Chronique d'une occupation rampante du domaine public... Il est des prouesses qui forcent le respect ou l'admiration. Celle réussie par le propriétaire du restaurant «Le chalet de la plage» à Essaouira dépasse l'entendement. «Cheb Khaled», comme son nom ne l'indique pas, est le gérant d'un établissement, propriété municipale depuis les années 50, que les Français avaient construit en bois, en bord de mer, avec une vue imprenable sur la baie d'Essaouira et ses iles. Loué par la municipalité pour une bouchée de pain, et transmis de père en fils depuis le départ, au début des années 60, de la famille française qui a créé cet établissement, ce restaurant est devenu au fil du temps, une adresse incontournable et un passage obligé pour tous les visiteurs et touristes de passage dans la ville, en quête de poissons, crustacés et autres fruits de mer . La mémoire collective retiendra que les Souiris, toutes générations confondues, se donnaient rendez-vous sur la plage, en contrebas du restaurant, pour des joutes footballistiques à marée basse, en empruntant des escaliers en pierre de taille, qui étaient surnommés «drouj chalet», qui n'existent plus, et pour cause... Les actuels locataires des lieux, dans une opération sournoise et frénétique, ont entrepris depuis des années de grignoter et de grappiller, mètre par mètre, l'espace public avoisinant qui était un lieu de passage accessible pour les contemplateurs du panorama qu'offre la baie d'Essaouira. La stratégie patiemment mise en œuvre et savamment orchestrée pendant des années, par les maîtres du lieu, a ainsi commencé par l'ouverture d'un bar sur la façade latérale gauche du restaurant (côté plage), puis quelques années plus tard, d'un café avec baies vitrées et quelques tables, sur la façade latérale droite de l'établissement (côté port). Entre ces deux ouvertures latérales, tout l'espace réservé au parking des voitures situé en face de l'établissement, qui était public, fût annexé au «Chalet», et est devenu, de facto, un espace privé destiné à l'usage exclusif de la clientèle du restaurant, du jour au lendemain, bien entouré et délimité avec poteaux en béton et chaînes... Il faut dire que cette «stratégie rampante» des occupants du lieu se déroulait au fil des années, avec la complicité passive, et parfois active, des responsables locaux et provinciaux qui présidaient aux destinées de notre ville, et qui, aveuglés et repus par les «largesses gastronomiques» de notre «Cheb Khaled» local, ont laissé faire, si ce n'est ouvertement autorisé, sans aucun état d'âme, toutes ces transformations-extensions qui se faisaient, bon an mal an, au détriment du domaine public environnant, et qui est en principe la propriété de tous les Souiris. Dans la foulée, et sans crier gare, survint l'occupation progressive et rampante de toute l'esplanade située en face du café ouvert sur la façade droite du Chalet, dans un premier temps, par l'extension de sa terrasse et la multiplication démesurée des tables et des chaises qui y étaient disposées, puis ensuite, par la construction d'un muret de clôture qui allait encercler tout l'espace attenant au chalet, jusqu'à la rambarde de la plage, forçant ainsi le commun des mortels souiris à contourner le restaurant ou à dégringoler les rochers de protection par marée basse, pour accéder à la plage. Toujours dans le même esprit de grignotage sans vergogne de l'espace public, «Cheb Khaled» a procédé ces dernières semaines à l'élévation du muret de clôture de ce qui était devenu «sa» terrasse. Et dernier épisode en date, de cette «mauvaise» série, pour bien marquer son appropriation de cet espace, il installa récemment sur le muret, devenu mur, une nouvelle élévation en verre et cadre en bois, cette fois-ci, en attendant.... qu'elle soit en ciment et briques ! Qui dit mieux ? Ayant ainsi fait main basse sur l'espace public avec la bénédiction coupable des autorités, d'aucuns suggèrent à «Cheb Khaled» de continuer son entreprise ravageuse et expansionniste en s'inspirant de l'expérience néerlandaise des polders, qui consiste à gagner des terrains sur la mer où, éventuellement, comme dans les lointaines îles du Pacifique, de s'agrandir indéfiniment par des constructions sur pilotis... sachant bien que la nature finira toujours par reprendre ses droits. Qu'on ne se méprenne pas, il ne s'agit nullement d'une affaire personnelle contre qui que ce soit, mais d'une démarche dans l'intérêt de la collectivité. Le chalet de la plage et son environnement immédiat font partie intégrante du patrimoine de la ville. Un collectif d'associations locales s'est d'ailleurs récemment constitué pour défendre ce patrimoine contre les appétits voraces et les avidités de tous bords et pour dénoncer l'incurie des responsables.