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La littérature peut-elle changer le monde ?
Littérature
Publié dans Albayane le 11 - 08 - 2013


Littérature
«L'engagement du poète a commencé par être tribal avant de devenir national, voire internationaliste» A.Laâbi, Le livre imprévu
Une telle question, que beaucoup de gens se posent naïvement ou à bon escient, met au pied de mur tout écrivain prétendant porter sa pièce au monde où il vit. C'est une question qui met en outre l'accent sur la dimension éthique de toute œuvre littéraire et signale, à plus forte raison, les responsabilités qui incombent à l'acte d'écrire. Ecrit-on seulement pour écrire ? Ou écrit-on pour quelque chose ? Camus répond clairement : «Le temps des artistes irresponsables est passé.» (Albert Camus, « L'artiste et son temps », conférence prononcée à l'Université d'Upsal le 14 décembre 1957 in Discours de Suède, Gallimard, 1958, P64) Qu'il le veuille ou non, tout écrivain, parce qu'il vit parmi les hommes, et dans une société où l'injustice et la tyrannie dans toutes leurs formes sont pléthoriques, cet écrivain ne peut aucunement s'emmurer dans le mutisme total. Aujourd'hui, même le silence est une forme de parole voilée. Il prend une signification redoutable et demeure une prise de position. L'écrivain, en tant qu'artiste, se trouve contraint à dire son mot. Il ne peut plus s'isoler comme autrefois dans un quelconque locus amoenus et jouir d'un quelconque confort. Les événements, surtout tragiques, l'obligent à se positionner, à choisir son parti, à se frayer un chemin à visage découvert. Devant les cris d'un enfant innocent torturé par les tortionnaires, devant les souffrances d'un peuple qui voit sa terre spoliée en pleine lumière, devant tant de vies avortées au sein des bagnes, devant les machines de guerre sanguinaires, devant les destructions massives et les fosses communes, devant la médiocrité, la platitudes et les bêtises « énaurmes » qui prennent l'humanité à bras-le-corps etc., la littérature ne peut s'enfermer dans l'incurie, ne peut s'enfermer dans la tour d'ivoire. Au contraire, elle se voit, bon gré mal gré, «embarquée», piégée, prise par les flots agités de son temps, acculée à prendre une position, à dire son dernier mot. Quel que soit le camp choisi, l'écrivain se doit donc de s'y prononcer pour ou contre.
Dans cet état des choses, «l'art pour l'art» devient d'emblée un mythe qu'il faut démystifier. Il n'y a pas d'écrivain qui produit pour rien. Il n'y a pas de littérature autotélique. L'écriture qui ne va pas au-delà de ses frontières, qui ferme son univers esthétique au monde réel sera certainement vouée à l'échec. Le temps de dilettantisme est révolu. L'art comme pur acte sui generis, même s'il avait fait son temps jadis, se condamne, tôt ou tard, à la disparition. La littérature de dimanche n'a plus droit de cité dans ce monde agité où les horreurs nous guettent tous azimuts.
Même seul, enfermé dans son bureau de travail, retiré un peu de ses semblables pour un temps de méditer et de penser, l'écrivain ne peut nullement rester tout le temps coupé des affaires de la cité. Il se doit d'être à l'écoute de son temps, perméable à tout ce qui se trame autour de lui, attentif au moindre incident qui aurait de plus grandes incidences. Qu'il le veuille ou non, l'écrivain, de quelque bord qu'il soit, se voit, bon an mal an, «engagé» face à et dans cette réalité mouvementée et fluctuante. Il «doit » dire son mot, parapher ses positions, exprimer sa philosophie, dévoiler son idéologie...Il est beaucoup plus astreint à se «situer», au sens sartrien du mot, par rapport aux affaires du monde. L'écriture devient pour lui, pour ainsi dire, un devoir et une obligation qui ne peuvent se passer de deux exigences inséparables : dire la vérité, même la plus choquante, et défendre la liberté des autres qui conditionnent la sienne. La littérature, prise dans ce sens, est une machine antidoxéique. Elle s'érige, sans tomber pour autant dans le sectarisme aveugle ou le militantisme dogmatique, contre tout pouvoir aliénant, elle décortique les mythes fondateurs de son appareil idéologique et elle ne s'accommode pas par conséquent du mensonge et de la bêtise.
Tout écrivain, qu'il le veuille ou non, a un message à dire aux autres. Il le transmet, à sa manière, avec ses propres moyens esthétiques, à des lecteurs potentiels. Cependant, gardons-nous de cette conception réductrice qui ne voit en l'écrivain que le simple porte-parole, aveugle et borné, d'un quelconque appareil idéologique, le héros/héraut absolu d'un quelconque credo religieux exclusif, ou le fervent partisan d'un quelconque parti politique.
La littérature, avec tout cela, ne peut, hélas, changer le monde. Elle ne dispose que de simples moyens : les mots. Au demeurant, l'écrivain, comme tout artiste conscient des limites de son art, reste sans cesse modeste, vulnérable et fragile. Cependant, avec la beauté de son style et la ténacité de sa vocation, il remplit un devoir éthique et politique envers les esprits endormis et les consciences hypnotisées qu'il cherche, avec entêtement, à éveiller et à qui il veut ouvrir grands les yeux sur l'horreur du monde. L'écrivain, en ce sens, parle au nom de ceux qui ne peuvent, pour de multiples raisons, s'exprimer librement, écrit à la place de ceux à qui on a bâillonné la voix révoltée, dit l'histoire de ceux que l'Histoire officielle avait délibérément oubliés (les marginaux, les laissés-pour-compte, les fous, les torturés...). Pour Camus, l'écrivain, par définition, serait celui qui «ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent.» (Albert Camus, « Discours du 10 décembre 1957 », in Discours de Suède, Gallimard, 1958, p16) Dans le même ordre d'idées, Gilles Deleuze affirme ceci : « Un écrivain écrit pour des lecteurs, cela veut dire « à l'intention de », mais il faut dire que l'écrivain écrit pour des non-lecteurs, c'est-à-dire à la place de». Donc ‘‘écrire pour'' signifie écrire à l'intention du lecteur et aussi à la place du lecteur. Artaud, comme le dit lui-même, écrit pour des analphabètes, Faulkner écrit pour des idiots, cela ne veut pas dire que les analphabètes et les idiots les lisent, cela veut dire écrire à la place des analphabètes et des idiots. » (L'abécédaire).
La littérature et la vie sont donc intimement solidaires. L'une ne peut se passer de l'autre. Bref, il n'y a aucunement lieu de rupture entre elles. Dans cette optique, la littérature est loin d'être conçue dans la dimension purement intimiste. Pour un vrai écrivain, la littérature ne serait jamais un lieu privilégié d'escapade, ni un no man's land fastueux, ni un au-delà spectral. « Il n' ya pas, comme le veut une idée trop complaisante et trop répandue, rupture angoissante entre la banalité utilitaire de la vie courante et le ‘‘monde de l'art''. (...) Je ne crois pas au ‘‘Fuir là-bas, fuir !...'' de Mallarmé, ni à cette idée de l'évasion par l'art. » (Julien Gracq, Entretiens, José Corti, 2002, P146) La littérature, comme tout art, a des responsabilités immenses à remplir hic et nunc, parfois même dans l'urgence.
En ce sens, la dissidence, qu'on le veuille ou non, semble s'inscrire au fin fond de la littérature, en constitue, si l'on puisse dire, la substantifique moelle, en devient l'essence même. À bien des égards, la dissidence dont on parle ici reste à la fois esthétique et éthique. Une dissidence qui exige un travail sur soi et sur les autres, qui nécessite un double jeu porté sur le monde intérieur (celui de l'écriture) et le monde extérieur (le monde réel), qui finit par faire de la littérature un espace de renouvellement, de l'« éternel recommencement » comme dit Blanchot et une expression quintessenciée de la révolte. Par une telle gageure, la littérature « tient sa force et sa richesse de la transfiguration qu'elle opère sur les êtres et les choses par la transformation qu'elle exerce sur elle-même. » (Abderrahman Tenkoul, « Littérature et fondamentalisme » in Penser le Maghreb et l'Europe, l'Harmattan, 2010, P123) Elle devient le creuset où se mêlent inextricablement, et dans un équilibre homéostatique, l'exigence poétique et l'engagement politique.


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