La place emblématique de Marrakech vit une nouvelle phase de réaménagement, avec un budget dépassant les 100 millions de dirhams et un calendrier serré. Au-delà du chantier, c'est un haut lieu de l'histoire et de la culture vivante du Maroc qui poursuit sa métamorphose, sans perdre l'authenticité qui l'a rendue célèbre dans le monde entier. Sous le soleil implacable de l'été marrakchi, le cœur battant de la médina s'est transformé en vaste chantier. Entre les engins et les palissades, Jemaâ el-Fna vit l'une des réhabilitations les plus importantes de son histoire récente. Derrière la poussière et le bruit des marteaux piqueurs, ce site mythique cherche à redevenir un écrin à la hauteur de sa renommée tout en conservant l'âme qui en a fait un patrimoine mondial de l'UNESCO. Un chantier d'envergure L'appel d'offres lancé le 9 mai 2025 a été attribué à la société Aqef pour un montant de 114,7 millions de dirhams. La durée des travaux est fixée à sept mois. En parallèle, la société Clutch a obtenu un marché de 4,2 millions de dirhams pour installer un dispositif de contrôle d'accès par bornes escamotables dont la réalisation doit s'achever en quatre mois. Le projet comprend la réfection complète des réseaux souterrains comprenant l'électricité, l'assainissement et l'eau potable. Il prévoit également le pavage de la place avec de la pierre naturelle taillée, la création d'un espace réservé aux calèches, la rénovation des blocs sanitaires et l'installation d'un kiosque d'information touristique. Pendant le chantier, les vendeurs de plantes et de menthe ont été relocalisés à Arsat El Bilk, preuve d'une organisation destinée à limiter l'impact sur les activités habituelles. Les travaux ont débuté en mai et le calendrier prévoit une livraison en trois phases avec un achèvement estimé entre octobre 2025 et janvier 2026. Le sol, récemment retiré, datait d'avant la phase de requalification menée entre 2022 et 2024, qui avait déjà permis une première remise à niveau. Une place presque millénaire Créée au XIe siècle par les Almoravides, Jemaâ el-Fna a toujours été le centre névralgique de Marrakech. Lieu de marché, d'échanges et parfois de justice, elle a vu passer caravanes, marchands et voyageurs venus de tout le monde arabe, d'Afrique subsaharienne et d'Europe. Son nom renvoie à une mosquée inachevée, appelée Jemaâ el-Hna, qui n'a jamais vu le jour. Faute de moyens ou à cause d'une épidémie, le chantier fut abandonné et donna naissance à l'appellation Jemaa el-Fna, littéralement la mosquée des ruines. Au fil des siècles, la place a changé de visage et de fonction. Lieu d'exécutions publiques sous certaines dynasties, elle est progressivement devenue un espace de spectacles et d'animations populaires. Les halqas, cercles de spectateurs autour de conteurs, musiciens, acrobates ou charmeurs de serpents, en sont l'expression la plus emblématique. Classée patrimoine national en 1922, Jemaâ el-Fna a été inscrite en 1985 au patrimoine mondial de l'UNESCO. En 2001, elle a rejoint la liste du patrimoine culturel immatériel, reconnaissance qui souligne l'importance de préserver non seulement son architecture mais aussi la vie culturelle foisonnante qui s'y déploie chaque jour. Un symbole à préserver La réhabilitation en cours s'inscrit dans une longue série de projets de mise en valeur. De la préservation soutenue par l'UNESCO dans les années 2000 à la requalification menée entre 2022 et 2024, chaque intervention a visé à renforcer l'attractivité de ce lieu tout en respectant son identité. Pour les Marrakchis, Jemaâ el-Fna n'est pas seulement une attraction touristique. C'est un repère, un lieu de vie et de mémoire collective. Les générations s'y croisent et la magie opère encore, qu'il s'agisse de déguster un jus d'orange pressé, d'écouter un conte ancien ou d'assister à une danse improvisée. Avec ce nouveau chantier, Marrakech joue une carte ambitieuse. Offrir un espace plus sûr, plus confortable et mieux équipé tout en laissant place à l'imprévu et à l'animation spontanée qui font l'âme de Jemaâ el-Fna. Aujourd'hui, le bruit des marteaux piqueurs couvre les notes des musiciens de rue mais, lorsque les travaux s'achèveront, la place retrouvera son tumulte joyeux, prête à accueillir de nouvelles histoires et à perpétuer celles qui s'y racontent depuis près d'un millénaire. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO