Le skipper marocain, Saïd Ben Amar, a réussi la traversée de l'Atlantique à la rame en entreprenant un voyage long et périlleux au cœur de la solitude. Un voyage qui a carrément transformé sa vision du monde, de la vie, de la nature. Al Bayane est allé à la rencontre de cet aventurier hors norme.Le regard serein, la voix paisible et le geste posé, Saïd Ben Amar semble porter le poids de la sagesse. Le périple qu'il a entrepris en participant à la course Bouvet Guyane l'a carrément transformé. Il a tout vécu le jeune skipper qui a réussi la traversée de l'Atlantique à la rame : des moments de doute, des moments d'extrême solitude, des moments de joie, des moments de peur et des moments de désespoir. Il a tout vécu, mais en aucun moment il a renoncé à son défi. De Dakar à Cayenne (commune française), Saïd Ben Amar s'est donc lancé dans un voyage solitaire, long, dur et périlleux sans jamais fléchir : 51 jours, 7 heures et 35 minutes seul dans le large. 4.800 km sans escale ni assistance et uniquement à la force des mains. Sa détermination est hors pair. Saïd Ben Amar, lui, la qualifie d'entêtement. «Tous mes proches m'ont dit que c'était de la folie, que j'allais mourir. Mais moi, j'avais une idée fixe. Je voulais participer à tout prix à la course Bouvet Guyane. Il fallait juste l'accord de ma mère. Une fois acquis, le reste est venu tout seul », nous dit-il. L'accomplissement d'une idée L'histoire de ce Marocain, originaire de Nador, avec la traversée de l'Atlantique débuta à l'époque où, fraichement bachelier, Saïd quitte le pays pour Grenoble (France) afin de continuer ses études. Ne parlant pas couramment le français, Ben Amar s'appliqua pour rattraper son retard. Il passait ses journées à écouter la radio afin de se familiariser avec la langue de Molière. Et c'est sur les ondes qu'il entende parler des exploits de l'exploratrice Maud Fontenoy qui a réussi, seule, la traversée de l'océan Atlantique à la rame. Le sujet l'a aussitôt interpellé. Il s'est ensuite renseigné. N'ayant ni l'expérience, ni les moyens de Maud Fontenoy, Saïd Ben Amar a commencé à chercher un moyen pour réaliser la traversée. Et c'est là qu'il a entendu parler de la course Bouvet Guyane. Non retenu en 2009, il se ne lâche pas prise. Il s'implique davantage et décroche son ticket de participation pour 2012. Afin de pouvoir réussir la traversée, Saïd Ben Amar s'est préparé du mieux qu'il pouvait. Outil de navigation, entrainement physique et psychologique. Le skipper marocain savait que le défi était difficile, mais il n'a jamais pu imaginer à quel point ce péril allait être pénible. Ne jamais renoncer Il était d'ailleurs mal parti. A peine quelques jours du début de ce voyage, le jeune aventurier voit son embarcation renversée. Saïd réussit à la remettre en place, mais plus de la moitié de la nourriture est perdue. « C'étais horrible. Je n'avais pratiquement rien pour vivre », se souvient-il. Les organisateurs lui proposent de lui en apporter, mais il refuse car il veut que sa traversée soit solitaire et sans assistance. Ne trouvant plus quoi manger, il se rabat sur le poisson qui échoue sur sa barque. « Manger du poisson cru était la seule alternative », dit-il. « On ne sait pas la chance qu'on a d'avoir une assiette pleine avec des aliments délicieux. Cette aventure m'a permis de prendre conscience de cela. A chaque fois qu'on mange, on devra penser à ceux qui n'ont rien à mettre sous la dent », nous lance-t-il. Ce voyage au cœur de la solitude l'a beaucoup interpellé. « Quand on est seul face à l'océan, on se sent infiniment insignifiant. L'homme est arrogant et pourtant il est si vulnérable. Je ne vois plus le monde comme avant, je ne me vois plus comme avant », avoue-t-il. « On a tous pensé à l'écologie et agir pour le bien de la nature car au fond on est rien ». Coincé au fond de la mer, Ben Amar a aussi pris conscience de la frustration que vivent les gens à mobilité restreinte. « On a envie de courir, de marcher, mais on ne peut pas, c'est insupportable ». Il veut même s'investir dans les œuvres sociales en faveur de ces personnes. Quand le désespoir jaillit Si l'aventure lui a permis de voir le monde d'un œil nouveau, elle l'a aussi bousculé. Fortement. A un moment, il a failli tout lâcher, tout abandonner et pas uniquement la course. Alors qu'il dormait dans sa capsule à l'intérieur de sa barque, Saïd senti qu'il allait s'étouffer. Il est assis sur son embarcation et a enlevé presque tous ses habits afin de mieux respirer. Rien ne l'a soulagé. En une fraction de seconde, nous ditil, il a pensé à se jeter dans la mer. « Alors que je m'apprêtais à commettre l'irréparable, j'ai aperçu sous la lumière magnifique de la lune un aquarium géant. Des poissons de toute sorte nageant sous mes pieds. La vie en toute sa splendeur. Du coup, je me suis senti mieux », raconte-t-il d'un air émerveillé. Le désespoir, le doute, mais aussi la peur. Saïd Ben Amar a connu toutes les émotions. Il a d'ailleurs failli deux fois se faire percuter par un bateau. « La vision était quasi-nulle. J'ai eu les frissons de ma vie », précise-t-il. Il lui a fallu du courage pour tenir. Il lui a fallu aussi de l'endurance. Afin d'éviter de rater l'arrivée, faute de vent favorable, le jeune skipper qui était au bout de l'épuisement a dû ramer 36 heures d'affilée. Dans un exceptionnel dépassement de soit, Saïd Ben Amar a terminé la traversée de l'Atlantique, les mains et les pieds en sang. Le périple fut épuisant, dangereux et long. Malgré tout, Saïd Ben Amar ne regrette rien. Et si c'était à refaire, il le refera. D'ailleurs, il y pense sérieusement…