant en deux provinces : la Maurétanie Tingitane (à l'ouest, avec pour capitale Tingis/Tanger) et la Maurétanie Césarienne (à l'est, centrée sur Césarée/Cherchell).
Selon Carcopino dans «Volubilis regia Ivbae», cette division reflétait à la fois la géographie et la nécessité militaire : la Tingitane était étroitement liée à l'Hispanie de l'autre côté du détroit de Gibraltar, tandis que la Césarienne servait de tampon avec la Numidie.
Carte du Royaume de Maurétanie après sa division en 42 après J.-C. par l'empereur romain Claude en Maurétanie Tingitane et Maurétanie Césarienne.
L'administration romaine a introduit des gouverneurs (procurateurs) et des garnisons, en particulier en Tingitane. Pourtant, comme le souligne Benabou, la domination de Rome était «stratifiée» : les villes côtières étaient romanisées, tandis que les arrière-pays restaient des bastions amazighs. Des villes comme Volubilis sont devenues des municipia romains, recevant des droits latins vers 44 de notre ère, tandis que les tribus rurales maintenaient leur autonomie.
Selon J. Gascou dans «La succession des bona vacantia et les tribus romaines de Volubilis», les inscriptions prouvent que Volubilis a reçu des droits latins, accordant à ses élites la citoyenneté romaine en échange de leur loyauté. D'autres villes côtières telles que Sala (près de l'actuelle Rabat) et Lixus (près de Larache) sont devenues des nœuds essentiels dans le système de contrôle de Rome.
Résistance et intégration dans la Maurétanie romaine
Malgré la romanisation urbaine, les arrière-pays amazighs sont restés résistants. Comme l'explique Benabou, des soulèvements tribaux ont ponctué la domination romaine tout au long du 1er siècle de notre ère. Pline l'Ancien raconte des campagnes contre les Gaetuli, des tribus qui harcelaient les établissements romains.
Ces révoltes ont forcé Rome à mener des campagnes de pacification répétées, n'obtenant souvent qu'une soumission temporaire. Selon Carcopino, l'incapacité de Rome à soumettre pleinement la Maurétanie reflète la résilience des traditions politiques amazighes : décentralisées, mobiles et résistantes au contrôle centré sur les villes.
Au IIIe siècle de notre ère, la domination de Rome sur la Maurétanie s'est affaiblie sous la pression des crises internes et des menaces externes. Benabou note que les révoltes répétées, le déclin démographique et la pression économique ont érodé le contrôle romain. La Tingitane, en particulier, a vu ses garnisons réduites, et à la fin du IIIe siècle, Rome s'est effectivement retirée des plaines méridionales, ne conservant que la zone au nord du fleuve Loukkos.
Le Royaume de Maurétanie représente un chapitre crucial mais souvent négligé de l'histoire marocaine. Sa trajectoire, de la monarchie indigène à la province romaine, illustre à la fois la résilience et la vulnérabilité des Etats nord-africains face à l'expansion impériale.


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