En 2007, la France perd le contrat d'armement en avions de chasse pour l'armée marocaine. Le Rafale, bijou de haute technologie, est décidemment trop cher. Le Maroc préfère les F-16C/D Block 50/52 américains. Eclairage sur un contrat manqué. Jean Guisnel, journaliste et spécialiste des questions de défense et d'industrie de l'armement, raconte l'échec de la première vente à l'exportation du Rafale par la France, au Maroc sur le site Owni. Le 11 septembre 2007, à Toulouse, lors des universités d'été de la Défense, Hervé Morin lance aux dirigeants français des armées et de l'industrie militaire : «J'observe que beaucoup de pays ne [raisonnent pas en termes] de combat à haute intensité, leur réflexion sur les équipements intègre bien entendu beaucoup plus la question du prix.» «Ce que le ministre sait, mais ne dit pas, c'est que sa première vente vient de capoter !», rapporte le journaliste Jean Guisnel. Le ministre a appris quelques jours auparavant, par la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, que l'industriel américain Lockheed Martin propose 24 F-16C/D Block 50/52 pour 2,4 milliards de dollars (1,6 milliard d'euros) au Royaume du Maroc, alors que les Français offrent dix-huit Rafale pour 2,1 milliards d'euros. Mirages ou Rafales Tout a commencé le 13 décembre 2005, lors d'une visite privée à Paris. «Mohammed VI évoque à l'Elysée, avec Jacques Chirac en personne, son intérêt pour des avions d'armes français et notamment le Mirage», se souvient Jean Guisnel. Un an plus tard, Georgelin, chef d'état-major des armées, de retour du Maroc, confirme l'intérêt de l'Etat marocain. Le Royaume penche pour l'achat de 24 modèles d'occasion. «Demande assez logique, puisque les voisins algériens ont confirmé en mars 2006, à l'occasion d'une visite du président russe Vladimir Poutine, une commande de chasseurs russes dernier cri, déjà annoncée au printemps 2004 : vingt-huit SU-30 Flanker et trente Mig-29 Fulcrum», rappelle le journaliste. Problème : la fin de la production de Mirage 2000 est programmée pour 2007. Suite à plusieurs échecs contre d'autres avions de chasse au début des années 2000, l'industriel français «Dassault avait choisi de concentrer tous ses efforts sur son appareil le plus moderne : le Rafale», explique Jean Guisnel. La note grimpe de 1,5 à 2,1 milliards d'euros En 2006, les trois industriels du GIE Team Rafale (Dassault Aviation, Thales et Snecma) trouvent dans le général Ahmed Boutaleb, un allié de taille au Maroc. Inspecteur général des Forces royales Air, cet aviateur a été le précepteur du roi Mohammed VI et se trouve crédité à ce titre d'une grande influence. Le gouvernement français, en la personne de Jean-Paul Panié, directeur des affaires internationales de la Délégation Générale pour l'Armement, propose de vendre au Maroc 18 Rafales à 1,5 milliard d'euros. Il rencontre immédiatement l'opposition des dirigeants du GIE Team Rafale. Pour eux, le juste prix est de 2,5 milliards d'euros. «Finalement, après des négociations franco-françaises au poignard, ce sera quelque 2,1 milliards d'euros tout compris (en principe), sauf l'armement», raconte Jean Guisnel La France hésite à couvrir le financement L'offre est formellement présentée à Rabat fin juin 2007, 6 mois après la visite du général Georgelin à Rabat. Pourquoi ce délai ? «Parce qu'avec une dette extérieure de quelque 18 milliards de dollars, le Maroc ne dispose pas des ressources nécessaires pour creuser davantage le déficit de sa balance commerciale en s'achetant de telles machines de guerre. Il fallait donc que Paris avance les fonds», avance le journaliste. Au gouvernement, le ministre des finances et la ministre de la défense s'affrontent sur la question. Le 11 juillet 2007, après l'élection de Nicolas Sarkozy et sur sa décision personnelle, la «France propose finalement de financer totalement (ou presque) l'achat des Rafales par le Maroc, avec des prêts remboursables sur de longues années à des conditions «amicales», qui n'ont pas été détaillées», rapporte Jean Guisnel. Des conditions très spéciales puisque le montage financier suppose que, en cas de défaillance du client, le contribuable français paie la note. Les Américains remportent la mise Le processus décisionnel ralentit encore car la décision revient, en principe, au premier ministre, François Fillon, or celui-ci exige une directive écrite de l'Elysée qui n'arrive que le 21 juillet 2007. «L'acceptation française du crédit en faveur des Rafale est annoncée fin juillet aux Marocains : il se monte à 100 % du contrat», souligne le journaliste. Trop tard : visiblement bien informés, les industriels américains ont déjà présenté leur propre offre définitive à Rabat le 10 et 14 juillet. Le Roi Mohammed VI tranche en faveur de la proposition américaine. Le Maroc coupe à partir de là toutes les lignes avec Paris. Nicolas Sarkozy souhaite alors effectuer une visite de travail à Rabat, à la fin d'un déplacement éclair à Alger et Tunis. Sa demande provoque un incident diplomatique, selon Jean Guisnel. « Mohammed VI exige un report de cette visite, au motif que le premier voyage du président français dans son pays ne saurait être qu'une visite d'Etat… Prétexte !»